L’Autorité de la concurrence donne raison à la SCCI

La guerre qui oppose la Société calédonienne de connectivité internationale à l’OPT est loin d’être finie. L’Office, qui avait privilégié un autre projet de câble, s’est fait retoquer par l’Autorité de la concurrence. Elle enjoint l’OPT d’accepter le raccordement voulu par la SCCI et pointe un abus de position dominante. Un recours sera prochainement déposé devant la cour d’appel de Paris.

Les câbles sous-marins suscitent toujours bien des remous en Nouvelle- Calédonie. On se souvient du projet Spin, pour South Pacific Island Network, qui visait à connecter la Nouvelle-Calédonie à un câble reliant la Nouvelle-Zélande à la Polynésie française à la fin des années 2000 et soutenu par le président de l’Office des postes et télécommunications de l’époque, Harold Martin. Ce projet privé, déjà porté par Rémi Galasso, avait été abandonné faute de financements et en raison de l’opposition d’une partie de la classe politique calédonienne.

Rémi Galasso a de la suite dans les idées puisque c’est également lui le porteur du projet de câble Tomoo (tricot rayé en nââ kwenyii, langue kunié) qui doit rattacher l’île des Pins au câble sous-marin Hawaiki qui relie l’Australie aux États-Unis, tout en desservant des îles du Pacifique. Cela lui aura pris quelques années, mais le promoteur de Spin aura finalement réussi à boucler son tour de table pour financer son projet. Si le projet de câble porté par la société calédonienne de connectivité internationale a recueilli les faveurs de plusieurs pays du Pacifique, Polynésie française comprise, ce n’est pas le cas de la Nouvelle-Calédonie.

Pour rappel, l’OPT avait lancé une procédure d’appel d’offres en 2016 pour un câble sous- marin visant à sécuriser la connexion internet du territoire, assurée par l’unique câble Gondwana, reliant la Nouvelle-Calédonie à l’Australie. Le 29 octobre 2018, l’Office des postes avait toutefois mis un terme à la procédure, estimant que les différents projets en cours dans la région allaient permettre de faire baisser les prix. De fait, entre 2014 et 2017, les prix d’achat du gigabit avaient été divisé par quatre. Le nouvel appel d’offres, relancé en mars 2019, excluait l’achat de capacité pour ne retenir que l’infrastructure, à savoir le câble. Un moyen habile d’éconduire l’un des deux candidats au premier appel d’offres déclaré infructueux.

Une volonté d’évincer la concurrence

Seul Alcatel, l’autre soumissionnaire au premier appel d’offres, avait présenté un nouveau projet retenu par l’OPT en avril 2020. Le marché de ce câble représente 4,447 milliards de francs et permet de relier la Nouvelle-Calédonie à Fidji, tout en sécurisant les îles Loyauté et l’île des Pins. Les recours de la SCCI ont débouché sur la publication d’un avis de l’Autorité de la concurrence le 2 juillet. Un avis qui prend à contre-pied l’OPT et les élus du conseil d’administration, à commencer par Yoann Lecourieux, son président, membre du gouvernement en charge du budget et plutôt opposé au projet.

Pour le président du conseil d’administration de l’OPT, tout comme les syndicats, ouvrir la concurrence sur les télécommunications constitue un premier pas vers le démantèlement du monopole de l’OPT sur la poste et les télécommunications. Les élus et les agents redoutent une dégradation du service public qui en résulterait, l’OPT n’aurait plus les moyens de maintenir son niveau de service public sur l’ensemble du territoire. Aujourd’hui, quelques activités rentables, comme les télécommunications, permettent de financer les autres postes déficitaires de l’Office.

Ouvrir à la concurrence la fourniture de données numériques ferait perdre de fait à l’établissement public les bénéfices d’un marché juteux qui retomberaient pour partie dans l’escarcelle d’une société privée. L’Autorité considère que l’argument ne tient pas véritablement du fait du poids de la fourniture de données internationales dans le chiffre d’affaires de l’Office. Selon l’Autorité, cela représenterait 4 % des 23,6 milliards de francs générés par les activités de l’OPT, soit un peu moins d’un milliard de francs*.

La SCCI, de son côté, fait valoir le montant de l’investissement, intégralement pris en charge par l’Office, ce qui n’est pas le cas de son projet, financé par la SCCI, et les gains attendus pour les internautes calédoniens. Sur ce plan, l’OPT a revu sa grille tarifaire le 1er mars permettant de baisser le tarif de 40 % pour les fournisseurs d’accès. Si des baisses de prix sont régulièrement décidées, la dernière intervient au moment opportun pour couper l’herbe sous le pied de la SCCI qui prévoyait une baisse des tarifs de l’ordre de 50 %. Dans sa décision du 2 juillet (consultable sur le site de l’Autorité, autorité-concurrence.nc),

l’Autorité de la concurrence rappelle que le gouvernement avait été alerté dès septembre 2018, à l’occasion d’une réflexion sur l’avenir de l’OPT, quant à la fragilité juridique du monopole de l’OPT sur la question de « l’accès au réseau de télécommunications à haut débit par l’intermédiaire d’un câble sous-marin ». Une fragilité que les élus n’avaient pas cherché à consolider. Pour l’Autorité, « le refus de répondre à la demande d’interconnexion de la SCCI sur le réseau de télécommunications local est susceptible de constituer une pratique d’abus de position dominante de l’OPT ».

Des enjeux multiples

De la même façon, l’ACNC interprète la nouvelle grille tarifaire comme une « stratégie tarifaire d’éviction anticoncurrentielle ». L’Autorité soupçonne même que cette nouvelle grille puisse relever d’une « pratique de subvention croisée anticoncurrentielle ». La baisse de 40 % des tarifs pour les fournisseurs d’accès résulte d’une baisse du tarif d’accès au réseau international de 77 %, compensée par une hausse du tarif au réseau local de 18 %. Pour faire simple, l’ACNC reproche à l’OPT d’avoir augmenté ses tarifs pour le réseau local sur lequel l’Office dispose d’un monopole** pour être plus compétitif sur le réseau international que l’Autorité considère ouvert à la concurrence, compliquant de fait l’entrée sur le marché de la SCCI.

L’Autorité estime que la nouvelle politique tarifaire de l’OPT et son refus de connecter le câble Tomoo au réseau local met en péril la SCCI, alors que l’établissement public dispose simplement d’un monopole réglementaire et non pas légal. Une différence qui permet l’entrée de nouveaux acteurs. Une concurrence que les fournisseurs d’accès voient plutôt d’un bon œil. L’ACNC conclut que les pratiques de l’OPT sont anticoncurrentielles et portent une atteinte grave aux intérêts des consommateurs et enjoint donc l’établissement à proposer à la SCCI, dans un délai maximum de huit semaines, une offre technique et commerciale d’accès au réseau « à des conditions objectives et non discriminatoires et orientée vers les coûts, pour lui permettre l’exercice d’une concurrence effective sur ce marché ». En revanche, l’Autorité ne se prononce pas sur la nouvelle grille tarifaire, laissant le tribunal administratif qui a été saisi se prononcer. Pour sa part, elle juge que l’annulation pourrait constituer un préjudice pour le consommateur au travers d’une hausse des prix.

L’OPT a d’emblée annoncé qu’il porterait un recours devant la cour d’appel de Paris. Ce qui va se jouer, c’est le caractère légal ou non du monopole et il y a fort à parier que le gouvernement ne se laissera pas faire. Au-delà de cette question commerciale se posent de nombreuses autres questions. Cette situation questionne quant à l’ambition réelle de développer l’économie numérique, au-delà des discours volontaristes qui se concrétisent finalement par des politiques publiques faibles et la défense de l’intérêt des consommateurs, liée la légitimité du gouvernement à financer une partie de son déficit budgétaire par des ressources tirées d’un monopole confié à l’un de ses établissements publics. Un dernier point qui renvoie à l’obsolescence de la fiscalité calédonienne.

* De fait, la rentabilité de l’OPT permet au gouvernement de prélever dans les comptes de l’établissement public, bon an mal an, des sommes proches du milliard de francs pour abonder son budget général. La ponction s’est élevée à quatre milliards de francs en 2018.

** La consommation de bande passante des fournisseurs d’accès se décompose par une consommation de capacité pour le trafic international de 31 % (marché sur lequel souhaite se positionner la SCCI), de bande passante sur le trafic local de 7 % et 62 % pour le trafic proximisé (où l’OPT est en situation de monopole).

M.D.

©C.M.DNC