Le braconnage, prédateur des élevages

Le vol et l’abattage sur les exploitations agricoles seraient en recrudescence ces dernières années. Une réunion s’est tenue en présence des éleveurs et de la gendarmerie afin de « renouer les liens » et trouver des solutions, à Bourail, jeudi 11 mai. L’exaspération grandissante fait craindre un « drame ».

Ce n’est pas à Nessadiou qu’ils devraient être, mais à un mariage. Le sujet est trop important pour ce couple de la côte Est, victime de braconnage depuis des années. Des dizaines de bêtes, un préjudice de plusieurs millions de francs. Écœurés, démunis. Les yeux rouges, ils évoquent, au-delà de leur colère, un fort sentiment d’abandon. « Je souffre quand je les entends, ils n’arrivent même pas à parler sans avoir les larmes qui coulent », commente Jean-Christophe Niautou, président de la Chambre d’agriculture et de la pêche. Ils regrettent notamment un manque d’implication des forces de l’ordre. Ils ne sont pas les seuls, ce jeudi 11 mai, à l’antenne de la CAP-NC.

L’enjeu de la rencontre entre éleveurs et gendarmes : « renouer les liens de confiance » qui se « sont distendus ». Et surtout, faire en sorte que les exploitants « reprennent le chemin des gendarmeries » pour déposer plainte. « C’est important de le faire pour que les dossiers puissent être traités. » Beaucoup pensent pourtant que « cela ne sert à rien ». C’est vrai, avoue Nicolas Matthéos, « les chances qu’une enquête aboutisse sont aléatoires », mais au-delà de l’affaire en question, la plainte « permet de prévenir les faits ultérieurs ».

COMMUNICATION, SURVEILLANCE ET MARCHÉ PARALLÈLE

D’autant que la tendance est à la hausse. « On nous informe d’une recrudescence ces dernières années. » Pour agir plus efficacement, la communication va être renforcée. Un gendarme référent élevage a été nommé dans chacune des 28 unités que compte le territoire. Et des éleveurs ont été désignés pour faciliter les relations. « On voudrait aussi créer des groupes de communication sur les réseaux sociaux, dans l’idée des voisins vigilants », indique Jean-Christophe Niautou. La surface à couvrir est vaste, même si des endroits sont particulièrement touchés. La bande littorale de Dumbéa et Païta, Poya… « Nous allons renforcer notre surveillance sur ces zones », assure le général Nicolas Matthéos, évoquant un hélicoptère et des drones.

En face, les braconniers, habiles, privilégient les parcelles en bord de route, accessibles, passent par les voies d’eau et la mer, mènent leurs actions les nuits de pleine lune ou lors d’un week-end prolongé. Le mode opératoire s’est modernisé. « Il y a une meilleure couverture téléphonique, les équipes travaillent ensemble, sont mieux organisées, ont chacune un rôle et, surtout, possèdent des armes silencieuses. C’est une difficulté pour nous, car cela empêche la détection de coups de feu », développe Nicolas Matthéos.

Tony Newland découvre régulièrement des bêtes mortes sur son terrain, à Poya.

Parfois, ils se font prendre. Quatre personnes ayant abattu quatre cerfs d’élevage ont été interpellées avant la fête de Boulouparis. C’est sur le marché parallèle qu’est revendue la majorité du bétail. « Cela arrive de retrouver une cuisse de bœuf dans un bingo ou une fête de village », remarque Jean-Christophe Niautou.

Le reste sert à la consommation personnelle. L’augmentation du coût de la vie n’y serait pas étranger. « Les gens cherchent de la viande pas chère alors ils vont à la chasse au cerf. S’ils n’en trouvent pas, ils abattent une vache. » Le vol de bétail entre éleveurs voisins, s’il existe, reste minoritaire. Et puis, il y a l’acte gratuit. Comme ce cheval tué récemment sur une des propriétés Ballande.

« C’EST TRAUMATISANT »

Les conséquences économiques et psychologiques sont lourdes. Le fruit d’années de travail, une perte de temps et d’argent. Et l’abattage est un acte violent, souligne le commandant de la gendarmerie. « C’est traumatisant. En plus, il y a une charge affective. » Les scènes peuvent être à la limite du supportable. « Parfois, la bête est dépecée encore vivante ou les braconniers n’ont le temps de prélever qu’une cuisse, le reste pourrit sur place. Quand les vaches sont pleines, on retrouve le veau mort », raconte le président de la CAP-NC. Personne n’est épargné, témoigne-t-il. « Je suis maraîcher et on connaît les vols de gasoil, de batterie et de cultures. »

La peur, la pression constante jouent sur les nerfs des exploitants. Le « niveau de tension est très élevé ». Un degré de désespoir tel qu’un jour, la situation pourrait déraper ? Le pire, selon Nicolas Matthéos, serait « qu’il y ait une velléité de se rendre justice soi-même ». Jean-Christophe Niautou corrobore. « On a connu par le passé des drames avec mort d’homme, des affaires qui ont marqué le monde de l’élevage. Il faut absolument éviter cela. »

 

« Je suis en colère »

Tony Newland, éleveur à Poya.

Les éleveurs subissent vols et braconnage depuis des décennies. Un phénomène qui cause des dommages matériels et moraux.

Tony Newland élève 500 têtes de bétail à Poya. Sur ses terres, le braconnage aurait doublé ces dix dernières années. « Avant, c’était trois à quatre bêtes par an. Là, on en est à sept ou huit. » Problème : une partie de sa propriété se trouve en bord de mer. « Les mecs viennent par bateau. » Autre difficulté, celle d’identifier les auteurs. « Tout le monde braconne. »

Et un préjudice financier évalué à 270 000 francs par vache. Bien plus pour un taureau acheté aux enchères. Jusqu’à un million, indique Anthony Rondeau, gérant des exploitations Agrical Ballande situées à Karikaté, Nassandou et Ouinané, 5 000 hectares de foncier et 2 200 têtes de bétail, dont une dizaine abattues ces deux dernières années.

Anthony Rondeau porte plainte à chaque fois, malgré un certain découragement. « Après plusieurs dépôts sans retour, je me suis dit que ça ne servait à rien. Puis, les gendarmes nous ont expliqué à quel point c’était important pour aider à recouper les faits même si, pour le moment, personne n’a été retrouvé. » La nomination de référents, à la fois chez les gendarmes et les éleveurs, devrait permettre d’assurer une meilleure communication. « Si quelques-uns peuvent porter la voix de l’ensemble de la corporation, cela facilitera sans doute un peu les procédures. »

Anthony Rondeau, gérant d’Agrical (groupe Ballande).

DOUBLE PEINE

Le braconnage semble davantage pris en compte par les institutions, mais il « manque encore terriblement de moyens pour agir ». La double peine pour les exploitants. Car, en plus de perdre des animaux, il faut investir dans du matériel. « C’est encore à nous de payer. » Agrical s’est équipé de drones afin de mieux surveiller le domaine. « On espère que ça fonctionne. Je pense que ça irait mieux en échangeant entre éleveurs et voisins, cela pourrait servir à prévenir ces faits en amont. »

Il faut dire que la parcelle est bordée par un lotissement, Les Hauts de Karikaté, de quoi envisager une collaboration plus étroite avec le voisinage. Cela pourrait constituer un début de réponse à ce dossier complexe, notamment en raison de l’irrégularité de la pratique. « C’est imprévisible, cela peut se produire deux ou trois fois, puis plus rien pendant des mois. » Après des années à subir, Tony Newland est à cran. « On le vit mal, je suis en colère », lâche-t-il. Mais pas question de se résigner. Au contraire.

Anne-Claire Pophillat