La vidéo, seul lien entre le malade et sa famille

Afin de maintenir un contact entre les patients et leurs proches, le CHT a mis en place une cellule dédiée qui permet à la fois d’informer les familles de l’état des patients grâce aux Demoiselles du téléphone et d’établir une communication vidéo pour ceux qui le souhaitent par l’intermédiaire des Gardiens du lien.

La création de la cellule du maintien du lien par le Médipôle, opérationnelle depuis mercredi dernier, répond au manque d’échanges entre les malades, leurs proches et les soignants depuis la crise sanitaire. Les visites sont interdites, sauf deux personnes maximum par patient en fin de vie et trois en cas de décès sur accord du médecin. Et les soignants, débordés, n’ont plus de temps pour communiquer avec les familles, même par téléphone.

« Il y avait un vrai besoin, on avait beaucoup de réclamations, introduit Émilie Beurier, cheffe du service clientèle du CHT. Il n’y a plus de lien réel, c’est là tout l’enjeu de ce service, en conserver un, même s’il est altéré. » Le dispositif se compose de deux équipes. Celle, d’abord, de huit agents médicaux administratifs qui se sont baptisés les Demoiselles du téléphone. Elles prennent en charge les appels des familles qui veulent des renseignements sur l’état de la personne hospitalisée, puis vont à la rencontre des soignants dans les services avant de rappeler les proches pour répondre à leurs questions. « Depuis leur mise en place, entre 80 et 90 familles de patients ont été renseignées », annonce Émilie Beurier.

Choisir entre respirer et parler

Et puis, il y a le groupe des Gardiens du lien, qui réunit des assistantes sociales, du personnel paramédical du CHT et des bénévoles de l’Association pour la qualité de vie des patients, chargé des appels vidéo. Plus d’une centaine ont été établis la première semaine. Julie Catoire, responsable du service social du CHT, gère l’équipe. La procédure est assez simple, les familles appellent pour demander un contact vidéo, laissent leurs coordonnées, téléphone et Messenger, un des Gardiens du lien les rappelle, explique le fonctionnement et va en chambre pour établir la communication.

Mais, dans les faits, ce n’est pas si évident. Pour deux minutes d’échange, cela peut prendre quinze minutes de préparation. « Il faut mettre une blouse, un tablier, un masque, une charlotte, se laver les mains, désinfecter le matériel, appeler les familles avant, parfois leur apprendre comment fonctionne Messenger, la connexion n’est pas toujours bonne, puis on ressort, on enlève la blouse, etc. et on redésinfecte tout. On ne fait quasiment plus que ça de la journée », témoigne Julie Catoire.

L’entourage, angoissé, ne sait pas trop à quoi s’attendre. Chacun essaye de rassurer l’autre, de lui donner du courage, les proches incitent le malade, parfois très affaibli par le virus, à se battre et à s’accrocher. « Souvent, les appels sont courts parce que les patients sont tellement essoufflés qu’il leur faut choisir entre respirer et parler. »

Les Gardiens ont du mal à honorer toutes les sollicitations. « On manque de temps pour aller d’un service à l’autre. On avait deux frères en réanimation et l’un des deux est décédé, du coup, tout le monde voulait voir l’autre, mais on ne peut pas y aller à chaque fois. Et puis, il est trop mal en point pour répondre, il ne peut pas parler et respirer en même temps, certains ne peuvent pas dire plus que quelques mots. »

Rendre concret

Ce lien visuel convient également mieux dans certaines situations, notamment pour les personnes malentendantes, et permet de prendre conscience de l’environnement du malade. « En réanimation, les gens sont intubés, donc la visio permet de visualiser les lieux, la chambre, de rendre les choses concrètes, et même si la personne peut mourir, cela permet de savoir où elle est et dans quel état, amaigrie, intubée, ventilée, si elle arrive à s’asseoir ou manger. »

Cette prise en charge n’est pas sans conséquence, même si l’équipe est constituée de personnes habituées à se rendre dans les chambres des malades. « C’est assez épuisant, les soignants ne vont pas en sortir indemnes. Quand on voit dans une chambre qu’un cercueil remplace le chariot de médecine… »

Et il y a ces moments qui, malgré les circonstances, procurent un peu de bien. « On se rend compte de la nécessité, surtout pour les patients en fin de vie qui ont pu voir un frère ou une sœur, conclut Émilie Beurier. On ne fait pas cela pour rien, les volontaires sont parfois remerciés en direct, même si c’est très dur. »

L’équipe des Demoiselles du téléphone, qui se sont baptisées elles-mêmes comme cela, est constituée de huit agents administratifs médicaux. ©CHT 


15 tablettes

Le CHT a mis en place ces rencontres virtuelles entre les patients et leurs proches grâce à des tablettes. Dix ont été offertes par la société Crazy Bill et cinq autres données par le Soroptimist International Club de Nouméa. Pour établir une communication vidéo avec un proche hospitalisé, il faut faire le 20 81 95. Les Gardiens du lien se chargent de l’organiser en collaboration avec des soignants. Pour contacter les Demoiselles du téléphone, il faut faire le 20 80 00 pour être transféré vers l’équipe.


L’Association de qualité de vie des patients sollicitée

Neuf membres de l’Association qualité de vie des patients font partie de l’équipe des Gardiens du lien. « On a été sollicités par le Médipôle parce qu’on accompagne déjà les malades en fin de vie, on a des formations et on est préparés à cela, explique Brigitte Descombes, président de AQPV. Les bénévoles sont armés pour affronter ces situations et sont habitués à voir des personnes en fin de vie. »

Si rien ne remplace la chaleur humaine et la présence, préserver un lien est primordial, estime Brigitte Descombes. « C’est important de penser à l’autre, de lui apporter une fenêtre de bonheur. Ce n’est pas toujours facile même pour des personnes formées, mais c’est aussi de la joie quand elles mettent en contact les gens, c’est un moment suspendu dans l’espace. On donne la possibilité de se parler et de se voir. » Si les bénévoles trouvent que c’est trop dur ou qu’ils sont fatigués, ils peuvent arrêter. La relève est prête. « Je pense que d’autres prendront le relais à la mi-octobre ou à la fin du mois. »

Anne-Claire Pophillat