Laura Ribeiro, une vie samba

Depuis son installation à Rio, en juin 2022, Laura Ribeiro n’a vécu que pour la danse emblématique du carnaval, jusqu’à ce titre de champion remporté par son école neuf mois plus tard, « un moment historique ». Un pied au Brésil, un autre en Nouvelle-Calédonie. Dans les pas (de danse) de sa mère, Carine Richez. Toujours « à fond ».

« Je savais que j’allais défiler, mais vivre tout cela quelques mois seulement après mon arrivée… ». Laura Ribeiro n’en revient toujours pas. Fin février, son école, Imperatriz Leopoldinense, a été sacrée championne du carnaval de Rio de Janeiro, un premier prix qu’elle n’avait pas obtenu depuis 22 ans.

Le mardi 21 février, sur le Sambadrome – immense stade construit spécialement pour accueillir la parade – au milieu de dizaines de milliers de personnes, la jeune femme improvise des pas de samba au son et au rythme de la « bateria » (les percussions), au côté des 70 danseurs de son groupe. « C’est fou de se dire que j’ai fait partie de ce moment historique. »

Un an auparavant, Laura Ribeiro n’habite même pas encore à Rio, où elle emménage en juin 2022. « Je n’avais rien planifié, je me disais,  »on va voir ce qu’il se passe »,  »je vais dire oui à toutes les opportunités qui se présentent ». » Portée par son engouement pour la danse depuis petite. « C’est ma mère qui me l’a donné, parce qu’elle est tombée amoureuse du Brésil et cela fait partie de mon identité. »

« ME RECONNECTER AVEC MON PAYS »

Sa mère, Carine Richez, danseuse et professeure, a vécu dans ce pays où elle a rencontré le père de Laura. C’est là qu’elle est née, à Salvador de Bahia, en 1995, et qu’elle a passé ses premières années avant de partir en bateau jusqu’en Nouvelle-Calédonie.

À 18 ans, Laura Ribeiro rêve de voyage et de cinéma, et part étudier à Montréal pendant trois ans. « Ça m’a aidé au niveau artistique et ouverture d’esprit, mais j’ai compris que ce n’était pas pour moi. Depuis toujours, mon but était de voyager. » Direction Barcelone, où elle vit de petits boulots pendant quatre ans et reprend la samba. Au moment du Covid, elle réalise que seule compte la danse.

En Nouvelle-Calédonie pendant quelques mois, elle en profite pour pratiquer « à fond » et mettre de l’argent de côté. Ce n’est qu’une étape avant le Brésil, « pour danser et me reconnecter avec mon pays que je ne connaissais pas », et surtout Rio, berceau de la samba. Le début de l’aventure.

« TU N’AS PAS DE VIE »

La jeune femme de 27 ans s’installe à Santa Teresa, quartier historique, rencontre des « gens incroyables » ‒ « mes colocs sont devenus ma famille » ‒ et intègre Imperatriz Leopoldinense. Dans cette école de la « communidad », les cours et les costumes sont gratuits, car « beaucoup n’ont pas les moyens de payer ».

Cette passion peut coûter cher entre les chaussures, les tenues, le maquillage et les coiffures. « C’est aussi un milieu dans lequel il y a beaucoup d’argent, notamment dans certaines structures. » Une de ses contradictions parmi d’autres. « Je suis hyper féministe, tu veux être toi-même sans trop exagérer, et en même temps, se faire les ongles, ça fait beau. »

Laura Ribeiro danse quinze heures par jour minimum voire non-stop en période de répétitions pour le carnaval, but ultime. Dans un immense hangar – chaque groupe a le sien ‒, dans les rues du quartier de l’école puis, en janvier, sur le Sambadrome, dans les conditions du jour J. Un moment particulier. « Ma mère, qui était venue me rendre visite, m’a vu ce jour-là, c’était beaucoup d’émotion. » Son quotidien est dédié à l’entraînement. « Tu n’as pas de vie. Le soir, je n’arrivais plus à marcher tellement j’avais mal aux pieds, ni à parler tellement j’étais fatiguée. »

Cette année, le défilé est construit autour de l’histoire d’un célèbre chef de bande du Nordeste, une figure des années 1920, début 1930. Musique, chars, chant, costumes en découlent. Le thème est « souvent engagé et politique ». « D’autres écoles parlent racisme, femme noire, minorités. » À rebours de l’image véhiculée par la samba, de plumes et de paillettes.

« LA LIBERTÉ DE FAIRE CE QUE TU VEUX »

À l’annonce des résultats, quelques jours plus tard, c’est à nouveau la liesse dans les rues. « C’était la folie, il y avait des centaines de milliers de personnes, la présidente de l’école est venue, elle a montré la coupe. » Les six premières formations redéfilent une semaine après dans « une ambiance plus détendue. On est passé à 5 heures du matin, au lever du soleil, c’était magnifique. »

Pour Laura, cette danse brésilienne « est une drogue ». Elle se sent « vibrer. Même quand tu es fatiguée, tu entends la musique et hop, c’est parti. Tu connectes avec les personnes à travers la danse, dans un regard, un sourire, c’est parfait. » Elle découvre un monde qui autorise le lâcher prise, « la liberté de pouvoir faire ce que tu veux sans penser à ce que vont dire les gens ».

Et ainsi la possibilité d’être une autre. « Tu peux créer ton univers avec une identité complètement différente. » Et surtout avoir confiance en soi. « Les Brésiliens se sentent bien, beaux, et je me suis dit, moi aussi je veux être comme ça. Il n’y a pas de jalousie, les gens te font des compliments, tu n’as pas peur de dire ce que tu ressens ou ce que tu penses. »

Une liberté précieuse et salvatrice dans « un pays très conservateur » et un quotidien aux antipodes. « La réalité que j’ai vécue là-bas était tellement intense, les enfants qui vendent des chewing-gums sur la plage, la corruption, la pauvreté, les favelas, que j’avais un peu peur en revenant ici », raconte Laura, qui apprécie la tranquillité de la Nouvelle-Calédonie.

Si sa famille lui manque, sa vie est désormais de l’autre côté du globe. La danseuse est en train de se former pour devenir une professionnelle de la discipline et souhaite s’installer définitivement au Brésil, où elle repart en septembre, dans le monde « magique » de la samba.

Anne-Claire Pophillat

Quand elle danse, la rayonnante Laura Ribeiro se sent « vibrer », une énergie d’une telle intensité qu’elle ne retrouve que dans la samba./ © DR