Le monde du nickel dans une période charnière

Le site intégré de KNS, avec sa mine, son usine et son port, a retenu l’attention des Indiens de JSL Group. (© Archives Y.M.)

L’industriel sud-africain Sibanye-Stillwater doit bientôt visiter le site de Prony Resources. Tandis que l’Indien Ratan Jindal, de JSL Group, vient de parcourir le complexe de Koniambo Nickel. Les prochains mois seront déterminants pour l’avenir du nickel calédonien.

♦ LES POSSIBLES REPRENEURS

Prony Resources New Caledonia a redémarré ses installations autour du 9 décembre pour une production de Nickel Hydroxide Cake (NHC), un produit intermédiaire destiné au marché des batteries de véhicules électriques, à la fin du mois ou début janvier. Au vu de cette relance de l’activité, l’industriel sud-africain Sibanye-Stillwater doit programmer dans la foulée une visite technique à l’usine du Sud. À l’issue, le groupe spécialisé dans l’extraction de métaux précieux formulera, ou non, une offre d’achat de 74 % des parts au capital de PRNC. Aucun montant ne circule à ce stade. Mais, pour rappel, une somme de 100 milliards de francs avait été injectée lors du rachat par le consortium avec le géant du négoce Trafigura en mars 2021. Un point clé devrait s’inviter : négocier l’abandon de la dette de plus de 65 milliards de francs vis-à-vis de l’État.

Y a-t-il eu un changement d’avis de l’entreprise de Johannesburg ? D’après le site Mining Weekly le 17 septembre, Sibanye-Stillwater étudiait la possibilité de s’approvisionner en nickel auprès de Prony, mais « n’envisageait pas d’acquisitions pour le moment », aux dires de James Wellsted, un porte-parole de la société minière. Quoi qu’il en soit, les échos sont unanimes autour de PRNC : il n’y a pas pour l’instant de plan B.

Matte et ferronickel

Deux groupes se sont manifestés par ailleurs pour le rachat des parts de Glencore dans le Nord, c’est-à-dire les 49 % au capital de Koniambo Nickel aujourd’hui sur le marché. L’un est chinois. Des représentants sont venus visiter le site de Voh mi-novembre, mais le projet ne soulèverait que peu d’intérêt auprès de la Nouvelle-Calédonie et de l’État français.

L’autre est indien, et l’approche est bien différente. Ratan Jindal, PDG de JSL Group, pour Jindal Stainless Limited, compagnie basée à New Delhi, a séjourné sur le territoire pendant deux jours en fin de semaine dernière, après un premier déplacement en octobre de cadres de JSL Global Commodities, société chargée des études pour le groupe. JSL est le plus gros producteur d’acier inoxydable en Inde avec un chiffre d’affaires consolidé en 2024 de 4,7 milliards de dollars, soit plus de 530 milliards de francs. L’industriel fournit également des produits bien spécifiques, tels que les ébauches de pièces à frapper par les banques nationales et des lames de rasoir dont JSL domine le marché mondial.

Cette offre, qui répond d’ailleurs à la volonté française de l’axe Indo-Pacifique, pourrait s’appuyer, on peut l’imaginer, sur la production de ferronickel pour alimenter les aciéries de JSL, mais également de matte de nickel à destination, en toute logique, de l’Europe pour le marché des batteries. Si une entente devait intervenir entre JSL et le vendeur Glencore, une offre définitive de la compagnie indienne pourrait arriver dans le courant de l’année 2025.

♦ LA TRÉSORERIE

Soutenue par un prêt de l’État de 16,7 milliards de francs (140 millions d’euros) et une bonne performance de production en début d’année, puis altérée par sept mois d’arrêt de l’usine, la trésorerie de Prony Resources, décrite aujourd’hui comme « extrêmement fragile », ne peut tenir que jusqu’au premier trimestre 2025. D’où l’urgence de retrouver un rendement de 3 500 tonnes mensuelles. Si, en février-mars, les comptes sont à sec et Sibanye-Stillwater ne répond pas présent, la perspective d’une mise en veille froide pourrait se dessiner.

La trésorerie est également un sujet à la SLN. La filiale d’Eramet a bénéficié fin octobre d’une nouvelle aide financière de l’État à hauteur de 2,4 milliards de francs. Cette somme permet de couvrir les besoins de financement jusqu’à la fin de l’année. Et ensuite ? Un emprunt obligataire complémentaire auprès de l’État serait la condition sine qua non d’une poursuite d’activité en 2025. L’industriel annonçait, en début d’exercice 2024, un objectif de production de 45 000 tonnes de ferronickel, mais en raison des différents aléas ces huit derniers mois, le rendement serait plus proche des 32 000 tonnes. Le déficit annuel devait se situer autour de 20 milliards de francs.

♦ LA CAT

Un arrêté du 22 novembre, visé par la présidente de la province Sud, autorise la SLN à exploiter temporairement la centrale accostée à Doniambo jusqu’au 22 novembre 2025. Il s’agit en fait du dernier renouvellement d’un an dans le contrat conclu pour trois années. Louée auprès de la société turque Karpowership, cette CAT, longue de 140 mètres et haute de 50 mètres, vouée à fournir les 180 mégawatts essentiels pour opérer les fours, arrivera l’an prochain au terme officiel de sa mission.

Sauf que, malgré la poursuite des études, la Nouvelle-Calédonie n’est pas en capacité de distribuer une énergie décarbonée et compétitive. Ainsi, la centrale accostée temporaire va devoir continuer à sécuriser l’alimentation électrique de Doniambo. Le temps de construire les infrastructures prévues dans le Schéma de transition énergétique de la Nouvelle-Calédonie (Stenc 2.0) ou un autre programme.

La SLN est sur le point de déposer une demande d’autorisation d’exploitation permanente auprès de la province Sud. Non plus à titre dérogatoire donc. Cette requête s’inscrira dans un cadre réglementaire classique avec une enquête publique ouverte probablement en mai. La réception de la CAT en septembre 2022 avait nécessité d’importants travaux préalables, du quai à la station électrique, pour un milliard de francs de retombées économiques locales.

Prony Resources NC avait signé en 2020
un contrat d’approvisionnement en nickel de cinq ans avec le géant Tesla. Des discussions sont engagées sur la suite de l’accord arrivant à terme l’an prochain. (© Archives Y.M.)

♦ LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

En raison des tensions de trésorerie en 2023, puis des émeutes, le projet de ferme solaire à Prony Resources a été mis en stand-by il y a bientôt un an. Le plan reste toutefois le même : couplée au réseau public pour un apport de 120 mégawatts, la production sur site doit atteindre 40 mégawatts avec une batterie de 10 mégawattheures. Les panneaux photovoltaïques couvriraient près de 35 hectares à proximité de l’usine. À la lecture de ce projet de 160 mégawatts, PRNC souhaitait signer un contrat d’achat d’électricité d’une part avec Enercal pour l’approvisionnement extérieur, et d’autre part avec TotalEnergies pour l’énergie solaire in situ.

Le projet Lucy, dont le procédé est basé sur l’assèchement des résidus à Prony, est lui aussi stoppé depuis le début de l’année 2024. Les installations sont pratiquement achevées, notamment l’unité de filtration. La mise en route de Lucy et le démarrage du chantier de la ferme solaire dépendent du devenir de PRNC qui devrait être connu dans plusieurs semaines.

Plus globalement, à l’échelle du système électrique du territoire, les études à la fois techniques et financières se poursuivent pour la construction d’une Step, ou station de transfert d’énergie par pompage, sur une ancienne mine à Tontouta. Ce projet de long terme est efficace et nécessaire mais coûteux : 50 milliards de francs. La Banque européenne d’investissement (BEI), l’Agence française de développement (AFD) ainsi que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ont été approchées. Enercal est positionné comme l’architecte du dossier et le futur exploitant.

Yann Mainguet