La SLN guette les décisions d’Eramet

Jérôme Fabre, directeur de la SLN, participe actuellement aux négociations qui se tiennent à Paris. (© G.C)

Remboursement des emprunts, financement des pertes, investissement pour relancer la matte… Les besoins de cash sont énormes, et l’actionnaire principal ne veut plus payer avant la conclusion du pacte nickel. Du côté du SGTINC-CGC, syndicat majoritaire à Doniambo, on doute des intentions du groupe Eramet.

À Doniambo, on se serait volontiers passé de ces problèmes d’instabilité électrique. Quinze jours après la première disjonction, le four FD10 n’a pas encore retrouvé sa pleine puissance. Les casses d’électrode sont des aléas relativement courants, mais la multiplication des incidents au mois de janvier a perturbé la production à un moment critique. Sur la lancée des 45 000 tonnes produites l’an passé (+10 % après un exercice 2022 catastrophique), la SLN et ses 2 280 salariés ont besoin de performances qui ne fragilisent pas leur dossier auprès de l’État et du groupe Eramet. Les bailleurs de fonds qui ont respectivement apporté 24 et 39 milliards de francs en 2016, lors du dernier sauvetage, doivent théoriquement être remboursés à partir de 2024.

DES BESOINS DE FINANCEMENT COLOSSAUX

Eramet, actionnaire à 56 % de la SLN, affiche sa volonté de ne plus financer sa filiale déficitaire (-29 milliards en 2022) sans perspectives nouvelles. Dans les faits, le groupe continue d’apporter un soutien discret : il a notamment payé la facture du dernier bateau de fioul, soit une note de près de 3 milliards de francs. Mais les besoins de financement de la SLN sont infiniment plus importants : il faudra éponger ses pertes de 2023, puis celles des années de transition jusqu’à l’arrivée d’une électricité moins chère, mais aussi investir 2,4 milliards pour relancer la production de matte afin d’entrer sur le marché des batteries électriques.

Pour Eramet, qui a réalisé un bénéfice de 88 milliards de francs en 2022, il ne s’agit pas d’une question de moyens mais de rentabilité. Le groupe, qui s’est récemment recentré sur ses branches les plus lucratives, refuse d’engager de telles dépenses avant la signature du pacte nickel, suspendue à ses propres choix mais aussi à des concessions de la part des indépendantistes.

En faisant du développement de l’export sa principale exigence, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a aligné sa position sur celle d’Eramet, dont l’État est actionnaire à 27 %, et dont la stratégie repose largement sur la vente de minerai depuis 2017.

MÉFIANCE

Du côté du SGTINC-CGC, syndicat majoritaire à Doniambo, on se méfie fortement de l’actionnaire principal, accusé de se détourner de son usine historique depuis le début des années 2010. « Eramet investit dans l’usine de Weda Bay », en Indonésie, « avec des contraintes minimales sur les salaires et la dégradation de l’environnement », pointe Glen Delathière, élu au comité d’entreprise. Le 26 janvier, le syndicat s’est encore mobilisé, devant le siège de Prony Resources cette fois, au nom de combats communs. « Les usines ont besoin d’actionnaires industriels, pas de financiers », martèle Glen Delathière, ce qui implique « que l’État prenne ses responsabilités et impose une vraie stratégie industrielle pour la Nouvelle- Calédonie ». Sans profond changement, l’argent du pacte nickel « ne servira à rien » et les problèmes de fond perdureront : « mauvaise gestion au quotidien, gaspillage à tous les niveaux, problèmes d’acceptation sociétale sur mines… »

Gilles Caprais