L’arrêt de la garantie émeutes fait réagir

Cyril Martinez, autrefois responsable d’Eclipse NC, a vu ses deux locaux partir en fumée à la suite des émeutes. (© Nikita Hoffmann)

Devant les sommes d’indemnisation astronomiques auxquelles elles doivent faire face depuis le déclenchement des émeutes, la plupart des compagnies d’assurance calédoniennes se dirigent vers une suppression de la garantie émeutes. Une décision qui interroge nombre de chefs d’entreprise.

À l’approche de leur renouvellement de contrat d’assurance professionnelle, quelques entrepreneurs ont pu, ces dernières semaines, recevoir un mail « urgent » de leur compagnie d’assurance. Sans préciser de quel changement il s’agit, le courrier informe d’une « évolution » de leur contrat, avant de programmer la signature prochaine d’un avenant.

Début août, ce n’est qu’en appelant directement son agence que Paul*, responsable d’une entreprise située à Apogoti, a obtenu plus de précisions. « On m’a dit en off que la garantie émeutes allait être supprimée […] Ils m’ont expliqué que j’avais le choix de ne pas signer l’avenant, mais que si je ne le faisais pas, c’est la rupture de contrat », relate-t-il.

Pourquoi une telle décision, alors que le territoire subit toujours actuellement des actes d’émeutes ? Selon David Guyenne, président de la CCI, les montants des sinistres perpétrés durant la crise s’élèveraient à plus de 120 milliards de francs. Des sommes « très importantes, qui remettent en question le modèle économique des assurances calédoniennes ».

Si cette suppression de la garantie s’appliquera qu’une fois le contrat renouvelé (lire page suivante), la question du futur tarif annuel interroge. « Dans le mail que j’ai reçu, il est stipulé que cette mise à jour n’aura aucune incidence sur le montant de ma prime annuelle […] Ça m’embête, car je n’aime pas payer le même prix pour une moins bonne prestation », relève Paul*.

DÉSENGAGEMENTS

Une mesure qui, en vérité, est révélatrice des difficultés rencontrées par les assurances depuis le déclenchement de la crise. Alors que son entreprise située autrefois dans la galerie de Carrefour et son local de Normandie ont pris feu durant les émeutes, Cyril Martinez n’a pu prétendre ni à la garantie émeutes, ni à celle de l’incendie pourtant comprises dans son contrat. « Lorsque j’ai demandé à être indemnisé pour incendie, ils m’ont dit que ce n’était pas possible car ça avait été réalisé dans le cadre des émeutes ; mais par contre, quand je fais jouer ma garantie émeutes, on me dit que celles-ci ne comprennent que les pillages, le vandalisme et les effractions… », soulève-t-il.

Une situation que vit également l’un de ses confrères, Sylvain Camin, détenant lui aussi un commerce au sein de la galerie de Kenu-in il y a encore quatre mois. « Au début, un expert envoyé par mon assurance m’avait rassuré d’entrée quand il était venu sur place constater les dégâts, en me disant que j’allais être indemnisé. Puis finalement non, ils sont revenus dessus au bout de quelques semaines », dénonce celui-ci.

Afin de faire valoir leurs droits, Cyril Martinez et Sylvain Camin ont donc engagé une contre-expertise. Si le second compte bien « relancer des business » dans le futur, l’arrêt de la garantie émeutes « l’embête un peu ». « Si nous n’avons pas d’accord politique viable, les émeutes peuvent recommencer à tout moment. Donc pourquoi relancer un business si nous ne sommes même pas sûrs d’être indemnisés ? », interroge-t-il.

Alors que la réintégration de cette garantie d’ici quelques temps semble pour le moment compromise, la CCI recommande par conséquent aux entreprises d’augmenter leur sécurité « avec des caméras de surveillance, ou en conservant ses données sur le cloud ». Pas uniquement pour éviter la dégradation de leurs locaux, mais également « de façon à ce que si un sinistre se déclenche, il y aura possibilité de le qualifier autrement que par une émeute ».

*prénom d’emprunt

 

DES BANQUES « PLUS REGARDANTES »

La suppression de la garantie émeutes pourrait-elle avoir un impact futur sur les prêts accordés par les banques aux entreprises ? La question mérite d’être posée. Selon Lionel Wolff, directeur général de BNP Paribas Nouvelle-Calédonie, cet arrêt va forcément « remettre en question un certain nombre de projets ». Les concernant, ils seront « plus regardants » sur les destinataires des prêts. « Cela dépendra davantage de la taille de l’entreprise », développe-t-il.

Même son de cloche à la Société Générale, où l’obtention des prêts devrait se faire « au cas par cas ». « C’est une difficulté additionnelle pour nous […] Mais nous analyserons chaque dossier », précise la Direction.

En attendant, « ce qui bloque » l’obtention de crédits, selon David Guyenne, « c’est davantage la peur, pour les chefs d’entreprise, de s’endetter davantage. Aujourd’hui, ils sont tellement dans la survie qu’ils n’envisagent pas pouvoir contracter des prêts, et ne le font pas ».

 

Nikita Hoffmann