L’Agence rurale bientôt soumise au vote du Congrès

Les élus du Congrès devront se prononcer, le 14 juin, sur la création de l’Agence rurale qui regroupera l’Erpa, Établissement de régulation des prix agricoles, et l’Apican, Agence pour la prévention et de l’indemnisation des calamités agricoles ou naturelles. L’Autorité de la concurrence a rendu public un rapport qui apporte plusieurs recommandations à ce projet, soutenu par le gouvernement.

La Nouvelle-Calédonie peut-elle être autonome sur le plan alimentaire ? C’est tout l’enjeu des différentes réformes et politiques publiques mises en œuvre ces deux dernières années par les collectivités, en particulier le gouvernement et la province Sud. Au cœur du dispositif, le gouvernement souhaite créer une nouvelle structure fusionnant l’Erpa et l’Apican. L’Agence rurale aura la tâche d’assurer une meilleure coordination des politiques agricoles et pourrait permettre de réaliser des économies de fonctionnement de l’ordre de 100 millions de francs par an. Outre de mettre en œuvre la politique de régulation des prix et d’organiser les marchés, elle sera chargée de la prévention ou la limitation des dommages causés à la nature, ainsi que les indemnisations en cas de calamité agricole. L’Agence rurale a également pour mission de préserver la ressource en eau et de faciliter l’accès aux facteurs de production pour les agriculteurs. Autant de missions qui étaient jusqu’à aujourd’hui assurées par les deux autres établissements publics.

Le Conseil économique, social et environnemental s’est prononcé en faveur de la création de ce nouvel établissement public à la mi-avril, en assortissant son avis de nombreuses recommandations. Pour rappel, la Chambre territoriale des comptes préconisait cette fusion dès 2011 dans l’un de ses rapports. Au titre des recommandations du Cese, on retiendra le conditionnement du versement des aides et des indemnisations à des formations aux producteurs. Les règles d’attribution devront par ailleurs être revues afin de les rendre plus claires. L’agence devrait aussi s’occuper d’organiser la filière fruits et légumes si les agriculteurs ne parviennent pas à le faire eux-mêmes.

Transparence, contrôle, moins de politique et plus d’efficacité

En dehors de la représentation au conseil d’administration (le Cese recommande de privilégier des représentants des consommateurs et des environnementalistes plutôt que des professionnels de façon à éviter les conflits d’intérêts, alors que l’Autorité de la concurrence préconise d’associer les professionnels), les recommandations du Cese et de l’Autorité vont sensiblement dans le même sens. Cette dernière souligne l’importance d’ouvrir le conseil d’administration qui, dans le projet du gouvernement, est essentiellement composé de représentants politiques. Les deux organismes recommandent fortement que la défense des intérêts des consommateurs soit au cœur des préoccupations, élément qui n’est pas clairement prévu dans les statuts du futur établissement.

L’Autorité insiste aussi particulièrement sur la transparence de l’Agence rurale et la publication de rapports annuels, mais aussi des aides accordées et de leurs bénéficiaires. Le rapport de la Chambre territoriale des comptes avait d’ailleurs pointé de nombreux dysfonctionnements. Toutes ces informations pourraient être consultables sur agriculture.nc dont la création, pour mémoire, a coûté près de 1,5 million de francs, soit presque quatre fois plus que pour un site internet, sans parler de son fonctionnement. En à peine trois ans, le site a coûté la coquette somme de 35 millions de francs à la collectivité pour un résultat qui reste à l’appréciation de chacun, alors même que la mission de la promotion de l’agriculture n’appartient pas à l’Apican.

Sur la question de la transparence, l’Autorité estime qu’un système trop opaque peut créer des distorsions de concurrence en favorisant certains producteurs et, par conséquent, contribuer à éliminer la concurrence. Dans cette logique, l’Autorité recommande que les provinces délèguent leur soutien à l’Agence. Parce que les politiques agricoles relevant des provinces, les aides sont différentes en fonction de la localisation des exploitations. L’idée serait de les harmoniser afin de ne favoriser personne en particulier.

En interprétant un peu les arguments de l’Autorité de la concurrence, on comprend qu’une remise à plat s’impose, eu égard aux résultats des différentes politiques publiques. Lors des auditions, la Chambre d’agriculture a rappelé que pour un chiffre d’affaires de 12 milliards de francs, l’agriculture a reçu tout autant de subventions et d’aides, sans compter que pour cinq agriculteurs, les collectivités mettent à leur disposition un agent technique ou administratif. Si la question de l’aménagement du territoire et le maintien des populations dans les zones rurales est primordial, à quel prix doit-il se faire ? Il apparaît indispensable de mettre en place un système de soutien plus clair pour tous les agriculteurs et mieux contrôlé.

Quels sont les résultats des politiques agricoles de ces dernières années qui ont fait progresser fortement le niveau de subventionnement de notre agriculture (+ 15 % entre 2010 et 2016) ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En dépit de ce soutien massif, l’Autorité estime que l’ensemble des filières sont en perte de compétitivité. Si l’on regarde dans le détail, l’évolution de la production s’est accompagnée d’une très forte augmentation des prix. Sur la période 2010- 2016, l’inflation hors tabac a été de 6 %. De leur côté, les prix des légumes frais ont bondi de 23,3 % et de 33,6 % pour les fruits frais.

Les conséquences pour la société calédonienne sont considérables ; en matière de pouvoir d’achat, l’alimentation est le deuxième poste de consommation des ménages. Les conséquences sont particulièrement ressenties par les ménages les plus fragiles, mais aussi par les autres secteurs économiques qui transforment la production agricole ou l’utilise, c’est tout particulièrement le cas de l’industrie touristique, par exemple.

Quel est le sens des politiques agricoles ?

La question de la régulation n’est pas accessoire. Le haut niveau de prix, justifié par le maintien d’une agriculture calédonienne, a nécessité la création d’organismes comme l’Ocef. L’Office a pour mission de stabiliser les prix et garantir un revenu décent aux producteurs, pour autant, on a assisté à une baisse de la production. Et par ailleurs, il est très difficile de se faire une idée de ce que pourrait être un revenu décent puisque l’on ne connaît pas les coûts de production des éleveurs. C’est le cas plus généralement de l’agriculture pour laquelle les pouvoirs publics n’ont que des estimations très partielles des coûts de production. Faute de données et d’analyses économiques, il est impossible de savoir dans quelle mesure les augmentations des prix des produits agricoles de ces dernières années sont liées à celle des coûts de production des différentes filières.

Dans ces conditions, quel sens donner aux politiques agricoles calédoniennes déconnectées des réalités de l’agriculture ? Les nouvelles politiques agricoles présentées en 2016, notamment celle de la province Sud, sont certes plus volontaristes, mais ne sont pas en rupture avec les précédentes. De la même façon, le soutien par les prix – système que dénonce l’Autorité de la concurrence qui lui préfère un soutien aux investissements – n’est pas remis en question. Les pouvoirs publics qui fixent les quotas et l’ouverture des importations ne disposent pas de données fiables qui restent au bon vouloir des producteurs et conduisent très régulièrement à des pénuries au niveau de la distribution locale.

Comme le souligne l’Autorité de la concurrence dans sa première recommandation, il y a un grand absent de tous ces dispositifs : le consommateur et donc, d’une certaine manière, l’intérêt général. L’Autorité insiste pour que la préservation de l’intérêt du consommateur soit inscrite dans les statuts de la future Agence rurale. Si l’Autorité se prononce plutôt en faveur de la création de cette agence, il n’en reste pas moins que ses recommandations touchent à des problèmes de fond que les élus du Congrès devraient avoir à l’esprit au moment de voter.

L’ensemble du rapport de l’Autorité de la concurrence est en ligne sur : www.autorite-concurrence.nc

M.D.