[DOSSIER] Le marché émergent cherche à se structurer

Olivier Thomas, cogérant de l’agence de communication Trait d’union Pacifique et fondateur de la structure Katchup, voit le marketing d’influence comme « un boost », un vrai coup de pouce. (©Yann Mainguet)

Si des entreprises ont intégré le mode de communication dans leurs techniques de promotion, l’économie des influenceurs reste de taille modeste, mais sa structuration pourrait favoriser une croissance.

Selon une étude révélée à l’occasion du salon Paris Creator Week, le marché de la création de contenu et des influenceurs représente près de 7 milliards de dollars en France, a rapporté en décembre le journal économique Les Échos. Soit 800 milliards de francs. Vertigineux.

Acteurs et spécialistes locaux sont formels, son poids ne peut être précisément défini aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie. Si ce secteur a littéralement décollé il y a quelques années, la dynamique est un peu retombée en 2024 en raison du départ de très bons influenceurs. Cinq personnalités tirent aujourd’hui leur épingle du jeu dans l’archipel, dont deux sont considérées comme professionnelles, aux côtés d’une dizaine de producteurs de contenu au réseau beaucoup plus restreint. « Un tiers des entreprises font appel » à ces services, estime Shannon Maboumda, cogérante de l’agence de relations publiques et communication Magenta à Nouméa.

À l’image de la société Socalait pour la promotion d’une marque de tablettes de chocolat ou de glaces. Néanmoins, « il est difficile de dire s’il y a eu une influence sur les ventes », indique le service marketing. La Chambre de métiers et de l’artisanat de Nouvelle-Calédonie a, elle, retenu Astro pour la conception de capsules vidéo destinées à la géolocalisation de réparateurs de seconde main. Une sollicitation pour « le côté fun, rigolo », explique la CMA, et l’expérience a « bien marché », l’influenceur ayant « des followers avec lui ».

« EN CONTINU DANS DES FLUX »

Une bonne part de l’intérêt du client réside dans ces derniers mots. La technologie a évolué, et « on a développé ce besoin d’être en continu dans des flux, analyse Olivier Thomas, cogérant de l’agence de communication Trait d’union Pacifique. L’influenceur vient produire rapidement, avec des structures moins lourdes que celles vues par le passé, et avec son public ».

Ce créateur basé à Nouméa avait lancé en 2021 une agence dénommée Katchup, calée justement sur les nouveaux modes de communication : plus de vidéos et de réseaux sociaux, moins d’affichage et de publicité traditionnelle. La méthode des influenceurs faisait donc partie des forces de l’enseigne pour toucher précisément des consommateurs de ces séquences filmées.

Mais la concurrence dans le domaine de la com’, la petitesse du marché et les difficultés propres aux jeunes entreprises ont stoppé l’aventure de Katchup au bout de deux ans. Ce marché n’a pas pris pleinement, pour au moins deux raisons. Entretenir une communauté de followers demande une régularité dans la diffusion, donc un travail permanent. En outre, « les entreprises ont compris l’intérêt d’avoir des influenceurs, explique Olivier Thomas, mais les budgets ne sont pas aujourd’hui à la hauteur de ce que cela peut représenter ».

PAS DE RÉFÉRENCES TARIFAIRES

Contrairement à la Métropole, où des logiciels calculent même la valeur du prestataire, la Nouvelle-Calédonie ne dispose pas de grille de tarifs. Le sujet est un peu tabou. Seule une influenceuse a posé les prix sur le papier. En clair, « les tarifs sont libres », résume Magali Bestagno, cogérante de l’agence Magenta.

Renseignements pris, le coût d’une vidéo sur TikTok ou Instagram irait de 5 000 francs chez un nano-influenceur ‒ une personnalité avec un réseau modeste ‒ à 30-50 000 francs pour le concept, le tournage, le montage, la publication et le suivi. Tout dépend de la qualité du contenu et la taille de l’audience. Un dernier critère encore une fois capital, puisque, selon une étude française, en moyenne 50 à 60 % du public de l’influenceur va regarder la vidéo.

Vu son développement récent, le secteur essaie de se structurer. Des agences font signer des contrats. Une patente dédiée a été instaurée il y a peu. Cependant un couac demeure : « il manque la monétisation », pointe Shannon Maboumda. Les plateformes, telles que TikTok, Instagram ou YouTube, ont instauré un système de rémunération pour gratifier les influenceurs à la mesure de leur pouvoir d’attraction ainsi que de la rétention, c’est-à-dire la capacité du public à rester sur le contenu. Mais la Nouvelle-Calédonie ne figurant pas dans le code monétaire et financier national, le dispositif est bloqué, les créateurs calédoniens ne perçoivent pas d’argent. Ce qui freine considérablement le développement du réseau ici, car les fonds ne sont pas réinvestis dans du matériel, dans la conception de nouveaux produits, etc. « Nous sommes en train d’étudier ce point-là », observe Christopher Gygès, porte-parole du gouvernement, chargé de l’économie, de la fiscalité ou encore du numérique.

Deux visions peuvent dès lors s’entrechoquer : la promotion diffusée par les influenceurs ne vient-elle pas heurter la publicité traditionnelle ? Olivier Thomas ne voit pas de « concurrence », mais davantage « un complément » aux campagnes de pub né de la transformation du marché de la communication avec l’apparition du smartphone.

Yann Mainguet