La Nouvelle-Calédonie, terre d’expéditions scientifiques

Après Santo, la Papouasie-Nouvelle-Guinée ou la Guyane, le Muséum national d’histoire naturelle, ‘réinventeur’ des grandes expéditions naturalistes, s’intéresse à la Nouvelle-Calédonie. Une centaine de chercheurs participeront, ces deux prochaines années, à plusieurs missions terrestres et aquatiques d’envergure. Objectifs : trouver de nouvelles espèces et faire avancer la science.

Qu’est-ce que les fonds de la ride de Norfolk, les sous-bois de la Côte oubliée et les eaux souterraines du Grand Sud ou des massifs de la province Nord ont en commun ?
Ce sont des régions à la fois très riches en biodiversité et peu explorées, en tout cas, en ce qui concerne les principaux organismes vivants qui intéressent le grand programme d’exploration de la nature du Muséum intitulé La Planète revisitée.

« Nous consacrons nos recherches à ce que l’on appelle la biodiversité « négligée », précise Philippe Bouchet, professeur chargé des grandes expéditions et directeur des publications scientifiques du Muséum. En gros, c’est ce que l’on ne regarde pas, ce que l’on ne connaît pas, les invertébrés marins et terrestres, lézards et autres mollusques, mais aussi les champignons, les mousses… »

S’ils ont moins intéressé les chercheurs au fil du temps, ces organismes « négligés » représentent pourtant 95 % de la biodiversité et jouent un rôle fondamental dans l’équilibre des écosystèmes. Tout l’intérêt des expéditions de La Planète revisitée est donc de leur redonner toute leur place et de favoriser aussi à terme « de nouvelles politiques de conservation qui ne soient plus fondées sur les seules espèces emblématiques que sont les mammifères ou les oiseaux ».

Une destination privilégiée

Connue comme étant l’un des « points chauds » de la biodiversité planétaire, la Nouvelle- Calédonie a été désignée « assez logiquement » par le programme, nous dit Philippe Bouchet. « C’est un endroit exceptionnel. Et même si l’on a des niveaux de connaissance importants par rapport à d’autres régions du Pacifique, avec des recherches abondantes par des organismes nombreux, il reste énormément à découvrir », précise le chef de mission qui ajoute que le classement Ramsar de la plaine des Lacs a néanmoins constitué un élément déclencheur au niveau national.

Une grande partie des fonds et des subventions a pu être collectée et l’opération déclenchée malgré la crise du nickel, qui a forcé les missionnaires à réduire la voilure à cause d’une réductions des participations locales.

Mollusques à l’île des Pins

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©P.Sud

C’est cette semaine qu’a débuté la première expédition calédonienne à l’île des Pins, l’expédition Kanacono. D’une durée de trois semaines, cette campagne hauturière, à bord du navire océanographique Alis, doit permettre d’explorer la faune benthique des « petits grands fonds » (entre 100 et 100 mètres) de la ride de Norfolk. Les scientifiques vont surtout chercher des cônes, mais pas seulement. « Dans ce genre de recherches, on fait des prélèvements et après on voit ce que l’on a. C’est comme cela que l’on fait des découvertes », précise le professeur Bouchet.

Originalité de cette campagne, l’équipe embarquée travaillera en binôme avec un groupe de chercheurs basé à l’Igesa de Kuto, qui s’occupera de trier et de traiter les très petits spécimens vivants qu’ils ramèneront. Cette expédition se fait en partenariat avec l’Université et l’association Symbiose avec un volet pédagogique : des étudiants pourront participer au tri, prélèvements, … et sept journées pédagogiques sont ouvertes à tous les jeunes de l’île des Pins.

Insectes à la Côte oubliée

Le deuxième temps fort est prévu sur la Côte oubliée, au mois de novembre. Trois camps installés, à Bwa Bwi, Kwakwé et Ouinné, accessibles uniquement en hélicoptère, accueilleront une douzaine de scientifiques pour une étude des insectes du sous-bois des forêts du Sud. Des botanistes et des spécialistes des lézards seront également de la partie pour faire des échantillonnages.

La particularité de cette expédition reposera sur l’isolement des lieux, mais aussi et surtout sur la méthode, nouvelle : « En plus des recherches classiques, le Muséum va utiliser la métagénomique », confirme Philippe Bouchet. Une méthode qui consiste à étudier de manière collective du contenu génétique dans l’environnement : les sols, l’air, etc. prélevés dans la nature pour savoir quels gènes et donc quelles fonctions biologiques existent dans le milieu (ce qui sert in fine à construire des profils génétiques).

Microfaunes en eaux douces

En novembre également, débutera la première séquence de l’exploration des eaux douces de la Nouvelle-Calédonie, exploration répartie sur six hydro-écorégions de la Grande Terre. Nouveauté de cette expédition, l’étude des eaux souterraines par deux chercheurs hydrogéologues de l’université de Lyon. « Des eaux souterraines qui n’ont pour ainsi dire jamais été étudiées en Nouvelle-Calédonie », selon Philippe Bouchet.

Alors que l’attention s’est toujours plutôt portée sur les poissons, les organismes visés par ce programme seront plutôt les micro-crustacés ou encore les micro-algues. La première expédition se fera sur la plaine des Lacs, dans le Grand Sud, avec une base au parc de la rivière Bleue, avant le lancement de recherches sur deux autres sites de la province Nord, près de Koumac et Hienghène.

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©MNHN

Connaissances pour tous

Comme cela se fait systématiquement, des conventions ont été passées localement pour autoriser et encadrer les collectes du Muséum d’histoire naturelle. Aucune exploitation économique des échantillons et spécimens collectés ne pourra être faite et le partage des avantages pouvant découler de l’exploitation de ressources naturelles est, là aussi, encadré. Reste que ce programme, qui a pour ambition d’alimenter les grandes bases de données internationales, pourra apporter beaucoup aux scientifiques locaux, d’ailleurs impliqués dans les expéditions, aux institutions et à la population.

Ils pourront servir à créer des contenus utiles à la gestion des écosystèmes, à l’élaboration de nouvelles politiques publiques. Des outils de communication verront aussi le jour. Un ouvrage pourrait ainsi être publié à terme sur la faune et la flore des eaux douces de Nouvelle-Calédonie.

Avant de s’élancer dans cette grande aventure, c’est un message d’enthousiasme que souhaite surtout faire passer le Muséum : « Notre objectif est de partager notre passion pour la découverte, conclut Philippe Bouchet. Et ici de faire comprendre que la Nouvelle- Calédonie est unique, avec un endémisme de proximité : on peut trouver dans son jardin une espèce qui n’existe nulle part ailleurs au monde, pas chez son voisin, ni dans une autre province ! C’est incroyable et cela veut dire aussi que le destin des espèces est – plus que nulle part ailleurs – entre vos mains ! »


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« Nous sommes la première génération de scientifiques conscients qu’un tiers ou la moitié de la biodiversité disparaîtra d’ici la fin du siècle et que 80 % ne sont pas encore décrits. »

Philippe Bouchet, Professeur chargé des grandes expéditions et directeur des publications scientifiques du Muséum. 

 

 

 


La Planète revisitée,
un programme sans précédent

Au cours des 20 dernières années, les scientifiques ont pris conscience de l’immensité de la biodiversité et de ce qu’il reste à découvrir : entre 8 et 30 millions d’espèces dont « probablement beaucoup qui sont en voie d’extinction ». Selon eux, le quart voire la moitié des espèces pourrait disparaître d’ici le milieu ou la fin du siècle. D’où l’enjeu de ces expéditions conduites par le Muséum d’histoire naturelle de Paris et l’ONG Pro-Natura international qui visent à accélérer le processus d’acquisition et de partage des connaissances tout en faisant découvrir à un large public l’esprit des grands voyages naturalistes.

Depuis 2006, quatre grandes expéditions ont été menées à Santo, au Mozambique, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en Guyane, impliquant plus de 700 scientifiques ainsi qu’une logistique sans commune mesure.


Des découvertes

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©MNHN

(Expédition Papouasie- Nouvelle-Guinée – Gastéropode Calpurnu)

 

 

 

 

 

À chaque expédition, les scientifiques, qui s’intéressent en particulier au micro- endémisme, ont sorti des centaines de publications et décrit jusqu’à trois cents nouvelles espèces !
Santo est probablement la plus aboutie avec 269 publications et 276 nouvelles espèces. Les chercheurs ont trouvé sur leur chemin 400 espèces de plantes à fleurs, 350 espèces de champignons, 4 000 espèces d’invertébrés terrestres ou encore 4 000 espèces de mollusques marins. Sans compter la découverte de nouveaux sites archéologiques, l’exploration et la topographie de 16 kilomètres de nouvelles galeries souterraines. On notera que l’évolution de la technologie, comme la recherche ADN et l’imagerie numérique, ouvre de nouvelles perspectives sur les recherches. En clair, « tout est à faire ou à refaire », nous dit Philippe Bouchet.


Délais

Les premiers comptes rendus interviennent généralement dans les six premiers mois. Les publications, cinq ou six années plus tard. Et ce n’est jamais vraiment fini, des recherches et des ouvrages sont encore en cours sur la première expédition de Santo.

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Partenariats

Pour ses expéditions, le Muséum compte généralement parmi ses soutiens la Fondation Total, la Fondation Albert II de Monaco, la Fondation Stavros Niarchos, les fonds publics, les ressources propres des établissements scientifiques, comme l’IRD ou le CNRS, et d’autres financements privés. Une expédition coûte en moyenne 185 millions de francs CFP. Il manquerait à ce jour 24 millions de francs pour pouvoir réaliser le programme jusqu’au bout, en 2018.

 

 

 

 

 

 

 

C.Maingourd. 

Photos : MNHN – CM/DNC -P.Sud 

Une : MNHN Mozambique