Menacées d’extinction, les tortues caouannes – dites « grosse tête » – viennent en nombre pondre chaque année dans la zone du Grand Lagon Sud, selon une étude portée par le WWF France et l’IRD.
C’est une avancée majeure pour la protection des tortues « grosse tête » en Nouvelle-Calédonie. Pendant huit ans, une étude menée par le WWF France et l’IRD a permis d’identifier la zone du Grand Lagon Sud comme un important site de ponte, au même titre que celui situé à la Roche Percée, à Bourail.
Formé d’une quarantaine d’îlots coralliens, elle accueillerait 450 pontes par an. « À l’échelle du Pacifique Sud, chaque année nous avons entre 2 000 et 6 000 pontes, donc ça représente un pourcentage assez important », illustre Hugo Bourgogne, coordinateur du programme marin de l’antenne calédonienne du WWF France, dont la thèse, présentée il y a quelques jours à l’Université, portait sur le sujet.
UN DÉFICIT DE TORTUES MÂLES
Tout commence en 2006, lorsqu’une campagne de survol aérien permet d’identifier une cinquantaine de plages de ponte le long de la Grande Terre. « Ces plages se trouvaient sur des petits îlots coralliens et, du fait de leur distance, on n’en connaissait pas grand-chose. C’était des endroits sous-étudiés », décrit le chercheur. Mais ce n’est qu’en 2016 que Marc Oremus, actuel responsable du bureau local du WWF, débute cette étude spécifiquement sur ce site du Grand Sud. L’objectif était de « montrer l’importance du lieu pour ces tortues ».
Pour comprendre le choix de cette zone plutôt qu’une autre, il faut saisir le phénomène de « féminisation » des populations, dû au réchauffement climatique. « Comme tous les reptiles, le sexe des petites tortues se détermine selon la température dans le sable pendant l’incubation. Plus il fait chaud, plus on va avoir des femelles. Et à l’inverse, plus il fait frais, plus on va avoir des mâles », explique Hugo Bourgogne. Ceci étant, « on assiste à un déficit de plus en plus important de mâles, ce qui amène à un vrai problème de gestion ».
Un phénomène également constaté sur le site de ponte de la Roche Percée : « quand on faisait la proportion entre mâles et femelles, on se rendait compte que la quasi-totalité des bébés tortues qui naissaient étaient des femelles ». Or, il se trouve que les îlots du Grand Lagon Sud sont caractérisés par « un sable différent et blanc », et « des bandes végétales plus denses ». Des éléments qui ont poussé les équipes de WWF à se dire « tiens, il serait intéressant de voir s’il ne ferait pas plus frais là-bas », raconte Hugo Bourgogne.
« TROIS DEGRÉS DE MOINS »
À raison de plusieurs missions par saison effectuées sur 28 de ces îlots, des résultats « très probants » ont été relevés. Premier constat : le niveau de fréquentation des tortues « grosse tête » est « ultra-important », beaucoup plus que ce qui était estimé au départ. « Jusqu’à présent, on évaluait à 5-10 % le nombre de femelles qui venaient se reproduire et pondre en Nouvelle-Calédonie. Suite à cette étude, on pense aujourd’hui que ce chiffre se situe plus autour de 20 à 30 % », affirme le spécialiste.
En parallèle, l’étude a permis de démontrer que la température sur ces îlots était « vraiment plus fraîche » qu’à la Roche Percée, à raison de « trois degrés de moins ». Par conséquent, « on estime que dans le Grand Lagon Sud, il y a un équilibre entre le nombre de naissances de tortues mâles et femelles », développe le doctorant. Une « très bonne nouvelle », lorsque l’on sait « qu’une fois adultes, ces mâles vont se reproduire avec les femelles de la Roche Percée », favorisant ainsi le renouvellement des populations.
Fort de ces résultats, l’étude est en train d’être dupliquée ailleurs sur le territoire. Notamment au nord de Koumac, où une trentaine d’îlots laissent supposer un même nombre de pontes. « Aujourd’hui nous avons des données très fragmentaires, mais il est probable que ce soit également une zone majeure », assure Hugo Bourgogne.
Nikita Hoffmann
« Une responsabilité forte »
La tortue caouanne (ou tortue « grosse tête »), présente dans le monde entier, est en danger critique d’extinction dans le Pacifique Sud. Et ce, en raison de différents facteurs : la pêche industrielle, le braconnage, la pollution, la destruction d’habitats ainsi que le réchauffement climatique. Dans la région, elles ne pondent que dans deux pays – sur la côte Est australienne et en Nouvelle-Calédonie –, le territoire a donc « une chance inouïe, mais aussi une responsabilité forte de s’engager pour sa protection », souligne Hugo Bourgogne.
Des recommandations faites à la province Sud
L’enjeu de protection du Grand Lagon Sud est particulièrement fort. C’est pourquoi ses coordinateurs (le WWF et l’IRD) ont identifié les îlots concentrant le plus de pontes et proposé des recommandations de gestion à la province Sud. Parmi lesquelles, celle de protéger ces îlots en les fermant au public pendant la saison de ponte (entre décembre et février), la nuit. Intégrées au sein d’une proposition de modification du code de l’environnement dernièrement, ces recommandations déboucheront « peut-être » sur la mise en place d’un outil de gestion.