La nuit scintille loin du Grand Nouméa et des usines

Cette carte montre que plus le niveau de pollution lumineuse est élevé (couleur rouge), moins le ciel étoilé est visible. Heureusement, une large partie du territoire reste épargnée, ce qui explique sans doute la volonté du Centre national d’études spatiales de poser un télescope en Nouvelle-Calédonie. / © ŒIL

La pollution lumineuse, dont les conséquences sur le vivant ont été démontrées par de nombreux scientifiques internationaux, n’avait encore jamais été étudiée sur le territoire. L’Observatoire de l’environnement en Nouvelle-Calédonie (OEIL) vient de publier les conclusions de sa première étude sur le sujet. Les deux tiers de l’archipel sont préservés. Les zones urbaines, industrielles et minières « affichent des niveaux élevés ». L’OEIL appelle à la mise en place d’une réglementation.

  • LA POLLUTION LUMINEUSE

Toute source de lumière artificielle émise par l’homme vers l’extérieur : réseau d’éclairage public, des bâtiments et du patrimoine culturel, vitrines et enseignes des commerces, activités industrielles (usines, serres agricoles), lumières des habitations (éclairage de façade, jardin), trafic routier et maritime. Et qui, par sa direction, son intensité ou sa qualité, peut avoir un effet nuisible ou incommodant sur l’homme, le paysage et les écosystèmes.

  • UN ENJEU SANITAIRE ET ENVIRONNEMENTAL

Le phénomène est devenu une préoccupation car il a des répercussions sur la santé humaine, la faune et la flore. Ses conséquences sont étudiées par les scientifiques depuis plus d’un siècle : collision d’oiseaux avec des infrastructures illuminées ou retard dans la chute des feuilles d’arbre à proximité des lampadaires.

Selon de nombreuses études internationales, les lumières artificielles perturbent les organismes vivants, les migrations et les cycles de reproduction, peuvent désorienter, perturber la floraison ou la ponte, modifier le comportement alimentaire, provoquer du stress, etc.

  • PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ CALÉDONIENNE

L’archipel abrite « près d’un tiers des récifs vierges de la planète, une diversité et un taux d’endémicité floristique parmi les plus importants au monde (80 %) et des espèces rares et menacées ». Un patrimoine naturel à préserver. L’étude a été initiée en juillet 2021 grâce au soutien financier du programme européen Best 2.0+, et le projet, baptisé Pollux NC, est porté par plusieurs partenaires économiques, miniers, communes, associations de protection de l’environnement (Société calédonienne d’ornithologie, Endemia, Association calédonienne d’astronomie) et le cluster Synergie.

Pour la réaliser, l’OEIL s’est appuyé sur différentes données satellitaires et a utilisé des sondes au sol qui mesurent la qualité des ciels nocturnes, de l’obscurité. « Au Mont-Do ou à Oua Tom, il fait encore nuit noire, le ciel est très pur », signale Anne Lataste, responsable de la communication scientifique de l’OEIL.

  • DEUX TIERS DU TERRITOIRE ÉPARGNÉS

68 % de la Nouvelle-Calédonie est épargnée par la pollution lumineuse. Les endroits concernés sont, sans grande surprise, le Grand Nouméa et les centres industriels et miniers, qui « affichent des niveaux élevés ».

Elle augmente dans les zones de développement urbain, Koutio, Dumbéa-sur-Mer, et sur « les centres miniers ayant intensifié leurs activités nocturnes comme Canala, Poya ou Thio ». Et baisse à Lifou, Ouvéa, Nakutakoin et Nouméa. Cette dernière remplace ses points lumineux par des LED et essaie d’ajuster leur puissance en fonction des besoins. « On parle beaucoup d’éclairage public, c’est vrai que c’est important, cela représente environ 30 % du budget des collectivités, mais le gros des émissions de lumière artificielle est sur du foncier privé en raison des entreprises. »

L’étude montre également que la bande littorale concentre les sites les plus éclairés la nuit et que les écosystèmes les plus exposés sont les forêts sèches, les mangroves et les récifs côtiers. Les communes où ils sont le plus menacés sont Dumbéa, le Mont-Dore, Nouméa, Païta et Voh.

  • ÉCHOUAGES D’OISEAUX MARINS

Localement, les conséquences restent « à étudier ». Seuls les échouages d’oiseaux marins sont suivis. Trois espèces sont touchées : le puffin du Pacifique, le pétrel de Gould et le pétrel de Tahiti, les deux derniers figurant sur la liste rouge des espèces menacées.

Sur les 2 300 individus échoués ces 15 dernières années, environ deux tiers ont été relâchés une fois guéris, après des soins prodigués par le parc forestier. Ces chiffres constituent « la seule donnée de suivi des impacts de la pollution lumineuse, vraisemblablement en dessous de la réalité à l’échelle du pays ».

  • MOINS ET MIEUX ÉCLAIRER

La prise en compte de cette pollution dans les politiques publiques reste faible. « Il n’y a pas de stratégie particulière établie pour son atténuation et sa prévention. » Le groupe de travail du projet Pollux NC émet des avis en ce sens : établir une réglementation (utilisation de matériel performant), acquérir de la connaissance et adopter des bonnes pratiques (bon choix d’équipement, d’implantation, d’orientation, d’intensité, de durée, d’extinction à certaines périodes, etc.).

Par exemple, les enseignes lumineuses commerciales doivent être éteintes à minuit. « En Métropole, la législation, et cela fait partie des recommandations, prévoit une heure après la fin de l’activité. » Et pourquoi ne pas diminuer, voire éteindre, les lumières sur les littoraux en avril-mai, où se produisent 75 % des échouages d’oiseaux marins ? « Il s’agit de trouver un juste milieu entre les besoins de la collectivité et le danger pour ces espèces. »

  • DEVENIR UNE RÉSERVE DE CIEL ÉTOILÉ

Anne Lataste insiste : « que l’on soit un acteur public, privé ou un particulier, contrôler la pollution lumineuse permet de faire baisser la facture, la consommation d’énergie et donc les émissions de gaz à effet de serre ».

Cela pourrait même devenir un atout et attirer scientifiques, astronomes et touristes. « Il existe des labels de type “Villes et villages étoilés” et Réserve internationale de ciel étoilé, qui permettraient de développer un tourisme durable d’amoureux de la nature. » C’est tout l’intérêt de ce sujet, au croisement « d’enjeux écologiques, économiques, de transition énergétique et de santé publique ».

  • 83 % DES CIELS DU MONDE AFFECTÉS

L’OEIL le mentionne dans ses propos liminaires. Avec l’augmentation de la population, l’extension des zones urbaines, l’essor de l’électrification des pays en voie de développement et l’intensification des activités humaines, l’usage des éclairages artificiels augmente.

En 2016, 83 % de la population mondiale vivait sous des ciels pollués par la lumière artificielle, et plus de 99 % aux États-Unis et en Europe. Un tiers de l’humanité ne pourrait pas voir la voie lactée, selon l’Atlas mondial de la pollution lumineuse.

Anne-Claire Pophillat (Carte OEIL)

Lire également « Vers une réduction de l’éclairage public ? » et « L’OEIL lance une étude pour mesurer l’impact de la pollution lumineuse ».

Et les résultats de l’étude sur le site internet de l’OEIL (www.oeil.nc).