La parole à ceux qui agissent

Ces sept personnes ont pour point commun d’agir pour l’égalité de traitement entre les sexes. À l’approche de la Journée internationale des droits de la femme, qui ne saurait être ni l’alpha ni l’oméga de la médiatisation de leur combat, elles en livrent les raisons, les espoirs, les frustrations.

 

Joane Païdi : « On voit une émulation grandissante »

C’est une question de « santé », de « bien-être » des femmes comme des hommes, autant que de « justice ». La responsable de la Mission à la condition féminine de la province Sud défend une vision globale de l’égalité des sexes, puisque « tout est lié ». Elle s’est d’abord penchée sur les questions de santé publique dans le cadre de ses études en Métropole. « Je voulais partir, mais je savais déjà que je voudrais revenir pour me mettre au service de la Nouvelle-Calédonie. »

Joane Païdi, 38 ans, originaire de Païta, « sème des graines » d’égalité et se sent particulièrement « utile » lorsqu’elle les voit germer. « Quand je parviens à sensibiliser des responsables aux questions de genre, lorsqu’ils commencent à évaluer leur organisation, leurs actions au travers de ce prisme, je me dis qu’on avance. » L’évolution de la Journée internationale des droits de la femme, qu’elle coordonne, peut être vue comme un autre indicateur favorable. Le 8 mars 2020, une quinzaine d’évènements avaient été organisés. Cette année, ce sera le double. « On voit une émulation grandissante. Les gens se sentent de plus en plus concernés.» Voilà pour la note optimiste et voici la nécessaire nuance. « On peut mieux faire en termes d’égalité des chances. On voit encore de vraies inégalités » qui nuisent à la société. Joane en est convaincue, l’égalité n’est pas un objectif réservé aux femmes. « Les hommes aussi peuvent souffrir des stéréotypes de genre. »

 

Nathanaëlle Maleko : L’énergie de faire tomber les murs

Elle démarre au quart de tour et elle tient la distance. « Dans les débats en famille, entre amis, ça peut aller loin… Et je gagne toujours. » Nathanaëlle Maleko bouillonne d’une énergie infinie pour défendre l’égalité des sexes. Dans son sillage, le Mouvement de prise de conscience de la femme s’avance à la rencontre des gens, installe ses cafés dans les quartiers. Sans complexe, on lance les questions brûlantes. Les filles peuvent-elles s’habiller comme elles le veulent ? Pour ou contre la minijupe ? « On parle avec des jeunes, des vieux, tous ceux qui passent. Et on a de super échanges. »

Militer, « pour moi, c’était logique », dit Nathanaëlle, « féministe-humaniste » de 26 ans originaire de Riverstar, à Rivière-Salée, à Nouméa, animatrice de prévention des conduites addictives à la Croix-Rouge. « J’ai eu à subir des choses anormales, des choses que subissent toutes les femmes. J’ai eu envie d’agir. Je pense aux petites, au monde dans lequel elles vivront. » Alors elle se démène, en compagnie de la vingtaine de copines et de collègues qui l’ont rejointe au MPCF, créé en 2019.

L’égalité se rapproche, oui, « mais ça ne va pas assez vite, surtout en ce qui concerne les violences conjugales ». Faire évoluer les mentalités reste compliqué, « surtout avec les anciens ». « Il y a des murs, et il faut les faire tomber. » Nathanaëlle s’est lancée dans des combats difficiles, elle le sait. « Peut-être que j’aime ça… Mais si on ne le fait pas, qui va le faire ? »

 

Anne-Marie Mestre : Redonner le pouvoir aux victimes

Anne-Marie Mestre situe la genèse de son engagement lors d’une vacation effectuée comme gynécologue libérale au dispensaire de Poindimié dans les années 1990. « On m’a amené une petite qui avait été violée. Cette petite était une statue de douleurs. On ne peut pas se cantonner à l’aspect purement technique, se dire que ce n’est pas notre problème. » À cette époque, une magistrate lance une réflexion sur le problème des abus sexuels, en particulier chez les Mélanésiennes, de plus en plus nombreuses à porter plainte, insatisfaites des règlements coutumiers. De cette cellule est née, en 1992, l’association SOS violences sexuelles présidée par Marie-Claude Tjibaou, dont Anne-Marie Mestre a pris le relais en 1996. Elle est désormais élargie à toutes les violences, conjugales, sur les enfants (même au défaut de soins ou de scolarité, par exemple) et accueille entre 15 et 20 % de victimes masculines.

Chaque année, 150 à 200 personnes sont accompagnées dans leur parcours judiciaire, avec cet objectif ultime : « qu’elles se réapproprient leur vie, qu’elles arrêtent de subir ». La présidente observe des évolutions notoires sur le sujet des violences faites aux femmes, comme le récent parti pris des coutumiers ou encore la réalisation qu’il n’y a « pas de fatalité culturelle ». « Partout vous avez de l’astiquage, des pervers narcissiques, de la dépendance économique, de l’inceste, des violences conjugales avec des dommages collatéraux dans les familles et tout un corpus de violences qui en découlent pour la société. »

Dans sa réflexion, Anne-Marie Mestre ne raffole pas de l’expression « égalité homme-femme », les jugeant différents, elle se dit cependant « convaincue que la covalence entre l’homme et la femme doit être privilégiée et que les deux ont exactement la même valeur, doivent avoir les mêmes droits et la même égalité de traitement ».

 

Collages de Mass : Pour marquer les consciences

« Mass, on te croit », « Ras le viol », « Délivrez-nous du mâle »… Avez-vous déjà remarqué ces grandes écritures en lettres rouges sur les murs de la capitale ? Elles sont le fait du collectif Collages de Mass, actif depuis un an et inspiré de mouvements nationaux et internationaux. Le concept ? « Coller des affiches pour porter des messages forts, percutants, dénoncer les inégalités, questionner les violences faites aux femmes, les féminicides quand les familles le souhaitent, porter la voix de celles qui n’en ont pas ou plus », explique l’une de ses membres, à l’origine de la création du collectif. Il s’agit aussi de se « réapproprier l’espace public », « largement dominé par les hommes » et la nuit, « où les femmes ne sortent plus ».

Ce collectif regroupe une trentaine de membres actives âgées de 18 à 55 ans, de toutes ethnies, œuvrant dans l’anonymat. La nuit, elles s’en vont coller leurs affiches à l’aide de farine, d’eau et de feuilles. Celles-ci sont très rapidement retirées par les services de propreté de la ville. Car ce qu’elles font est illégal, même si elles veillent à « ne pas les coller chez les particuliers, sur les bâtiments cultuels ou culturels et à utiliser des produits qui s’en vont facilement ». Si, pour l’instant, elles ont échappé à la justice, elles sont néanmoins entourées d’avocates, « au cas où ». Inscrits sur les murs, leurs messages sont éphémères, mais ils ont une seconde vie sur les réseaux sociaux.

À côté de cette activité, les membres se retrouvent entre femmes pour des groupes de parole. Elles y parlent de la société, du corps, de publicité, de féminisme. « Les féministes sont assez mal vues, jugées radicales ou extrémistes. Alors que pour nous, être féministe, c’est se battre pour avoir les mêmes droits. »

 

Marie-Anne Paquet : Un « besoin d’aider les autres »

À Nancy, où elle étudiait la communication l’année dernière, les protections hygiéniques étaient gratuites dans sa résidence. Elle a trouvé ça « génial ». « Payer pour ce que l’on ne choisit pas, je trouve ça injuste… Et puis ici, à 600 francs la boîte de tampons, c’est hors de prix pour certaines. »

De retour au Mont-Dore, Marie-Anne Paquet, 22 ans, a réalisé les dégâts « colossaux » de la précarité menstruelle. Elle est bouleversée par la rencontre d’une collégienne de Normandie. « Elle a beaucoup de projets pour la jeunesse du pays, mais elle se trouve dans ce qu’elle appelle une carence intellectuelle. Faute de protections, elle ne peut pas aller en cours pendant les menstruations. C’est terrible, et ce n’est pas un cas isolé. »

Marie-Anne ne pouvait rester de marbre. « Pour construire le pays, on ne peut pas se passer de jeunes filles comme elle. » Sur sa proposition, lancée via l’association Junior solidaire, la province Sud a accepté de financer des distributions de protections hygiéniques au Mont-Dore, à partir de mai.

La tante de Marie-Anne, Sylvana Koroma, peut être fière. « Ma tante est quelqu’un d’altruiste qui a toujours beaucoup de temps pour les autres. Je tiens peut-être cela d’elle. Je suis quelqu’un d’assez sensible. J’ai un besoin de m’investir, d’aider les autres. Et je suis convaincue que quand on donne, on reçoit beaucoup. »

 

Valentine Holle : Infatigable militante

« Il faut que tu ailles à l’école et, surtout, que jamais un homme ne lève sa main sur toi. » Les mots de sa grande sœur ne l’ont jamais quittée. Neuvième d’une fratrie de dix, Valentine Holle reste profondément marquée par les violences conjugales subies par ses proches, à la tribu d’Inagoj, à Lifou. Elle a trouvé son bonheur loin du pays, chez son Mosellan de mari, avant d’y revenir à la fin des années 1980… Et de ressentir l’« injustice » du monde coutumier avec autant de force. « Nous avons toutes les responsabilités, les hommes ont le pouvoir ! »

Infatigable, Valentine Holle s’est investie dans le sport, en politique et continue de donner de la voix au sein du collectif Femmes en colère.

 

Élie Pannoux : L’égalité par l’exemple

De lycée en lycée, de ville en village, l’association In Memoriam fait vivre depuis près d’un an l’exposition Femmes de progrès, 30 portraits de célébrités et d’inconnues au parcours remarquable. « On veut faire découvrir au public, aux jeunes notamment, des femmes qui peuvent être des modèles en raison des choses extraordinaires qu’elles ont accomplies », explique Élie Pannoux. Le président de l’association, par ailleurs responsable des archives de la ville de Païta, espère de tout cœur que l’exposition, soutenue par la province Sud, contribue à « replacer les femmes au centre de l’histoire, dont elles sont parfois écartées ».

D’où vient son engagement ? « De mon éducation, répond le fils de Stéphane, historien comme elle. Mes parents ont toujours été militants, dans des syndicats ou des associations. Et je me suis rendu compte très tôt que j’étais touché par le fait que la société fasse des différences de genre, ethniques, etc. »

Élie ne revendique pas le qualificatif de « féministe ». « S’il s’agit de vouloir l’égalité entre les hommes et les femmes, personne ne peut être contre. Mais ce terme a tendance à figer les choses, à catégoriser les actions de quelqu’un. » En tant qu’homme, « n’étant pas touché de la même manière » par les injustices du sexisme, il juge délicat de se l’approprier. « Et je me reconnais plutôt dans un combat plus général, pour l’égalité de tous, pas uniquement entre hommes et femmes. »

 

Gilles Caprais et Chloé Maingourd (© G.C. et Archives DNC/C.M.)