Le nickel à un point de bascule ?

La crise du Covid-19 n’épargne pas les marchés des métaux. Le ralentissement brutal de l’économie mondiale a fait chuter la demande en matières premières et donc leurs cours sur les marchés. La création de nouvelles unités de production comme celle de Weda Bay, en Indonésie, et la poursuite de l’extraction minière pourraient renforcer le décalage entre l’offre et la demande et fragiliser encore davantage le secteur du nickel.

La croissance la plus faible enregistrée depuis Mao. Ce sont les prévisions de la Banque mondiale concernant l’économie chinoise pour 2020. Selon les experts de l’institution, la croissance du PIB pourrait atteindre 2,3 % dans le meilleur des cas. Le pire des scénarii table même sur une progression quasi nulle, de l’ordre de 0,1 %. Cette chute brutale aura bien évidemment des répercussions sur l’économie mondiale dans son ensemble que la Chine tirait depuis près d’une décennie.

Pour la Nouvelle-Calédonie, la nouvelle est porteuse de lourdes incertitudes. Moins d’appétit du géant chinois, le premier consommateur de nickel au monde, signifierait une dégradation des cours qui ne sont pas encore au point bas de 2017 (8 700 USD la tonne de nickel), mais ils stagnent entre 11 000 et 12 000 USD la tonne au London Metal Exchange. Et les dernières annonces pourraient bien venir dégrader le cours.

Baisse de la demande, hausse de la production

La baisse de la demande avec une remontée des stocks mondiaux et l’arrivée à terme de nouvelles unités de production, comme Weda Bay, en Indonésie, ne sont pas de nature à susciter des espoirs aux industriels calédoniens. Le 30 avril, l’usine indonésienne, qui associe Eramet à la compagnie minière indonésienne PT Antam et au géant de l’acier chinois Tsingshan, a produit sa première coulée. Une fois son rythme de croisière atteint, le complexe devrait mettre sur le marché près de 30 000 tonnes par an de ferronickels à faible teneur (également appelé NPI ou pig iron). Et cette usine pyro-métallurgique n’est qu’une première étape. Une usine hydro- métallurgique, comme celle de l’usine du Sud, devrait être mise en service dans les années à venir, notamment pour répondre à la demande liée au marché des véhicules électriques.

Si Eramet voit cette nouvelle production comme complémentaire des ferronickels, beaucoup plus riches issus de l’usine de Doniambo, l’impact sur les marchés pourrait conduire à rendre plus difficile le retour à la rentabilité de l’usine calédonienne. Ce n’est en réalité peut-être pas sur la métallurgie que mise Eramet en Nouvelle-Calédonie, mais sur la mine. C’est tout l’objet du lobbying intense que mène l’industriel depuis quelques années et qui pourrait porter ses fruits d’ici peu. Le 28 avril, le gouvernement a adopté en collégialité, à la quasi-unanimité (un membre s’est abstenu), le projet de réforme du Code minier afin de permettre à la SLN et Vale NC d’exporter respectivement des latérites et saprolites à basse teneur du massif de Tiébaghi et des saprolites du massif de Goro.

Augmentation des exportations de minerai

Les enjeux pour les deux opérateurs sont d’améliorer leur rentabilité. Pour la SLN, il est question de sa survie et pour le géant brésilien, de donner des gages aux potentiels repreneurs avec qui des négociations sont d’ores et déjà engagées. Si la production métallurgique progresse lentement, celle de minerai exportable est en pleine explosion, suite aux autorisations accordées aux mineurs calédoniens. Cela s’observe très concrètement dans les chiffres publiés par l’Isee sur le commerce extérieur pour le premier trimestre 2020. Sur la période, les exportations de minerai sont en progression de 33 %. Sur un an, cette progression représente une augmentation des exportations de 17 %.

Si le projet de loi est passé comme une lettre à la poste au gouvernement, son adoption par le Congrès pourrait être plus difficile. Les élus de la province Nord, qui cherchent toujours du minerai pour alimenter les usines off- shore de Corée et de Chine, pourraient voir d’un mauvais œil ces nouvelles autorisations d’exportation pour des massifs qui sont censés alimenter uniquement des unités de production qui leur sont adossées. Autant d’éléments qui ne jouent pas en faveur de la stabilité pour une industrie qui est déjà de nature relativement instable.

M.D.