Le faucon de l’île Ouen

Emmanuel Tjibaou, directeur de l’ADCK, et Georges Mandaoué, directeur du développement durable à Vale NC.

 

L’Agence de développement de la culture kanak (ADCK) et le conseil coutumier Drubéa Kapumë se sont associés à Vale NC pour éditer un conte, Xii, le faucon de l’île Ouen, en nââ wèè, la langue de l’île Ouen. Ce deuxième partenariat répond à une demande des populations et s’inscrit dans une démarche de valorisation du patrimoine kanak.

Un partenariat entre l’ADCK et Vale NC pour préserver et valoriser le patrimoine linguistique kanak ? C’est possible et c’est même ce que viennent de faire l’institution et le mineur pour la deuxième fois avec l’édition du conte Xii, le faucon de l’île Ouen, en langue nââ wèè. Depuis 2011, Vale travaille en partenariat avec l’ADCK et le conseil de l’aire Drubéa Kapumë, dont une des missions est de préserver et de valoriser le patrimoine linguistique kanak, notamment en faisant la promotion de l’expression écrite des langues en danger. Pour Emmanuel Tjibaou, le directeur de l’ADCK, l’objectif était également de faire la promotion de la création graphique au travers de cet album jeunesse illustré par l’artiste-plasticienne Dominique Berton.

Du côté de l’industriel, cette intervention s’inscrit dans le cadre de ses relations avec les populations locales. Ce conte répondait en quelque sorte à une demande de ces populations qui ont exprimé le besoin de préserver leur patrimoine linguistique. C’est tout l’objet du programme de collecte développé dès 2008, en particulier par Fabrice Wacalie, le linguiste qui supervise les relations entre Vale et les tribus du Grand Sud et qui a assuré la coordination éditoriale du premier album Nyùwâxë, l’igname amère.

Une langue en voie d’extinction

Pour ce travail, Fabrice Wacalie a dû se rapprocher des derniers locuteurs de nââ wèè, langue de l’île Ouen très proche de celle de Yaté, le nââ numèè. Des locuteurs qui sont encore seulement deux, les autres habitants de l’île, qui sont environ une centaine, ont progressivement abandonné le nââ wèè pour le tayo, le créole parlé à Saint-Louis.

« C’est un outil pédagogique pour l’enseignement en langue, souligne le directeur de l’ADCK, mais il s’adresse aussi au non-locuteur. C’est le choix que nous avons fait en proposant trois versions audio, une version bilingue, une version en français et une version en langue. L’audio permet aussi de mieux connaître les normes graphiques. » Pour Vale, l’aspect pédagogique avait une importance particulière qui a notamment conduit à la signature de convention avec des écoles. C’est dans ce cadre que Fabrice Wacalie et Dominique Berton sont intervenus dans le petit établissement scolaire de l’île Ouen, dont les 22 élèves sont sous la direction de Mickaël Dubois.

Relancer la transmission

Le conte est particulièrement bien adapté aux plus jeunes et notamment la morale qu’il propose. « La moralité est importante, insiste le linguiste de Vale. Le faucon se fait sauver par un petit lève-queue, cela montre que l’on a toujours besoin d’un plus petit que soi et permet de transmettre des valeurs de respect de la personne. » Par cette approche où le rôle de l’école est important, l’idée est de relancer une dynamique autour de cette langue et plus généralement autour des langues du Grand Sud au travers de synergies avec les populations locales mais aussi les écoles. Après, toute la question est de trouver des passerelles entre l’école et le foyer, afin de réactiver la transmission. Selon Vale, les résultats ont été très positifs à la sortie du premier ouvrage sur le nââ numèè, la langue de Yaté.

Pour Georges Mandaoué, le directeur du développement durable de Vale, il en va de la responsabilité sociale de l’industriel. « Préserver les langues, c’est préserver la cosmovision kanak, une vision de l’univers. C’est important de permettre à tout un chacun d’exprimer ses us et coutumes en langue. »

« Il est nécessaire d’accompagner l’impact de l’usine, précise Emmanuel Tjibaou, les transformations des modes de vie, les changements d’habitudes alimentaires », tout comme les modifications des pratiques linguistiques pas vraiment au profit des langues vernaculaires.

M.D

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Xii, le faucon de l’île Ouen

Le conte proposé a été collecté en 1966 par Jean-Claude Rivierre, linguiste réputé et chercheur au CNRS, à la tribu de Goro. Ne disposant plus de locuteur pouvant parler dans la langue, c’est l’enregistrement original réalisé auprès d’Apollonie Womwâ qui a été utilisé après des coutumes auprès de son clan. Pour contourner l’impossibilité de réenregistrer le conte, un gros travail et notamment sur le terrain a été effectué sur l’illustration qui permet d’apporter des détails de ce conte qui peuvent manquer à la version d’Apollonie Womwâ. Il existe en effet plusieurs versions de ce conte, en particulier sur la côte Est. Ce conte fait partie d’une dizaine de récits enregistrés dont dispose Fabrice Wacalie qui a lui-même travaillé avec Jean-Claude Rivierre. Un autre conte est en cours de préparation sur la langue de l’île des Pins, le nââ kwényï, et un autre ouvrage pourrait suivre sur la dernière des quatre langues du Grand Sud, le nââ drubéa qui correspond à la région de Païta. Xii, le faucon de l’île Ouen devrait être disponible d’ici à la fin de l’année ou au début 2016.

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La collection jeunesse de l’ADCK

L’ADCK a lancé sa collection jeunesse depuis 12 ans. Parce que « la valorisation et la préservation du patrimoine sont l’affaire de tous », l’ADCK a développé des partenariats et en particulier celui avec Vale depuis 2011 qui a abouti à la publication de Nyùwâxë, l’igname amère, en avril 2012. L’ADCK qui a déjà publié une dizaine d’ouvrages de son côté a profité de l’occasion pour lancer un petit appel, notamment aux sociétés privées qui pourraient très bien s’inspirer de l’exemple de Vale qui apporte des moyens financiers et humains pour préserver le patrimoine linguistique. Reste que c’est peut-être aussi un signe du manque de moyens et de volonté des pouvoirs publics de préserver cette diversité linguistique.