Le journal de Mgr Guillaume Douarre édité pour la première fois

Michel Soulard publie Une graine en terre kanak, le journal et des correspondances de l’évêque Guillaume Douarre, fondateur de la mission catholique de Nouvelle-Calédonie. L’ouvrage s’inscrit dans la décennie précédant la prise de possession par la France, à Balade, Pouébo et Hienghène. Son rôle de précurseur dans la colonisation est discuté.

« La nouvelle vie que je vais commencer n’aura rien de bien extraordinaire, quelle qu’elle soit ». C’est en ces termes – démentis par son aventure – que commence le journal de Guillaume Douarre, premier texte d’importance écrit par un Européen implanté sur le territoire.

Arrivé à Balade le 24 décembre 1843 à bord du Bucéphale, l’évêque auvergnat est accompagné des pères Rougeyron et Viard et des frères Blaise Marmoiton et Jean Taragnat. « Les maristes arrivent dans un contexte de concurrence avec les protestants dans la région. Ces derniers sont déjà aux Loyauté et ont fait plusieurs tentatives d’implantation à l’île des Pins, Yaté et Saint-Vincent. Mais les maristes n’ont pas ces informations et ils sont alors seuls sur la Grande Terre », explique Michel Soulard, ancien professeur de français et passionné d’histoire.

« NATURELS »

La Mission, sommaire, s’installe d’abord à Mahamate avec la contribution des marins français, puis à Baïao (Balade). « Les missionnaires « achètent » des champs, vivent de ce qu’ils produisent et des échanges avec les Kanak, intéressés notamment par des produits manufacturés (tissus, perles) et par le fer. »

Ils sont plutôt bien accueillis. L’évêque évoque le quotidien avec « les naturels », l’apprentissage de leur langue, les différents aspects de leur culture. « Mais il insiste sur l’installation matérielle de la Mission et reste souvent réservé sur ses sentiments. Son texte n’est pas de l’ordre d’un journal intime », explique Michel Soulard.

Le journal se présente en trois volets correspondant aux trois séjours de l’évêque (1844 à 1846, fin 1848 à fin 1849 et 1851 à 1853). L’ouvrage est complété par des correspondances avec d’autres missionnaires, notamment le père Colin, supérieur des maristes à Lyon, et Rome. De nombreuses notes contextuelles apportent un « solide appareil critique », selon les mots de l’historien Louis-José Barbançon.

Au fil du temps, les missionnaires font des adeptes jusqu’à avoir un groupe « de fervents chrétiens » constitué notamment de « chefs ou fils de chef ». Mais des oppositions émergent face à leur influence. Ils sont contre la nudité (l’évêque pourrait être à l’origine de la robe mission, « imaginée peut-être par une de ses bienfaitrices, Zoé du Chesne »), la polygamie, l’anthropophagie et les désordres liés à certaines fêtes. « Il y a une certaine ambivalence dans l’attitude de Guillaume Douarre, note Michel Soulard. Il leur fait de vifs reproches mais a à cœur de les protéger, de les aimer profondément. »

QUEL RÔLE DANS L’HISTOIRE ?

Malgré les difficultés, les missionnaires installeront plusieurs chapelles, feront des tournées d’évangélisation à Pouébo, Arama, Hienghène. En 1846, la corvette La Seine fait naufrage à Pouébo. Les maristes viennent en aide aux 232 marins (pour cela, l’évêque sera décoré de la Légion d’honneur) venus pour retirer le drapeau français de l’établissement de la Mission, l’Église souhaitant que seule la croix y figure et la France redoutant de froisser la susceptibilité de l’Angleterre dans le contexte d’un conflit franco-anglais à Tahiti.

Les passages des marins, français principalement, ont pu apporter un secours matériel auprès des missionnaires, mais aussi susciter des perturbations dans l’organisation sociale des tribus, sans compter la probable introduction d’épidémies. En 1847, alors que Guillaume Douarre se rend en Europe pour obtenir de nouveaux missionnaires et des subsides, les Missions sont dévastées, le frère Blaise est tué et l’équipe est transférée à Anatom (Vanuatu). Celle de Balade ne sera réinstaurée qu’en 1851. L’évêque meurt le 27 avril 1953 à 42 ans, cinq mois avant la prise de possession du territoire par la France, le 24 septembre.

À la cathédrale de Nouméa, figure une plaque en souvenir de Guillaume Douarre, inaugurée en 1957, sur laquelle on peut lire qu’il a « donné ce pays à Dieu ». Michel Soulard explique que figurait cette autre inscription : « et à la France ». Ce rôle politique lui a effectivement été attribué par le passé. Michel Soulard pense que c’est à tort et conteste par exemple le titre d’un récent article du journaliste Daniel Pardon, « Mgr Douarre plante deux graines sur le Caillou », auquel il répond par « Une graine » expliquant : « Sans doute l’évêque pensait-il cette colonisation inéluctable et préférait-il simplement les Français catholiques aux Anglais protestants, mais il entendait n’y jouer aucun rôle. »

Chloé Maingourd

Le livre est disponible dans les librairies de Nouméa, mais il peut aussi être obtenu en version numérique en ligne (editions-humanis.com).

Michel Soulard a consacré deux années à ce travail colossal. Aux mêmes éditions Humanis, il avait déjà signé La Mine d’or ou encore Le bagne et la plume, enquête sur le forçat Delfaut. / © C.M.

En 1993, le 150e anniversaire de la christianisation, également vu comme un deuil kanak, fait l’objet d’une réconciliation. L’évêque
de Nouméa, Monseigneur Calvet, fera une demande publique de pardon pour « les torts faits au peuple mélanésien, les souffrances et les injustices dont furent victimes leurs ancêtres contraints d’abandonner de fait une part de leur culture ».