« La performance écologique nécessite des investissements et de la transparence »

Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires, présente son ouvrage Plaidoyer pour un monde (plus) durable, une réponse face à « l’urgence climatique » et un appel à l’action, en Nouvelle-Calédonie, un territoire qu’il connaît à travers l’action menée par l’ONG. Il sera, samedi 25 février, à la Fnac (Nouméa), à 10 heures.

DNC : Qu’est-ce qui vous a incité à écrire Plaidoyer pour un monde (plus) durable ?

Nicolas Imbert : L’urgence climatique et écologique a changé d’échelle, elle impacte nos vies au quotidien et seule une petite partie des dirigeants publics, privés, etc., est consciente de ce qu’il se passe et prend des mesures. 90 % ne sont pas au rendez-vous de l’histoire. L’idée est de comprendre pourquoi on est dans l’impasse, notamment parce qu’on n’a pas écouté les scientifiques depuis 1972, et de trouver des solutions pour s’en sortir. Mon propos est résolument tourné vers l’action.

Vous ne parlez pas de transition écologique mais de transformation, pourquoi ?

On a l’impression que la transition va être relativement douce et qu’elle est réversible. Or, avec l’accélération du dérèglement clima- tique, le retour en arrière est impossible, le monde n’est plus soutenable. C’est bien une transformation rapide qu’il faut opérer. On doit drastiquement revoir nos priorités, produire localement est par exemple devenu une nécessité. L’autre sujet qui pourrait être important en Nouvelle-Calédonie, Fidji en est un exemple, est l’aquaculture régénérative.

Comment accélérer ce processus ?

La cherté de l’énergie nous oblige à agir non plus seulement pour des raisons écologiques, mais aussi économiques. À l’échelle d’un territoire, dans le cadre de la mise en place d’un schéma énergétique, il est nécessaire de travailler sur l’efficacité énergétique, les techniques de construction, les processus de production et de transformation énergétique, les procédés industriels et la mobilité, d’une manière qu’on n’imaginait pas encore il y a trois ans.

 

Il y a une forte marge de progression en termes de tenue de débats publics autour des enjeux structurants et d’accès à l’information qui soient à la hauteur d’une démocratie moderne. »

 

La Nouvelle-Calédonie n’est pas en avance, notamment dans le secteur du nickel…

Il y a un fort paradoxe calédonien. En termes de biodiversité, il y a un creuset terrestre et marin extrêmement fragile, et les moyens mis à disposition de la mer de Corail sont sous-évalués par rapport aux ambitions. Le membre du gouvernement en charge du parc s’est engagé à classer 10 % de la surface en protection stricte, quand le débat lors de son installation évoquait plus de 30 %.

Concernant le nickel et le cobalt, il y a une course possible, celle de la performance écologique. Elle ne se décrète pas mais se construit, nécessite des investissements, un engagement fort, de la transparence et de la concertation. On s’est rendu compte, à la suite de la consultation réalisée autour de l’usine du Sud début 2022, qu’il y a une forte marge de progression en termes de tenue de débats publics autour des enjeux structurants et d’accès à l’information qui soient à la hauteur d’une démocratie moderne.

On a vu, en revanche, des choses encourageantes. La province des Îles Loyauté a un code de l’environnement novateur. Et le forum Innov’by Loyalty, l’an dernier, a fixé l’importance de travailler sur la question du recul du trait de côte, de la régénération des cocoteraies et du développement d’une agroforesterie.

 

Il faut diversifier le mode de production afin qu’il ne repose pas uniquement sur le solaire. Miser sur une seule énergie, c’est risqué. »

 

Un des freins à la transformation énergétique serait la viabilité économique, soulevée par certains. Qu’en est-il ?

Les gens qui brandissent l’économie comme étendard n’ont pas entendu les économistes du XXIe siècle, ils restent focalisés sur une économie de la croissance infinie qui date du XXe. Green Cross travaille d’ailleurs avec des spécialistes à l’Unesco sur les enjeux économiques de la transformation.

L’ONG s’est beaucoup investie en faveur d’un moratoire sur l’exploration et l’exploitation minière en grande profondeur, pour lequel le gouvernement calédonien s’est prononcé pour. La position de la France, qui consiste à autoriser l’exploration et interdire l’exploitation, pose un certain nombre de problèmes et serait plutôt une régression. On est contre aussi parce que dans ce modèle économique, il n’y a aucun bénéfice garanti ni pour les exploitants, ni pour les territoires sur le moyen et long terme.

En revanche, les risques sur l’environnement sont colossaux. C’est à ce titre que la société civile d’Afrique du Sud a manifesté devant le siège de Total en France, concernant sa demande d’exploiter deux importants gisements gaziers au large, ce qui menace la survie des populations locales.

Changer la façon de produire de l’énergie est au cœur de cette évolution ?

Il faut relocaliser en vue d’une autonomie énergétique et diversifier le mode de production afin qu’il ne repose pas uniquement sur le solaire, mais aussi sur la biomasse (ensemble des matières organiques, végétales ou animales pouvant se transformer en énergie, NDLR), la constitution d’une filière bois, etc., surtout dans des endroits comme la Nouvelle-Calédonie. Miser sur une seule énergie, c’est risqué.

Dans les secteurs de l’eau, de l’énergie et des activités métallurgiques et minières, un bond qualitatif est nécessaire. C’est une question environnementale, de performance économique et de vision de l’avenir que le pays doit déterminer, afin de savoir ce qu’on veut atteindre dans 10 à 15 ans et mettre en place une réglementation et une fiscalité adaptées.

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat

Photo : Nicolas Imbert dirige l’antenne française de Green Cross, organisation internationale, dont le rôle est d’éclairer les choix des institutions face aux conséquences du changement climatique, depuis 2011. L’ONG intervient sur des sujets comme l’eau, l’alimentation, la transformation énergétique, l’économie circulaire et la prévention des conflits. / © A.-C-P :