L’Azerbaïdjan, « un partenaire » ou l’ennemi

Des représentants de Martinique, Guadeloupe, Polynésie ou encore du FLNKS ont créé, au siège de l’UC, le Front international de décolonisation. (Photos © Y.M.)

La création du Front international de décolonisation à Nouméa, avec des participants d’outre-mer, a réactivé les dissensions entre l’Azerbaïdjan, soutien de forces indépendantistes, et les autorités françaises.

La signature a été posée la veille de l’ouverture du 44e congrès du FLNKS. Les jeudi 23 et vendredi 24 janvier, des représentants de Guadeloupe, Guyane, Martinique et Polynésie française ainsi que du Front, auxquels se sont joints à distance des Corses et des militants des territoires néerlandais Bonaire et Sint Maarten, ont acté la création du Front international de décolonisation (FID) au siège de l’Union calédonienne à Nouméa.

Cette démarche politique s’inscrit dans le prolongement du congrès des colonies françaises, organisé les 17 et 18 juillet en Azerbaïdjan, avec le soutien du Groupe d’initiative de Bakou. Cette ONG est proche de Ilham Aliyev, président du régime autoritaire azerbaïdjanais. « Ce Front nous servira de cheval de Troie pour nous installer dans les instances internationales », a indiqué l’un des signataires, Jean-Jacob Bicep, de l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe.

« UNE CONDAMNATION »

Le FID vise notamment l’inscription de la Martinique, de la Guadeloupe ou encore de la Guyane et de la Corse sur la liste des territoires non autonomes, dit à décoloniser, de l’ONU. Et milite en faveur de l’accession à la pleine souveraineté de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. L’ombre du drapeau azéri a flotté sur le 44e congrès du FLNKS. « L’Azerbaïdjan est un partenaire comme demain nous en aurons d’autres qui nous aideront à continuer notre lutte, ajoute Jean-Jacob Bicep. Nous ne sommes pas, comme certains de la presse occidentale prétendent, des marionnettes que l’Azerbaïdjan agiterait au gré de ses intérêts géostratégiques et politiques. »

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Abbas Abbasov, directeur exécutif du Groupe d’Initiative de Bakou, a salué la fondation du FID, avant de critiquer vertement l’attitude des autorités françaises lors des émeutes du 13 mai.

Paris a réagi. Dans une interview accordée au quotidien Ouest-France samedi 25 janvier, le ministre d’État aux Outre-mer, Manuel Valls, a tenu à « dénoncer fermement les opérations d’ingérence et de déstabilisation de l’Azerbaïdjan dans nos territoires d’outre-mer. Elles méritent une condamnation unanime de tous ».

Les membres du Front international de décolonisation à Nouméa ont participé au 44e congrès du Front, à Saint-Louis. (© Y.M.)

Le député Nicolas Metzdorf a même annoncé mardi 28 janvier le dépôt d’une proposition de résolution européenne en ce sens. L’élu suggère, parmi les mesures envisageables, la mise en place d’« un boycott diplomatique lors d’événements internationaux impliquant l’Azerbaïdjan, une démarche déjà partiellement initiée lors de la COP ».D’autres voix loyalistes calédoniennes se sont élevées à la fois contre la création du FID sur leur terre mais aussi contre les manœuvres azéries suspectées. La question se pose, d’autant plus après la période de violences l’an passé : l’Azerbaïdjan et le Groupe d’initiative de Bakou viennent-ils véritablement soutenir la revendication d’émancipation portée par des mouvements ultramarins, ou n’est-ce qu’un levier pour viser le pouvoir tricolore ? « Les outre-mer français sont […] ostensiblement ciblées par Ilham Aliyev qui va s’en servir dans le cadre de représailles globales vis-à-vis des intérêts français » écrit le chercheur Pierre-Christophe Pantz, dans la Revue Défense nationale.

La France ayant affirmé son soutien à l’Arménie, dans le conflit du Haut-Karabakh. Beaucoup de rumeurs ont circulé l’an passé sur une éventuelle intervention directe de Bakou lors de l’insurrection. Selon le docteur en géopolitique, « on ne peut pas affirmer que l’Azerbaïdjan ait fomenté les émeutes qui ont embrasé la Nouvelle-Calédonie ».

 

L’autre voix
Dans une tribune partagée sur les réseaux sociaux mercredi 29 janvier, Tematai Le Gayic, pourtant élu indépendantiste du Tavini Huiraatira, a condamné le rapprochement avec Bakou. « Les mouvements progressistes n’ont aucun intérêt à s’allier à l’Azerbaïdjan, écrit l’ancien député. L’Azerbaïdjan ne défend en rien les valeurs progressistes et décoloniales. Il les exploite. S’allier à ce régime, c’est trahir ses propres idéaux. » Pour l’ex-benjamin de l’Assemblée nationale, la posture de Bakou « n’est qu’un écran de fumée destiné à masquer son propre impérialisme et ses ambitions expansionnistes ».
Yann Mainguet