Confrontée à des difficultés de trésorerie, la province Sud a décidé de suspendre le remboursement de l’aide médicale et de durcir l’octroi des dispositifs sociaux. Des mesures adoptées en assemblée lundi 15 juillet, dans un climat de tension.
Le calcul est simple. Les exactions commises depuis le 13 mai ont amputé la Nouvelle-Calédonie de dizaines de milliards de francs de recettes fiscales et sociales, affectant ainsi, par ricochet – entre autres -, le budget de répartition. Conséquence, le gouvernement ne verse pas aux collectivités les sommes initialement prévues. Et la province Sud se voit contrainte de réaliser « 7 milliards » d’économies sur son budget 2024. La Maison bleue se retrouve dans « l’impossibilité financière d’assurer certaines missions », explique Sonia Backès (AEC-Les Loyalistes), l’objectif étant d’assurer les salaires du mois de juillet des agents provinciaux (1,8 milliard de francs).
Le remboursement de l’aide médicale n’est ainsi plus effectué depuis le 15 juillet. « Il s’agit d’une mesure de trésorerie », insiste la présidente de l’institution. « Il n’y a plus d’argent pour payer », renchérit Philippe Blaise (AEC-Les Loyalistes), deuxième vice-président. L’exécutif – qui « n’a jamais remis en question la politique sociale existante » et « s’est battu pour la maintenir » – se voit obligé « de faire des choix qui s’imposent ». Nina Julié (Générations NC) soutient cette mesure. « L’aide médicale représente environ 450 millions par mois. Nous n’avons plus les moyens. »
L’OPPOSITION S’INSURGE
Philippe Michel (Calédonie ensemble) craint que les malades « renoncent aux soins », ce qui peut « mener à de longues maladies, voire au décès ». L’élu envisage une potentielle aggravation de la situation sanitaire, sociale et économique des gens les plus fragiles, la majorité ayant aussi adopté l’augmentation du ticket modérateur, ainsi que le droit aux bourses et à l’aide au logement sous condition de dix ans et non plus de six mois de résidence en province Sud.
Philippe Gomès est de loin le plus critique, évoquant une séance de l’assemblée « antipauvres, antimalades, antikanak, etc. On tape sur les mêmes. Comment renvoyer les gens du Nord et des Îles chez eux ? C’est l’acte I de l’Apartheid ». Petelo Sao (Éveil océanien) considère que ces propositions « vont mettre à terre la solidarité » et « entraîner une paupérisation sanitaire ». Amandine Darras, élue FLNKS Sud, s’inquiète des enfants qui arrivent des deux autres collectivités. « Sans bourse, comment vont-ils faire pour manger ? » Et parle d’une « rupture d’égalité de traitement ».
Inquiétude sur la santé des populations
Ces décisions pourraient avoir une conséquence « sur la santé des populations en fonction de leurs capacités à payer », estime Marie-Laure Gaudillier, présidente du syndicat des médecins libéraux, qui exerce à Boulari. « J’ai des familles qui ont déjà du mal avec les 10 %. » Le professionnel de santé est mis devant un « choix compliqué » : « est-ce que je soigne même si je ne suis pas payé ? ». « Tout le monde prend en charge une urgence vitale, explique Marie-Laure Gaudillier. Pour les autres cas, on peut diriger vers un centre médicosocial, la clinique, l’hôpital. C’est une décision personnelle que chacun prendra en son âme et conscience et en fonction de ce qu’il peut faire. Mais la réponse amènera du soin même si ce n’est pas nous qui le prodiguerons. »
MOINS DE REVENUS
La suspension des remboursements de l’aide médicale devrait également affecter les revenus des cabinets en général, et notamment ceux qui sont conventionnés, s’ajoutant à d’autres difficultés, dont la baisse des consultations depuis le 13 mai.
Ce manque à gagner pourrait peser sur la capacité des soignants à payer leurs charges. C’est ce que craint le syndicat des sages-femmes, qui indique que quatre libérales sur 34 ont déjà annoncé la fermeture de leur cabinet avant la fin de l’année en raison d’une incapacité à s’en acquitter. Et peut-être « faire partir des gens qui n’auraient plus assez de travail ». Marie-Laure Gaudillier s’inquiète de « l’évolution de l’état sanitaire général, avec un effet boule de neige, des pathologies plus graves et qui coûtent finalement plus chères ».
♦ Aide médicale : son remboursement est suspendu depuis lundi 15 juillet et jusqu’à nouvel ordre, sauf pour les personnes âgées en Ehpad et celles en situation de handicap. Et le ticket modérateur passe de 10 % à 20 %, soit de 425 à 850 francs pour une consultation chez le médecin, excepté pour les femmes enceintes et les enfants de moins de trois ans. L’économie estimée est de 320 millions de francs par an (l’aide médicale coûte environ 5,5 milliards de francs pour 26 000 bénéficiaires).
♦ Minimum vieillesse : une participation d’au moins 5 000 francs sera dorénavant demandée aux familles des bénéficiaires. Un barème est instauré en fonction de leurs ressources. Par exemple, pour un revenu moyen de 500 000 francs, la contribution alimentaire sera de 26 600 francs par mois, montant qui sera décompté de l’aide octroyée par la province à la personne âgée (qui est de 90 000 francs et dont 1 400 personnes bénéficient).
♦ Bourses scolaires (1er et 2nd degrés) et aide au logement : les bénéficiaires de ces aides devront désormais justifier non plus de 6 mois, mais de dix ans de résidence en province Sud (cela concerne 21 000 bourses d’enseignement).
CRÉATION DE DISPOSITIFS DE SOUTIEN
La province Sud a voté plusieurs mesures de soutien aux victimes des exactions, dont le financement est inscrit au budget supplémentaire, également adopté en séance lundi. « Il est proposé d’accompagner ceux qui ont le plus souffert », a déclaré Sonia Backès, à la tête de l’institution.
♦ Instauration d’un dispositif d’incitation à l’installation et d’une aide à l’équipement des médecins, dentistes et paramédicaux jusqu’à 3 millions de francs pour les libéraux et 8 millions pour les sociétés médicales.
♦ Prise en charge d’une partie du coût de la sécurisation des entreprises en finançant à hauteur de 100 000 francs par mois pour chaque embauche de personnel dédié pour une durée maximale de six mois. Le budget est évalué à 100 millions, représentant la création d’environ 150 emplois d’une durée maximale de six mois.
♦ Octroi aux Calédoniens dont la maison a été saccagée, brûlée ou pillée, de trois millions pour leur relogement temporaire, ainsi qu’un accompagnement social. Le nombre d’habitats concernés est estimé à 150, soit un impact budgétaire maximal de 450 millions.
Anne-Claire Pophillat