Le boom d’Airbnb

La plate-forme de location et de réservation de logements américaine explose en Calédonie. Trente, soixante-dix et maintenant cent cinquante inscrits en à peine un an. Les chiffres inquiètent les hôteliers qui y voient une concurrence déloyale. Pour les touristes, c’est une autre façon de voyager, moins chère et plus authentique.

Le principe n’est pas nouveau mais s’est considérablement démocratisé avec Internet. Auparavant, on échangeait des appartements ou on pouvait plus simplement en louer via des agences ou autres annonces de particulier à particulier. La démocratisation d’Internet et la création d’applications de type UberPop ou Airbnb ont commencé à changer la donne ces dernières années. On se souvient du tollé chez les chauffeurs de taxi parisiens en juin 2015, près d’un an après l’arrivée de l’application Uber, d’ailleurs suspendue en juillet. Le Gouvernement vient néanmoins d’apporter une réponse en proposant une application sur le même principe qu’Uber pour les taxis.

La Calédonie était jusqu’à présent relativement épargnée par ces nouvelles pratiques qui se développent autour d’applications sur Internet. Ce n’est plus le cas, du moins dans l’hébergement et en particulier pour la location de meublés du tourisme. L’arrivée discrète d’Airbnb a progressivement fait boule de neige. Chaque mois, le site compte de nouveaux inscrits. Au mois de mai 2015, 70 hébergements étaient recensés, ils sont presque 150 aujourd’hui.

Lutter contre la vie chère

Le contexte de prix très élevés du marché de l’immobilier pousse les propriétaires à s’inscrire, dans la perspective de les aider à payer les traites ou les loyers. C’est d’ailleurs un des arguments de la start-up californienne : en France, elle estime que louer son logement permet de gagner chaque mois dans les 300 euros. En Calédonie, pour une chambre d’ami loué ponctuellement, certains parviennent à gagner dans les 30 000 francs. Si la solution peut paraître miraculeuse, des personnes ont arrêté, non pas parce que cela ne marchait pas, mais bien parce que la location nécessite du travail, en particulier de ménage qui peut décourager lorsque l’on a déjà une activité. On est donc loin du « couchsurfing », site Internet qui permettait aux voyageurs de dormir gratuitement sur les canapés d’inconnus. Si le site existe toujours aujourd’hui mais ne concurrence pas vraiment l’industrie touristique, ce n’est pas le cas d’innombrables applications et pas seulement pour l’hébergement. Les dernières à la mode permettent, comme Cookening, par exemple, d’aller manger chez des particuliers, une alternative au restaurant qui permet également de rencontrer la population locale.

Changement des habitudes ?

Pour les utilisateurs de ces sites et applications, l’idée est d’être plus proche des gens, de vivre des séjours plus authentiques, en particulier lorsque l’hôte reste présent pendant la visite. Airbnb surfe sur cette même idée en offrant à ses clients, la possibilité de vivre comme les locaux. Mais la plate-forme a d’autres arguments pour les voyageurs. Si le prix n’est pas forcément intéressant pour une personne seule, il le devient lorsque l’on est relativement nombreux. Les autres solutions d’hébergement s’avèrent peu compétitives. Contrairement aux hôtels et certains meublés, ces locations permettent de faire soi-même la cuisine, ce qui allège considérablement le budget restauration.

Cette offre marque peut-être une évolution dans la manière de consommer des Calédoniens. Car ce sont bien les Calédoniens qui remplissent pour moitié les établissements hôteliers du territoire. Avec la crise du nickel et les menaces de récession, ils sont peut-être un peu plus attentifs quant à leurs dépenses.

M.D

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25 %

C’est la part des touristes australiens qui utilisent Airbnb selon l’Union des hôteliers
de Nouvelle-Calédonie. Si la tendance est difficilement mesurable pour les touristes métropolitains, l’UHNC mène actuellement une étude sur le marché néo-zélandais.

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Le flou réglementaire

Il n’existe aucune réglementation encadrant la location de meublés, que ce soit pour quelques jours comme une durée plus longue. Mais puisque cela s’apparente à une activité commerciale, les loueurs doivent être à jour inscrits au Registre du commerce et des sociétés, cotiser au Ruamm et déclarer leurs revenus locatifs. Les recettes sont imposées au titre des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), sans oublier la TSS de 5 %. Autant de charges et de lourdeurs administratives dont ne s’embarrassent les utilisateurs d’Airbnb, au contraire des chambres d’hôte.

La DAE au travail

Suite au courrier envoyé par l’Union des hôteliers de Nouvelle-Calédonie, le président du gouvernement a saisi la Direction des affaires économiques. Une étude devrait être réalisée prochainement sur la question et servir de base à une éventuelle décision.

Et ailleurs ?

Loueur attaqué au tribunal à New York, instauration d’une taxe à Paris ou encore à Nantes… La Calédonie est loin d’être la seule touchée par ce phénomène qui connaît une croissance exponentielle et fait trembler les hôteliers du monde entier. Conscient du problème, la direction américaine a fait preuve de bonne volonté en annonçant le 1er octobre 2015 qu’elle collecterait la taxe de séjour qui sera mise en place en 2016 à Paris. Une expérience qui pourrait être suivie par la mise en place d’une taxe similaire à Nantes.

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Questions à Jean Rambaud, président de l’Union des hôteliers de Nouvelle-Calédonie16-RDV-Airbnb-Hotelerie-jean-rambaud

 

 

DNC : Vous avez fait parvenir un courrier au président du gouvernement afin de l’alerter sur la concurrence d’Airbnb. Pouvez-vous nous décrire la situation ?

Jean Rambaud : Notre industrie du tourisme est très fragile. Nous ne sommes pas dans une conjoncture où nous pouvons ingurgiter une concurrence supplémentaire. La situation que traverse le tourisme calédonien est sûrement une des pires au monde. Nous avons une seule compagnie qui nous dessert, le même nombre de touristes depuis vingt ans, pas de nouveaux produits en vue, ni de rénovation pour des problèmes de blocage de défiscalisation. Tout a été donné à Gouaro Deva et au Méridien et il ne reste plus rien pour les autres projets. Il n’y a pas d’investisseurs parce que c’est un marché sans visibilité et sans possibilité de se développer. Parallèlement, c’est une industrie qui peut rapporter énormément à la Calédonie puisque 10 000 touristes supplémentaires rapportent 1,5 milliard de francs en plus. Chaque « 10 000 touristes » apporte 1,5 milliard de francs de devises. Plus il y a de touristes, plus cela nous permet d’embaucher, de faire travailler l’agriculture, le bâtiment… C’est transversal.

Pourquoi Laurent Fabius a-t-il débloqué un milliard d’euros pour le tourisme alors que la France est déjà la première destination mondiale ? Parce qu’il sait très bien que c’est ce qui permet d’équilibrer la balance commerciale. Pour aider au développement touristique.

DNC : La plate-forme Airbnb exerce-t-elle véritablement une concurrence sur l’hôtellerie calédonienne ?

Jean Rambaud : Sur l’ensemble du pôle hôtelier en Nouvelle-Calédonie, un client sur deux est calédonien, il y a des hôtels où c’est davantage. Cela signifie qu’il reste la moitié de clientèle à l’international. Sur cette clientèle, Airbnb nous prend déjà 25 % de la clientèle australienne. Comment faisons-nous si elle nous prend davantage ? Car nous n’avons pas d’autres ressources. Le but de l’UHNC n’est pas d’interdire Airbnb. On ne peut pas l’interdire et je comprends qu’il y ait des gens qui aient besoin de louer leur maison ou leur appartement, la vie étant chère en Nouvelle- Calédonie. Sauf que là, dans notre cas, nous avons les salaires à payer la fin du mois. On parle donc de protéger les emplois. Le tourisme emploie tout de même 5 500 personnes. S’il arrivait que l’on perde 50 % de la clientèle internationale, il faudra licencier. Que Airbnb fasse une concurrence saine en captant une petite partie des 700 à 800 000 touristes à Fidji par exemple, ce n’est pas grave, mais ici, ce n’est pas possible. Nous avons déjà une grosse concurrence entre nous mais aussi avec les pays voisins. Nous ne pouvons pas avoir une concurrence en interne supplémentaire qui profite de la communication qui est faite autour de la Nouvelle-Calédonie mais parallèlement à ça, qui ne paye ni taxe, ni impôts et n’a pas de salaire à verser à la fin du mois. On ne peut pas accepter ça, car on met en danger l’économie hôtelière.

DNC : Est-ce que finalement, ce ne serait pas l’offre hôtelière qui serait inadaptée à la demande ?

Jean Rambaud : Je ne pense pas. Lorsque vous allez sur Airbnb vous pouvez tomber sur une offre concernant Nouméa. En réalité, c’est sur Robinson et ce n’est pas la même chose. Quand ils arrivent, les Australiens pensent qu’ils sont à Nouméa mais quand ils découvrent où se trouve Robinson, ils ne comprennent pas, ils ont besoin d’une voiture… Et c’est très différent du service hôtelier qui répond aux normes internationales avec toutes les commodités et les facilités que sont en devoir d’attendre les touristes.

DNC : Ce que cherchent finalement les gens, ce n’est peut-être pas ou plus
un service hôtelier ? On le voit ailleurs dans le monde, cette tendance ne concerne pas seulement le logement mais aussi les autres services comme la restauration.

Jean Rambaud : Oui, c’est vrai, mais c’est à double sens. Si vous louez en Seine Saint-Denis en pensant vous retrouver au centre de Paris, vous allez être déçu et ça peut être mauvais pour le développement touristique. C’est au gouvernement de prendre ses responsabilités. Je ne comprendrais pas que l’on puisse échapper aux taxes, aux impôts et que l’on ne fasse rien. Ce n’est pas normal. Il faut prendre la mesure de ça. Il faut savoir que sur un chiffre d’affaires hôtelier 45 % est sur la masse salariale et je ne parle pas de revenu net. Il y a un travail de réflexion à mener par le gouvernement et très rapidement car Airbnb se développe très vite. Notre économie touristique est trop fragile. On est sur le fil du rasoir.