Le collège Dö-Névâ ferme pendant deux ans

Face à des difficultés financières et une baisse des effectifs, l’Asee* annonce la fermeture définitive du collège Dö-Mwâ, à Canala, ainsi que de deux écoles primaires. Le collège Dö-Névâ, à Houaïlou, ne fera pas non plus de rentrée 2022. Il a deux ans pour imaginer un projet d’établissement qui lui permette de rouvrir en 2024.

« En 1970, 46 % des élèves étaient dans le privé. En 2021, ils sont 25 %, dont 4 % à l’Asee et à la Felp. La part de l’enseignement privé, notamment protestant, s’est effondrée. » Patrick Robert, ancien secrétaire général de l’Asee (1978-1986) et de la Felp en 2008-2009, connaît bien les deux institutions protestantes. Certains établissements scolaires sont particulièrement touchés, en raison notamment de leur implantation géographique, comme Dö-Névâ. « La côte Est se dépeuple au profit de la côte Ouest, les gens viennent travailler à VKP, à Koumac, à Thiébaghi. » Conséquence, il y a moins d’enfants. « Il y avait 140 élèves en 2006 quand je suis arrivé, il y en a 35 aujourd’hui », témoigne Luc Gaulon, directeur par intérim du collège. L’Asee a décidé de le fermer. Temporairement pour l’instant.

Le collège Dö-Névâ, dans un écrin de verdure.

Un nouveau projet

Les raisons sont multiples. Baisse des effectifs, qui entraîne mécaniquement une diminution des subventions attribuées par les collectivités, vétusté des bâtiments, des années de mauvaise gestion de l’Asee (lire par ailleurs), accumulation de dettes (plus de 400 millions à la Cafat), migration des élèves du privé vers le public. « C’est sans doute aussi lié à l’ouverture du collège de Canala et puis à des chamailleries non réglées depuis la scission entre l’Asee et la Felp, en 1958 », ajoute Luc Gaulon.

Après l’école primaire, fermée il y a quatre ans, c’est au tour du collège. Ne reste plus que le lycée agricole qui, lui, fonctionne bien. Pendant les deux ans de fermeture, l’Asee doit travailler sur un projet d’établissement. Un vaste chantier. « Le problème, c’est qu’on doit avoir beaucoup plus d’élèves par classe qu’on en accueille actuellement, et il faut faire d’importantes rénovations, sauf que nous sommes en redressement, donc c’est délicat d’engager des dépenses. »

L’art et la culture

Pourtant, un travail a été mené pour sauvegarder cette institution, symbole de l’enseignement protestant des Kanak. « On s’y attendait depuis quelques années, mais on avait réussi à stabiliser un peu les effectifs en axant notamment la pédagogie sur l’art et la culture », poursuit le directeur. Malgré ces efforts, des difficultés persistaient. « Les professeurs enseignaient sur deux niveaux (6e – 5e et 4e – 3e) et cela représentait des contraintes aussi pour les élèves. » Un regret ? « On a manqué de temps pour mener à bien ce qu’on voulait faire. »

Sur place, l’émotion est palpable. Alors que tous les enseignants retrouveront un poste, le sort des surveillants reste incertain. Les élèves, eux, vont aller en majorité à la Felp à Ponérihouen et à Bourail, ainsi qu’au collège de Canala. « Je suis touché par les enfants, on partage leur tristesse. Il y a pas mal de pleurs, c’est naturel et spontané. » Que restera-t-il de Dö-Névâ, un pan du patrimoine calédonien ? « Une grande partie des Kanak de plus de 50 ans y sont passés », glisse Patrick Robert. Élie Poigoune, Déwé Gorodey. C’était l’image du collège, qu’il n’a plus aujourd’hui. « C’est peut-être le moment qu’il se trouve un autre rôle ? »

Certains bâtiments, vétustes, nécessitent des travaux.

Inquiétudes pour la suite

L’inquiétude se propage aux autres établissements, notamment Do Kamo, à Nouméa. « Sur les 600 élèves du lycée, un tiers vient de l’Asee, indique Aurélie Poyau, la directrice. On a l’impression que ce n’est que le début de l’hémorragie. Et on a peur aussi des répercussions sur la qualité de ce qu’on peut apporter aux élèves. Des postes d’animateur pédagogique disparaissent aussi. Les perspectives ne sont pas très réjouissantes. »

La question à se poser, estime Patrick Robert, c’est celle de l’avenir de l’enseignement privé et, en particulier, protestant en Nouvelle-Calédonie. « La fusion des deux réseaux, Felp et Asee, paraît impérative. » Plus globalement, il suggère de revoir la carte scolaire. « Maintenir tout cela au nom de l’histoire coûte de l’argent, même si cela représente une certaine richesse et diversité de l’enseignement. Cette situation appelle une réforme profonde. »

À l’inverse de Dö-Névâ, le collège Dö-Mwâ, à Canala, ainsi que deux écoles primaires, Wedrumel à Lifou et Akka à Ouvéa, ferment définitivement leurs portes.

 

*Asee : Alliance scolaire de l’Église évangélique *Felp : Fédération de l’enseignement libre protestant.

 

L’équipe d’enseignants en 1982.

Dans une classe.

Des cours de sculpture sont proposés.

L’entrée du centre scolaire.

 


Luc Gaulon, directeur par intérim du collège Dö-Névâ

« C’est un monument de l’histoire calédonienne »

« C’est une perte énorme. Symboliquement, c’est un monument de l’histoire calédonienne, le premier établissement ouvert aux enfants kanak. C’est la suite du travail mené par Maurice Leenhardt au début du XX siècle, qui a donné naissance à cet esprit de compréhension mutuelle. C’est vrai qu’on n’imaginait pas qu’on toucherait à ce symbole dont l’esprit est toujours là. Dö-Névâ, c’est une perle. Quand on y est, il y a une atmosphère, un ressenti, c’est cela qui marque l’établissement, c’est son empreinte, son identité. Il y a un côté rayonnant, c’est l’impression que laisse le lieu. »

 


« Je suis en colère »

Lionel Weiri est le président de l’APE de Dö-Névâ. Après avoir vécu la fermeture de l’école primaire en 2017, c’est au tour du collège. « C’est trop, je suis en colère », témoigne le père de famille. Lionel Weiri évoque les conséquences sociales, économiques et sur la vie scolaire de la région. Il se dit vraiment motivé pour travailler à la réouverture de l’établissement. « Il faut voir ce qu’on pourrait faire, j’y crois si on fait ce qu’il faut, retourner auprès des populations, aller voir les parents dont les enfants ne sont pas à l’école à Houaïlou, tout ce qu’on peut mettre en œuvre. » Pour Lionel Weiri, les gens sont attachés à l’établissement. « C’est un lieu symbolique, c’est de là qu’est partie l’Asee. Les enfants sont tristes et certains pleurent. »

 

Redressement judiciaire

Dans l’impossibilité de faire face à leurs dettes, les deux réseaux d’enseignement privé protestant sont placés en situation de redressement judiciaire en novembre 2017. Fin 2018, le tribunal de commerce de Nouméa homologue leur plan de redressement, qui prévoit l’épuration des dettes en dix ans (2028). À la rentrée 2021, les effectifs se maintiennent à 2 500 élèves, 700 pour la Felp et 1 800 pour l’Asee, mais cette dernière a toujours d’importantes dettes, notamment envers la Cafat.

L’ancienne directrice, dont le contrat a pris fin avant le confinement, n’a toujours pas été remplacée. C’est le gouvernement qui doit nommer son successeur.

En début d’année, la Chambre territoriale des comptes a publié un rapport très sévère sur la gouvernance de l’Asee et de la Felp entre 2013 et 2018. La CTC parle, entre autres, de pratiques de gestion douteuses et opaques, avec de multiples erreurs comptables et appelle les deux instances à davantage de transparence.

 

Une mission avant d’être une école

La mission Dö-Névâ  naît sous l’impulsion du pasteur ethnologue Maurice Leenhardt en 1903. Dö-Névâ a alors plusieurs rôles, dont ceux de former des pasteurs et d’instruire les Kanak. En 1950, une école artisanale ouvre ses portes. Elle deviendra ensuite l’école pratique. La menuiserie y est notamment enseignée. Une école primaire est également fondée. En 1953, la première classe de Dö-Névâ  présente le certificat d’études. Quelques années plus tard, en 1958, à l’initiative entre autres du pasteur Charlemagne, l’enseignement protestant se scinde en deux organismes : l’Asee et la Felp.

 


Dö-Mwâ à Canala aura vécu vingt ans

Aurélie Poyau est aujourd’hui directrice du lycée Do-Kamo, à Nouméa, mais elle a bien connu le collège Dö-Mwâ pour avoir participé à sa création en 2001 et y avoir travaillé pendant dix ans, notamment en tant que directrice. L’établissement répondait alors à des besoins sur la commune de Canala, qui compte également un collège public depuis 1984. « Il a été fait à la demande de la paroisse et des parents d’élèves parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’offres sur la région, qui est enclavée, donc beaucoup d’enfants étaient scolarisés à La Foa et à Bourail, ce qui provoquait une rupture familiale et un éloignement parfois dès la 6e. »

Lors de la dernière journée culturelle de l’année en 2020.

Un enseignement de proximité

Dö-Mwâ est un petit collège qui fonctionne avec une petite équipe. Le démarrage matériel est très compliqué, raconte Aurélie Poyau. « Au début, le téléphone du collège était la cabine téléphonique de la tribu. » Il n’y a alors pas d’éducateur ni de secrétaire, les professeurs font office d’un peu tout. « Moi, j’étais prof de lettres et j’enseignais l’anglais, c’était pareil pour mes collègues, on était seulement trois. » Des insuffisances matérielles compensées par la qualité de l’instruction. « On proposait un enseignement de proximité avec une grande écoute des familles et des enfants. » Si, au vu du nombre d’élèves, environ 35, il était devenu compliqué de maintenir la structure, la fermeture reste compliquée à digérer pour Aurélie Poyau. « Je ne le prends pas de manière très positive. »

 

Anne-Claire Pophillat (© D.R. et Archives de la Nouvelle-Calédonie)