Le nickel, levier ou cible

Le site de Doniambo qui a connu des heurts tout proches, doit bénéficier de chargements de minerai opérés à Népoui et à Koumac. ©Y.M.

Du Nord au Sud, des routes d’accès aux mines sont bloquées et des dégâts sont commis. Si une logique est difficilement décelable, une hypothèse peut tendre vers un nouveau préalable minier. Une autre option est beaucoup plus radicale. 

« Si ça continue, on va crever », se désole un cadre. Coincé dans l’étau des blocages et victime d’exactions, le secteur minier et métallurgique constate, depuis mardi 14 mai, un effondrement de son activité.

L’approvisionnement en minerai étant extrêmement compliqué à partir de ses mines, le stock de l’usine de Doniambo atteint un niveau critique. Une affaire de quelques jours, voire d’une semaine, avant d’approcher un seuil irréversible pour les fours électriques Demag. Un incendie, finalement maîtrisé, a touché dimanche des installations de chargement à Népoui.

Deux semaines plus tôt, trois véhicules avaient été volés et le feu avait été mis à une portion du convoyeur la Serpentine à Kouaoua. Dans le Sud, le complexe de Prony Resources NC est toujours à l’arrêt, et ce, depuis mardi 21 mai. Les routes d’accès au site sont bloquées. Une banque d’affaires travaille par ailleurs sur des pistes pour la reprise des parts de Glencore à Vavouto, dans le Nord. La phase de transition avec une prise en charge des salaires par le géant suisse s’achève fin août.

D’après une communication interne de KNS, lundi 27 mai, six investisseurs avaient manifesté un intérêt pour la reprise de l’usine. Mais l’actualité calédonienne a pu faire reculer certains repreneurs potentiels. Tout comme les « petits mineurs », la NMC, pourtant une entité pays, est pénalisée dans son exploitation. Ce qui peut légitiment poser la question de l’alimentation des fours de la SNNC en Corée du Sud.

UN QUART DES SALARIÉS

Cette configuration inattendue dans le territoire porte atteinte non seulement aux outils eux-mêmes, mais affecte aussi évidemment la trésorerie des sociétés déjà mise à mal par la crise internationale due à la surproduction indonésienne. Or, un quart des salariés du privé dépend directement ou indirectement de l’exploitation du nickel, selon une étude de l’Institut de la statistique et des études économiques en 2019. Si le poids de cette industrie est variable dans le produit intérieur brut (PIB) ‒ 9 % en 2021 ‒, l’analyse confirmait « l’importance des effets d’entraînement du nickel sur l’économie calédonienne ».

Pourquoi vouloir tant châtier ce secteur clé ? La lecture de ces épisodes violents n’est pas limpide. Première hypothèse, le nickel est un levier politique parmi d’autres pour pouvoir inscrire un projet cher à la CCAT dans le futur accord global. Une sorte de nouveau préalable minier, à l’image de celui posé entre 1996 et 1998.

La SLN est particulièrement touchée par ces entraves et destructions. Ses mines sont implantées certes en différents points de la Grande Terre. « Une grande partie du domaine minier de la SLN se trouve en province Nord », rappelait le rapport sur l’avenir de la filière du nickel paru en juillet 2023. L’entreprise centenaire incarne, aux yeux d’indépendantistes, les intérêts franco-français. Ces mêmes indépendantistes luttaient un temps pour faire monter la Nouvelle-Calédonie, à travers la STCPI (Société territoriale calédonienne de participation industrielle), de 34 à 51 % au capital de Doniambo. Est-ce encore d’actualité ?

DOCTRINE NICKEL

Des militants sur les barrages associent, en outre, l’opposition au dégel du corps électoral provincial et le rejet du pacte nickel, ce plan présenté par l’État pour sauver les usines et souhaité ardemment par la SLN. Le pas est-il fait aussi vers la doctrine nickel, qui interdit l’export de minerai calédonien sauf vers des usines off-shore détenues par le territoire ? Alors que la PDG de la maison-mère Eramet, Christel Bories, a encore évoqué, cette fois dans le journal Le Monde samedi 1er juin, ces pays dans lesquels seule l’exploi- tation minière est rentable (lire ci-dessous).

Seconde hypothèse, très radicale, le nickel est une cible, pour tout remettre à plat, tout recommencer, parce que le modèle actuel n’offre pas assez de retombées locales, n’est pas assez inclusif, ne respecte pas l’environnement, etc. Tout reconstruire, mais avec qui ? Cette option exigerait une planification. Or, les actions déplorées ici et là ne semblent pas guidées par une stratégie unifiée. Les deux cas de figure exposés sont d’ailleurs cumulables. Quoi qu’il en soit, frapper le secteur du nickel permet de déstabiliser plus encore l’économie calédonienne.

Yann Mainguet

Christel Bories sur le même credo

Dans le Financial Times fin février, la PDG d’Eramet, Christel Bories, avait surpris voire choqué, en indiquant que la Nouvelle-Calédonie « pourrait devenir un territoire “purement minier” ». Ce qui, par définition, impliquerait la fermeture des usines métallurgiques.

Dans le journal Le Monde, samedi 1er juin, la dirigeante a à nouveau appuyé cette option. « Je constate que l’extraction de minerai est rentable, comme le prouve la situation économique des petites sociétés familiales purement minières, mais que les trois usines métallurgiques ont chacune perdu des centaines de millions d’euros ces dernières années. Il y a de nombreux pays où il est rentable de faire de la mine, mais pas de la métallurgie ». Il n’est pas certain qu’un tel propos adoucisse les humeurs en ces temps troublés.