La Grande Maîtresse de la Grande loge féminine de France en visite

La Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France (GLFF) était en visite en Nouvelle-Calédonie pour procéder à l’ouverture d’une deuxième loge. L’occasion d’évoquer avec Marie-Thérèse Besson les valeurs et les combats défendus par la première obédience féminine du monde.

DNC : C’est la première fois que le territoire reçoit la visite d’une Grande Maîtresse. Quel est précisément l’objet de votre déplacement ?

Marie-Thérèse Besson : C’est très important, je pense, de visiter les loges où qu’elles soient. Et samedi, nous avons ouvert une deuxième loge à Nouméa. La GLFF représente en Nouvelle- Calédonie environ 50 à 60 femmes et il était nécessaire de créer cette deuxième loge parce que c’est toujours plus intéressant quand elles sont moins importantes. Nous pouvons ainsi toutes travailler davantage et c’est plus fructueux. Par ailleurs, la deuxième loge a été ouverte avec un rite, une manière de fonctionner un peu différente. Cela donnera aux femmes qui ont envie de nous rejoindre le choix entre une loge dans laquelle on va axer le travail sur le symbolisme, avec comme objectif une certaine spiritualité, et une deuxième qui sera vraisemblablement moins orientée sur le symbolisme et davantage sur les problèmes sociétaux.

DNC : On a parfois l’impression que les obédiences sont « fermées ». Pourtant, vous appelez clairement les femmes à vous rejoindre…

Marie-Thérèse Besson : On se rend compte qu’à l’heure actuelle les femmes sont en recherche de sens, de sens dans leur vie, en recherche de valeurs et nous pouvons effectivement leur offrir un lieu de réflexion, d’échange, de confrontation, de rencontres. Nous sommes des femmes de toutes origines sociales, de toutes cultures, de toutes confessions… Nous ne sommes pas, comme on l’entend souvent, une élite intellectuelle.

DNC : Quelles sont les conditions pour pouvoir rentrer dans une loge ?

Marie-Thérèse Besson : Toutes les femmes sont les bienvenues chez nous. Il faudra simplement évaluer la personne, ses motivations, ses aspirations spirituelles, voir si elle partage nos valeurs de liberté, de justice, de respect de l’autre, de soi-même, voir si elle a réellement envie de travailler sur elle-même. Après, sur cette base, les membres de la loge vont valider ou non son entrée. On peut entrer directement en contact avec nous ou par le biais de quelqu’un que l’on connaît.

DNC : Peut-on aujourd’hui s’« afficher » en tant que franc-maçon ?

Marie-Thérèse Besson : Il fut un temps où effectivement c’était plutôt secret. D’abord parce que les francs-maçons, hommes ou femmes, ont été pourchassés, persécutés, les femmes envoyées dans les camps de concentration. Aujourd’hui, on est plutôt dans quelque chose de discret, mais on fait des conférences comme ici à Nouméa, on dit qui on est, ce que l’on fait. L’objectif actuel, je crois, est de démystifier la franc-maçonnerie parce que l’on raconte tout et n’importe quoi sur le sujet. Aujourd’hui, on a le choix de dire ou de ne pas dire qu’on est franc-maçon. Simplement, on ne peut pas dire de quelqu’un qu’il l’est. C’est son choix. Il y a encore des milieux professionnels où cela pose problème…

DNC : On ne peut pas renier qu’il y a quand même une grande part de mystère dans ce que vous faites…

Marie-Thérèse Besson : En fait, nous passons par une initiation et ce chemin est inracontable, parce que c’est de l’ordre de l’intime. C’est cela que les gens aimeraient percevoir, mais c’est impossible puisque c’est une expérience personnelle. C’est la même chose sur nos façons de nous réunir, nous habiller, nous déplacer, communiquer entre nous. Tout est code, tout est sens, et ça n’a justement aucun sens si on n’est pas initié. Mais c’est vrai que cela participe au fantasme…

DNC : Comment travaillez-vous à la GLFF ?

Marie-Thérèse Besson : Nous sommes un courant de pensée, un lieu de réflexion. Il y a d’abord un travail sur soi, un travail de connaissance de soi. Nous avons une méthode basée sur les symboles universels. On dit que nous sommes des bâtisseurs et on commence par se construire soi-même avant de pouvoir se tourner vers les autres. Cette nouvelle manière d’être va être déterminante. Ensuite, nous travaillons sur des sujets de société. Nous nous retrouvons deux fois par mois.

DNC : On sait qu’il existe des loges mixtes. La GLFF n’a jamais souhaité s’ouvrir aux hommes ? Pourquoi ?

Marie-Thérèse Besson : Nous sommes une obédience strictement féminine et nous n’avons absolument pas l’intention de devenir mixte ! Nous pensons que le travail entre femmes se fait d’une manière beaucoup plus simple. Nous avons une sensibilité qui n’est pas celle des hommes. On est femme et on réfléchit entre femmes, sous le regard d’autres femmes, ce qui permet d’aller au plus profond de son intimité sans avoir de problématique par rapport à un regard qui pourrait être différent. Pour nous, c’est une richesse extrêmement importante. Nous ne sommes pas pour autant contre les hommes. Nous sommes un pôle de l’humanité, l’homme est l’autre pôle. Ne l’oublions jamais.

DNC : Les problématiques que vous abordez sont-elles uniquement féminines ?

Marie-Thérèse Besson : Non, bien sûr. Nous sommes impliquées dans la défense des droits des femmes qui ont encore besoin, pour beaucoup, d’être défendues. Mais nous travaillons sur tous les sujets de société qui peuvent nous être soumis ou que nous pouvons choisir nous- mêmes. Nous avons, par exemple, été consultées par les assemblées sur la bioéthique, sur la fin de vie, le vivre ensemble républicain… En Nouvelle- Calédonie, les femmes ont été sollicitées avec toutes les autres obédiences, les forces vives, spirituelles, religieuses du territoire, pour évoquer la façon dont elles voyaient l’avenir proche, la sortie des accords. Nous avons apporté là un avis sur la situation des femmes. D’autres se sont penchées sur le destin commun. En tant qu’obédience simplement, nous ne faisons pas de politique ni de religion. Ces sujets ne sont pas abordés dans nos loges. L’espace maçonnique se situe dans l’espace laïque.

DNC : Qu’est-ce qui vous inquiète le plus dans le monde actuel ou dans l’évolution de la société ?

Marie-Thérèse Besson : Ce qui m’inquiète, c’est le sectarisme, le poids du dogme, le fait que les êtres humains n’arrivent pas à être tolérants les uns envers les autres, ce qui va complètement à l’encontre de ce que nous prônons. Et tout ce sentiment qui crée de l’insécurité, de la méfiance entre les communautés, quelles qu’elles soient.

 Propos recueillis par C.M. 

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BIO EXPRESS

Marie-Thérèse Besson a été élue Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France le 30 mai 2015. Âgée de 66 ans, elle est une sœur lyonnaise, initiée à l’âge de 30 ans dans la loge Sophia, première loge lyonnaise de la GLFF, au REAA (rite écossais ancien et accepté). En 1986, elle a fondé la loge Eurydice au rite français moderne et pratique donc les deux rites. Marie-Thérèse Besson a exercé le métier de sage-femme pendant dix ans et a accédé peu à peu à des fonctions d’encadrement et de direction des soins avant de prendre la direction d’une clinique, en France, puis à l’étranger. Avant de devenir Grande Maîtresse, elle réalisait toujours des missions d’expertise. Elle a fait partie du Conseil fédéral de la GLFF avant de succéder à Catherine Jeannin-Naltet. Veuve, elle est mère d’une fille et grand-mère de deux petites-filles.

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La Grande Loge féminine de France, c’est quoi ?

La Grande Loge féminine de France (GLFF) est la plus vieille obédience féminine française dont le siège est situé à Paris. Elle n’initie que des femmes et est représentée en France, mais aussi dans de nombreux autres pays.

La GLFF compte 14 000 femmes et plus de 433 loges sur le territoire métropolitain mais aussi à la Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion, à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie ou la franc-maçonnerie est fortement représentée (600 maçons hommes et femmes).

Elle a également étendu son action auprès des femmes dans plusieurs pays d’Europe (Luxembourg, Hongrie, Pologne, Serbie, Bulgarie,…), et d’Afrique (Togo, Cameroun, Sénégal, …). Elle est par ailleurs présente à l’île Maurice, au Québec, au Moyen-Orient. Elle offre un espace d’échange et de rencontre aux femmes de tous âges, horizons et cultures et s’ouvre, dit-elle, à « toutes celles qui aspirent à un accomplissement personnel et au progrès social en s’appuyant sur la méthode maçonnique ».

Histoire

La GLFF, association de loi 1901, a été créée en 1945 sous le nom d’Union maçonnique féminine de France.
Elle est l’aboutissement d’une aventure de plus de deux siècles pour les femmes. De la création de la franc-maçonnerie moderne en Angleterre au XVIIIe siècle, des premières incursions des femmes dans la franc-maçonnerie au sein de loges dites d’adoption sous la tutelle des loges masculines, à la disparition des loges dans la tourmente révolutionnaire, au nouvel essor du XIXe siècle avec des militantes engagées comme Louise Michel, la création des premières loges mixtes, la clandestinité de la Seconde Guerre mondiale, puis finalement l’indépendance des loges d’adoption et la création de l’Union maçonnique féminine de France qui prendra le nom de Grande Loge féminine de France en 1952.

De la réflexion à l’action

Tout au long de leur histoire, les franc-maçonnes ont activement participé à l’émancipation des femmes, la dignité citoyenne, le respect de leur intégrité physique et morale, le droit de vote, le développement de la contraception, la légalisation de l’avortement, la reconnaissance des droits sociaux des femmes. Les réflexions faites par les sœurs sont portées dans la cité par les biais des femmes qui sont engagées sur le plan professionnel, social, familial.

Par ailleurs, la GLFF est régulièrement consultée par les institutions de la République et auditionnée par des commissions parlementaires autour des enjeux de société et des débats citoyens.