« Le mot métis est un concept colonial »

À l’occasion de la sortie de l’ouvrage posthume de Raina Chaussoy Vivre le métissage, Patrice Godin a donné une conférence, jeudi 19 mai, à l’université. L’anthropologue a mené une réflexion sociologique sur la difficulté de la construction identitaire.

Dans un amphi 400 rempli aux trois quarts, Patrice Godin a dévoilé plusieurs facettes de l’étude sur le métissage en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie réalisée par la thérapeute Raina Chaussoy, décédée tragiquement en 2018 et nommée docteure en psychologie à titre posthume. Membre du jury de soutenance de la thèse intitulée « Fractures métissées en contexte postcolonial », l’anthropologue s’est penché sur le « lien entre le vécu de la personne et la réalité sociale ainsi que la difficulté du psychothérapeute à gérer cette fracture ».

Problème d’appartenance

Pour l’autrice, le métissage n’existe pas en soi, l’histoire coloniale ayant inventé les métis d’ici ou d’ailleurs. Le métis n’est de nulle part, il est celui qu’on ne reconnaît pas et qui, parfois, est soumis à une injonction paradoxale : « Choisis ton camp ! » Ceci parce qu’il vit un « problème d’appartenance au sein de sa communauté, qui elle-même a un problème d’appartenance vis-à-vis de la société », résume Bernard Rigo, professeur d’anthropologie à l’université.

Ces fêlures, remarque Raina Chaussoy, peuvent exister dès l’enfance et conduire à une fracture de vie : cette fracture métisse. Pour Patrice Godin, deux facteurs principaux sont décrits par la thérapeute : « Il y a un problème, dès que dans le groupe, la personne est renvoyée à son incomplétude et quand les parents sont porteurs de cette division, de cette conception que l’on se fait de l’union d’un homme et d’une femme, soi-disant de race et de culture opposées par l’histoire. »

« Bombes traumatiques »

De là, « on inscrit des bombes traumatiques à retardement, comme les appelle Raina, qui peuvent éclater », conduisant parfois à « une spirale dépressive avec son lot de souffrances, de désespoirs et de violence » : dépression, autodestruction, révolte… « Tous les métis ne sont pas traumatisés. Il y a des métis heureux, car ils s’en moquent », rassure Patrice Godin.

Néanmoins, « la personne classée comme métisse est obligée de réussir la quadrature du cercle ». Soit résoudre un problème insurmontable « qui serait unir, additionner, multiplier en elle, ce que la société oppose, divise, fracture ». Même si la personne réussit sa vie, « ce qui sera considéré comme une forme de trahison », souligne Bernard Rigo, et ne vit aucun clivage dans sa famille, « la société […] pense en termes de camps » et le rappelle aux individus. «Comment obtenir une reconnaissance quand la société vous répète toujours que vous aurez un déficit d’appartenance ? »

« Ce n’est pas le mélange qui est important »

Pour Raina Chaussoy, la « fracture métisse est un élément implicite de la société ». Est-ce possible d’en sortir ? « Il faut se débarrasser du concept du métissage pour accepter la pluralité des choses, des cultures et des appartenances historiques, et il faut une reconnaissance mutuelle, car ce n’est pas le mélange qui est important », livre Patrice Godin. À nous maintenant de lire cet « ouvrage majeur empreint d’humanité » pour en apprendre davantage.

 


« Un outil de compréhension »

« Ce livre est aussi un outil de compréhension, fort et intéressant, des clivages de la société blanche calédonienne par rapport à des ruptures avec des liens zoreils », estime Françoise Cayrol, coordinatrice des éditions PUNC.

 


« La question métisse ne se pose pas en Océanie »

« En Polynésie, il n’y a pas de terme tahitien originel pour désigner les métis, explique Bernard Rigo, anthropologue. Dans les langues locales, on peut chercher en vain un équivalent, parce que, avec l’étranger, la question océanienne a toujours été de faire le lien. Donc, la question métisse ne se pose pas en contexte océanien. La problématique coloniale étant de mettre les individus dans des catégories, le mot métis est un concept colonial. »

 

Vivre le métissage, édité par les Presses universitaires de Nouvelle-Calédonie (PUNC), 2 500 francs.

 

Marie-Hélène Merlini (© M.-H.M)