La production locale face au Covid-19

Avec l’instauration du confinement, les choses se sont fortement compliquées pour la production locale. Si l’importation a pu tirer son épingle du jeu, lors des premiers jours, avec la constitution de réserves, la production locale est nettement plus à la peine. Les restrictions de circulation ont contraint de nombreux producteurs à réduire leurs volumes.

Pour se préparer au confinement, les Calédoniens ont fait le plein de commissions. Riz, pâtes, conserves et plats préparés ont été massivement achetés. Si la production locale de pâtes a répondu à une partie de cette demande, largement supérieure à l’ordinaire, c’est surtout l’importation qui a permis d’approvisionner les Calédoniens en produits de première nécessité. La production locale est aujourd’hui dans une situation plutôt délicate, aussi bien l’industrie de transformation que l’agriculture, mais avec des problématiques différentes.

Pour les entreprises de transformation, essentiellement installées dans le Grand Nouméa, plusieurs problèmes se posent, à commencer par la main d’œuvre. De nombreux salariés ont tout simplement peur de sortir de chez eux et ne se présentent donc pas au travail. C’est la raison qui a conduit la Finc, Fédération des industries de Nouvelle- Calédonie, à produire un plan de continuité d’activité face au Covid-19. « Maintenir l’activité nécessite beaucoup de communication, souligne Xavier Benoist, le président de la Finc. Il faut expliquer ce que l’on veut faire et faire ce que l’on dit. »

La logistique est le deuxième frein auquel est confrontée l’industrie locale. « Nous rencontrons des difficultés dans le transport des marchandises, et plus particulièrement vers la province Nord et la côte Est, poursuit-il. C’est également le cas sur la question du merchandising. Nous avons notamment des contraintes d’horaires pour intervenir dans la grande distribution. Nous devons intervenir entre une heure et cinq heures du matin, ce qui est loin d’être simple en termes d’organisation. »

Attention aux dérapages de prix

L’activité industrielle pure ne devrait, en revanche, pas avoir de problème d’approvisionnement en matières premières dans les mois à venir. Historiquement, les entreprises disposent de stocks importants du fait de l’éloignement, des coûts et délais d’acheminement. Le responsable de la Finc estime qu’ils devraient permettre d’assurer la poursuite de l’activité pendant encore quatre à six mois. Un temps suffisant pour trouver, si besoin, d’autres sources d’approvisionnement.

Pour la fédération, le dernier point de vigilance concerne la gestion commerciale afin de s’assurer que les produits s’écoulent correctement. À compter de vendredi, elle commencera à établir des statistiques. Des indicateurs seront rendus publics sur les stocks, la logistique et les prix. Un dernier élément essentiel, qui semble d’ores et déjà poser problème. Si le gouvernement avait annoncé, au début de la crise, qu’un contrôle des prix serait réalisé via la Direction des affaires économiques, force est de constater qu’elle a bien du mal à gérer la situation. Pour mémoire, depuis le 1er octobre 2019, le contrôle des prix et des marges n’existe plus. Le porte parole du gouvernement, Christopher Gygès, a néanmoins indiqué mercredi que l’Observatoire des prix et des marges avait été saisi sur ce sujet.

En matière de dérapage de prix, l’agriculture locale est aussi particulièrement touchée. Les consommateurs constatent une flambée des prix sur les œufs ou encore les fruits et légumes, alors que les producteurs locaux n’ont pas augmenté leurs prix. « Les agriculteurs n’ont rien à y gagner, insiste Yannick Couete, le directeur de la Chambre d’agriculture. Notre message est de maintenir des prix raisonnables », et ce, afin de pouvoir assurer l’écoulement des produits frais locaux qui sont encore assez rares en cette période.

En dehors de la question des prix, l’agriculture doit faire face, à l’instar de l’industrie, à des difficultés au niveau de la main d’œuvre. Par peur du Covid-19, de nombreux employés maraîchers restent confinés, ce qui ne simplifie pas la tâche des exploitations pour assurer les récoltes. C’est le cas pour Franck Soury-Lavergne, agriculteur bio à La Foa, dont la production demande beaucoup de main d’œuvre et qui manque cruellement de bras. Pire encore, certaines filières, comme l’horticulture, sont tout simplement à l’arrêt.

D’autres exploitations comme celle de Claudine Verger, productrice à Mouirange, parviennent à écouler leur production avec la livraison de paniers. Mettre en place ce système n’est toutefois pas à la portée de tous les agriculteurs si leur production n’est pas suffisamment diversifiée. Autre problème majeur, l’énergie déployée à écouler les produits empiète sur la mise en culture des futures productions. La Chambre d’agriculture estime qu’il existe un risque de manque au niveau du maraîchage dans les mois à venir.

Si l’élevage est moins touché, certaines filières pourraient traverser une crise majeure. C’est en particulier le cas de la filière avicole. La ferme de Koé, un des principaux producteurs de poulets de chair qui fournit également de nombreuses exploitations en poussins, ne dispose plus aujourd’hui d’approvisionnement. D’ici deux mois, les Calédoniens devraient donc avoir beaucoup de mal à se procurer de la volaille locale. Plus généralement, comme l’indique Yannick Couete, plus les exploitants se situent loin des marchés, plus ils ont du mal à vendre leurs produits.

Dans ce contexte, la chambre consulaire tente de jouer le rôle de facilitateur, en recensant les producteurs rencontrant des difficultés. Des discussions sont également en cours avec l’Ocef pour voir dans quelles mesures des chambres froides pourraient être utilisées. Elle a ainsi poussé les autorités à maintenir le marché broussard qui reste un important canal de distribution pour la production locale. Sur la centaine de producteurs présents chaque semaine, à peine une vingtaine étaient présents, samedi dernier, à la halle de Ducos. Trois marchés broussards seront organisés Païta, sur le parking de l’Arène du Sud. La Chambre d’agriculture rappelle qu’en cette période de crise tous les producteurs souhaitant être présents auront une place.

La question de l’approvisionnement par la production locale est d’autant plus essentielle que des experts redoutent une baisse de l’offre dans les semaines ou les mois à venir. De grandes capitales dont d’ores et déjà face à de gros problèmes. C’est le cas de Londres, où un rationnement alimentaire a été mis en place. Le maire de New York a également prévenu la population qu’un rationnement pourrait être mis en place. Si le transport de fret est maintenu, la fermeture complète des frontières de certains pays, comme la Nouvelle-Zélande, va compliquer la situation. Une situation qui pourrait concerner la Nouvelle-Calédonie en compliquant l’approvisionnement des importateurs.

Des risques pour les mois à venir

L’artisanat connaît également des difficultés. La Chambre de métiers et de l’artisanat a effectué, de la même façon que les deux autres chambres consulaires, un recensement et un sondage auprès de ses ressortissants afin de dresser un premier état des lieux. 46 % des entreprises artisanales enregistrent déjà une baisse d’activité. Près de 18 % craignent un ralentissement d’activité et pas moins de 15 % ont dû fermer, faute de pouvoir mettre en place des mesures de sécurité suffisantes. Au niveau de la main d’œuvre, l’absentéisme représente environ 3 % des effectifs. Les conséquences directes sont l’arrêt de l’activité pour 23 % des entreprises de la CMA, la mise en chômage partiel de 8 % des salariés et la réduction des effectifs de l’ordre de 3 %. Seuls 9 % des artisans n’ont, pour le moment, aucune conséquence sur leurs activités.

De manière générale, la crise du Covid-19 fait ressortir les grandes faiblesses de l’économie calédonienne, en particulier le manque de structuration des filières et de logistique. Elle imposera probablement une réflexion profonde sur l’organisation et l’approvisionnement du marché. C’est du moins ce qu’estime Xavier Benoist, convaincu qu’une réflexion sur la place de la production locale s’imposera. « Il va falloir sortir du paradigme de la compétitivité par rapport aux coûts », estime le patron de la Finc. Autrement dit, repenser le modèle de concurrence en Nouvelle-Calédonie qui oppose nécessairement des produits d’importation à bas coût et des produits locaux plus chers.

Une réflexion qui a déjà commencé dans le monde entier. De grands économistes, comme Gaël Giraud, estiment que la structuration des échanges mondiaux basée sur des échanges internationaux à flux tendu est fragile et qu’il faudra probablement la revoir en privilégiant des circuits plus courts. Question d’autant plus importante que dans le monde, les experts redoutent les problèmes d’approvisionnement.

M.D.

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