Le Forum des îles profondément fragilisé

Les leaders des pays membres du Forum des îles du Pacifique étaient rassemblés, du 13 au 16 août, à Funafuti, la capitale des Tuvalu. Un sommet qui avait pour objectif de prendre des positions communes, notamment sur les questions du réchauffement climatique, de la sécurité et de la Papouasie occidentale. Les discussions ont été particulièrement tendues et ont fait ressortir de profondes oppositions entre l’Australie et les nations insulaires du Pacifique.

«Ignorant », « non-Pacifique », « insultant », « condescendant » ou encore « arrogant ». Les qualificatifs des leaders du Forum des îles du Pacifique à l’adresse du Premier ministre australien et de son vice-Premier ministre ont été plutôt fleuris. Ils font suite aux propos de Michael McCormack, le vice-Premier ministre, en plein déroulement du 50e Forum qui s’est tenu à Tuvalu, du 13 au 16 août. Ce sommet de Funafuti avait pour objectif d’arrêter des positions communes en matière de sécurité, d’environnement et sur la question de la Papouasie occidentale.

Thierry Santa, le président du gouvernement calédonien, faisait partie des leaders présents à ce sommet qui a été l’occasion d’échanges tendus pour ne pas dire plus. En matière de climat, ce rendez-vous diplomatique majeur a cristallisé les oppositions entre l’Australie et les pays insulaires du Pacifique. Ces derniers ont alerté sur la nécessité de mettre en œuvre tous les moyens pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré.

C’était tout le sens des engagements pris par les États participant à la COP21, qui s’est déroulée à Paris fin 2015. Depuis, la plupart des grandes puissances ne les ont pas respectés. La France, qui avait par exemple promis de réduire ses émissions de CO2 de 40 % à l’horizon 2030, voit toujours ses émissions augmenter. Il en est de même pour l’Australie qui a, depuis la COP21, clairement reculé sur la question des émissions de gaz à effet de serre. En 2018, le Parlement d’Australie a tout simplement décidé de ne pas inscrire les objectifs climatiques dans la loi.

L’Australie à la limite de la sanction

Mieux, l’île-continent poursuit une politique d’ouverture massive de moyens de production de combustibles fossiles, à commencer par le charbon et le gaz, un gaz parfois produit grâce à la fracturation hydraulique d’anciennes mines de charbon. Ce même gaz pourrait être utilisé pour faire tourner la future centrale électrique prévue en remplacement de la centrale au fuel de Doniambo. Autant dire qu’en la matière, la Nouvelle-Calédonie a une position compliquée. Outre le fait que le territoire soit un émetteur important de gaz à effet de serre, elle a pris un virage d’exportation massive de minerai, ce qui, de l’avis même des syndicats présents à la SLN, ne sera pas sans conséquence environnementale. Sans compter que Prony Energies, la centrale de l’usine du Sud, est alimentée par du charbon australien.

Les leaders des pays du Pacifique ont tenté de faire pression sur l’Australie pour qu’elle change son fusil d’épaule, mais sans succès. La production de combustibles fossiles est une des principales ressources économiques australiennes. Pour le Premier ministre, comme pour son Parlement, il est donc hors de question d’envisager les choses autrement. Les déclarations du député Michael McCormack ont d’ailleurs provoqué un véritable tollé. Le vice-Premier ministre australien, qui n’est pas avare en sorties climato-sceptiques, a expliqué que les îliens du Pacifique pourront « survivre au réchauffement climatique parce que beaucoup de leurs travailleurs viennent ici pour cueillir des fruits, cueillir nos fruits cultivés grâce aux efforts d’entreprises australiennes. Nous les accueillons et nous continuerons à les accueillir ».

Cette sortie qualifiée de « néo-colonialiste » a choqué les chefs d’État et en particulier le président de Kiribati, Anote Tong, qui a appelé à ce que l’Australie soit sanctionnée voire suspendue du Forum, pour ses positions sur le charbon, en particulier concernant l’énorme projet de mine de Carmichael, dans l’État du Queensland. L’annonce de Scott Morrison de débloquer 500 millions de dollars australiens (un peu moins de 54 milliards de francs) a toutefois permis de trouver un accord sur la déclaration commune largement édulcorée sous la pression australienne. Le Premier ministre des Tuvalu, Enele Sopoaga, a regretté que le communiqué n’était finalement pas à la hauteur des ambitions. « Le discours a été noyé …. Nous pouvons dire que nous aurions dû en faire plus pour nos populations », a déclaré le Premier ministre.

Pour certains observateurs mais aussi certains participants, ce sommet ainsi que ce qui en est sorti décrédibilise le Forum des îles du Pacifique. C’est sans parler des autres dossiers traités qui ont contribué à creuser davantage le fossé qui se crée entre l’Australie et les autres nations du Pacifique, y compris la Nouvelle- Zélande qui s’est montrée très critique vis-à- vis de son île sœur.

Le dossier de la Papouasie occidentale était également sur la table suite à l’insistance du Vanuatu. Là encore, l’Australie, et dans une moindre mesure la Nouvelle-Zélande, s’est posée en défenseur de la politique indonésienne alors que certains pays du Forum, et plus particulièrement ceux du Groupe mélanésien Fer de lance, ne cachent pas leur soutien aux mouvements indépendantistes de Papouasie occidentale. Les récentes arrestations d’étudiants pro- indépendantistes à Manokwari et les émeutes du 18 août qui ont conduit à l’incendie d’un parlement régional de la Papouasie occidentale n’arrangeront probablement pas la situation. Sur cette question, la Nouvelle-Calédonie est divisée. Si les élus indépendantistes qui sont présents au sein du Fer de lance au travers du FLNKS soutiennent la revendication indépendantiste de la Papouasie occidentale, ce n’est pas franchement le cas des responsables non indépendantistes. En 2015, Philippe Germain avait reçu le gouverneur de la Papouasie occidentale, Abraham Octavianus Atururi, et pris soin de ne pas aborder cette question sensible.

La difficile position calédonienne

À cette première rupture s’en est ajoutée une autre en fin du Forum. Le dernier jour, les leaders ont reçu la visite de deux délégations de haut niveau de la Chine et des États-Unis. Une fois encore, l’Australie, avec un large soutien de la diplomatie américaine, a tenté de faire pression sur les nations du Pacifique pour qu’elles cosignent une déclaration opposée à la Chine. Le Premier ministre samoan, Tuilaepa Malielegaoi, a simplement souligné que « leurs ennemis, ne sont pas nos ennemis », ajoutant avec pragmatisme que « si les pays “contre la Chine” dénoncent l’aide de Pékin à la région, ils devraient venir ici et apporter la même aide que ce que la Chine apporte ».

L’Australie a, de fait, sensiblement augmenté ses aides à la région, y compris en Nouvelle- Calédonie où l’Australie fait sentir sa présence, notamment sur le plan militaire et celui de la surveillance de l’espace maritime calédonien. Avec le soutien américain, l’Australie défend la vision de l’axe indo-pacifique que le Président, Emmanuel Macron, avait évoqué lors de son discours du Théâtre de l’île, le 5 mai 2018. La proximité de la France avec l’Australie a été scellée non pas sur la base de défense de valeurs communes, mais bien sur des contrats militaires, signés en 2016 pour 12 sous-marins pour un montant de l’ordre de 50 milliards de dollars, soit plus de 5 300 milliards de francs. Le fait que la Papouasie Nouvelle-Guinée et le Vanuatu aient récemment demandé à la Chine de reprendre l’intégralité de leur dette devrait créer de nouvelles relations de long terme. De la même façon, le très influent Frank Bainimarama, le Premier ministre fidjien, a déclaré dans un article où il dénonçait des propos « insultants » de Scott Morrison, « les Chinois sont un bon peuple, définitivement meilleur que Scott Morrison, je peux vous le dire ».

Ces prises de position ne vont pas simplifier celle de la Nouvelle-Calédonie qui, tôt ou tard, sera elle-même amenée à se prononcer sur ces questions. Où est l’intérêt de la France ? Où est celui de la Nouvelle-Calédonie ? Le développement d’une diplomatie calédonienne aura peut- être alors touché ses limites. Le territoire pourrait-il partager des positions contraires à celles défendues par la France ? Dans l’état actuel, cela paraît peu probable et reposerait du même coup la question de l’intégration régionale de la Nouvelle-Calédonie. À moins que le territoire ne devienne la Suisse du Pacifique, le développement des accords commerciaux, comme celui passé avec le Vanuatu en février dernier, s’avèrerait difficile. Mais tourner le dos aux États insulaires, au profit d’un développement des relations avec l’Australie, laissera peu d’espoir, un jour, de pouvoir discuter d’égal à égal avec le géant du Pacifique.

M.D.

©Pacific Islands Forum secretariat