L’usine du Sud se remet en ordre de marche

Didier Ventura, le directeur adjoint délégué, estime que l’usine peut montrer sa capacité à être rentable dès 2021. Les objectifs sont plutôt ambitieux puisque Prony Resources pense pouvoir atteindre un coût de production de 10 000 dollars la tonne de nickel à l’horizon 2023, un niveau très nettement en dessous des deux autres usines calédoniennes.

Les salariés de l’usine du Sud reprennent progressivement le travail depuis le 6 avril, date de la levée du chômage partiel. L’objectif est de parvenir à relancer la machine au plus vite et d’atteindre une production mensuelle de l’ordre de 3 000 tonnes.

Après plus de cinq mois d’arrêt quasi-complet, l’usine s’apprête à être remise en service. Depuis plus d’une semaine, les équipes sont à pied d’œuvre pour remettre l’outil industriel en état de marche. Les blocages ont laissé des traces et le cyclone Niran a causé d’importants dégâts sur l’unité de production d’acide. Près de 800 personnes sont d’ores et déjà engagées sur le site, soit environ 1200 salariés qui se relaient, afin de reconstruire des locaux provisoires et réparer les installations. Le 20 avril, si tout se passe bien, les premières tonnes de NHC, nickel hydroxide cake (le produit intermédiaire utilisé dans la fabrication de batteries électriques), devraient pouvoir sortir des lignes de production avant d’être chargées dans des conteneurs et expédiées aux clients de Prony Resources (PR). Dans un premier temps, la production sera assurée grâce à un stock de minerai remontant au mois de novembre. La mine devrait être pleinement opérationnelle d’ici la fin du mois, marquant aussi le retour des sous-traitants.
L’industriel insiste sur son ancrage local, avec son capital composé d’intérêts calédoniens à 51 %, et met en avant sa contribution au développement durable de la Nouvelle- Calédonie et du reste du monde en participant à l’essor de la production de véhicules électriques. Comme l’a expliqué Didier Ventura, le directeur adjoint délégué, l’entreprise compte sur son partenariat avec Tesla pour « faire en sorte que le produit reste à la page. Si on se laisse dépasser, on sera fichu ». Si le NHC a le vent en poupe aujourd’hui, rien ne dit que ce sera le cas demain. Didier Ventura d’expliquer qu’hier, l’oxyde de nickel était en vogue, aujourd’hui le NHC, mais demain ce sera peut-être le sulfate de nickel. Une évolution qui nécessiterait la construction d’une raffinerie, et donc un temps de construction non négligeable, sans compter les investissements nécessaires. Mais le NHC a encore de beaux jours devant lui, estime la direction de PR.

Objectif : 45 000 tonnes en 2023

L’objectif est de pouvoir sortir 20 000 tonnes de NHC d’ici la fin de l’année, 35 000 tonnes en 2022 et 45 000 tonnes par la suite. Le tout avec un coût de revient, hors investissements, de 10 000 dollars la tonne de nickel (soit cinq dollars la livre) d’ici 2023. Un niveau jamais atteint par Vale Nouvelle-Calédonie qui est tout de même parvenu à dépasser les 13 000 USD la tonne, 13 322 USD pour être précis, selon les chiffres de Vale, au troisième trimestre 2020 (soit 6,6 USD la livre). Si l’on compare aux autres usines du même type, cinq USD la livre (10 000 USD la tonne) reste un niveau de coût élevé. Les concurrents affichent des coûts presque deux fois inférieurs, voire moins, comme en Russie, où la production de plusieurs minéraux rend celle du nickel encore plus compétitive. PR coproduit, quant à elle, du cobalt qui permet de réduire le « cash cost ». Ce dernier serait de l’ordre de 11 500 USD la tonne sans le cobalt (si l’objectif est atteint). À terme, entre 3 000 et 4 000 tonnes de cobalt seront produites par l’usine.

Si PR n’est donc pas particulièrement compétitive par rapport à ses concurrents, cela n’empêche pas la direction de viser la rentabilité à très court terme. Prony Resources projette un EBITDA positif dès cette année. L’EBITDA mesure la rentabilité d’une entreprise avant l’amortissement des investissements et les impôts, notamment. Cet indicateur montre si l’activité est rentable ou non. Si les cours du LME se maintiennent au niveau actuel, de l’ordre de 16 000 dollars la tonne, le pari a de grandes chances d’être remporté. D’autant que l’usine du Sud dispose d’une botte secrète : une véritable montagne de 600 000 tonnes de saprolites prêtes à être exportées. Après un premier bateau-test de 27 000 tonnes envoyées à la SLN, il est prévu plusieurs minéraliers cette année pour alimenter les fours de Doniambo, en fonction des caractéristiques chimiques des autres minerais utilisés qui déterminent les besoins en minerai du Sud. À noter que les exportations de minerai sur le territoire ne constituent pas un contournement des réserves géographiques métallurgiques dans le sens où l’objectif était d’assurer un traitement local du minerai, comme le précise le schéma de mise en valeur des richesses minières. Mais la capacité de la SLN à alimenter ses fours avec son propre minerai et sa situation financière ne tirent pas les prix vers le haut, d’autant que pour PR, ces saprolites sont un « produit fatal », en l’absence de modifications du Code minier par le Congrès.

En dehors de l’opportunité à produire et de la rentabilité de l’entreprise, il se pose également la question de la capacité de la société à le faire. La direction a rappelé que Lucy, dont l’objectif est d’accroître les capacités de stockage des résidus d’exploitation, apporte un horizon de dix ans de production. Passé ce délai, il faudra trouver de nouvelles solutions, ce qui ne devrait pas être chose aisée si l’on considère les difficultés rencontrées pour concevoir Lucy. En cette période post-accord politique, les signataires sont davantage préoccupés par l’acceptation de l’accord et la reprise de l’activité que du devenir de l’usine à long terme. Seuls quelques habitants du Grand Sud restent mobilisés, notamment au niveau de la Madeleine. Pour Didier Ventura, le dossier est bouclé du côté de Prony Resources et les discussions avec ces opposants reviennent aux responsables politiques et coutumiers qui ont signés l’accord.

Un redémarrage coûteux

Le redémarrage de l’usine va coûter très cher à Prony Resources. Selon le directeur général délégué, il faut compter environ 2,5 milliards de francs de dégâts matériel auxquels il convient d’ajouter les pertes d’exploitation de l’ordre de 12 milliards, ainsi que le chômage partiel que la Cafat n’aura très certainement pas les moyens de prendre en charge et qui pourrait donc être inscrit au passif de l’entreprise. Une facture salée de l’ordre d’une vingtaine de milliards de francs qui sera intégralement réglée par Prony Resources, désormais seul maître à bord de l’usine du Sud.

L’avenir du nickel pour les batteries

Il existe plusieurs marchés du nickel. Le principal est celui de l’acier inoxydable. Celui des batteries électriques est émergent et pas à l’abri de ruptures technologiques. Plus le prix de marché est élevé et plus le risque que les industriels cherchent à se passer du nickel est élevé. Tout l’enjeu, un peu paradoxal, est donc de maintenir un prix suffisamment faible pour faire en sorte que les producteurs de batteries continuent d’utiliser le « métal du diable », mais à un niveau suffisamment élevé pour assurer la rentabilité des producteurs de métal. L’équilibre se fera selon une équation connue, dont les variables sont plutôt facétieuses, à savoir l’évolution du stock mondial de nickel, la demande des producteurs de batteries et l’offre de production. Les stocks sont relativement bas, la demande commence à s’intensifier et de très nombreux projets sont dans les cartons ou encore en cours de lancement, mais pas encore en production. Un cocktail plutôt en faveur des producteurs, pour le moment. Un rapport de la Commission européenne, publié en début d’année, sur la demande de nickel pour les véhicules électriques recommande d’ailleurs aux États membres de sécuriser leurs approvisionnements. On comprend mieux pourquoi l’État s’est autant félicité que le partenaire de l’usine du Sud soit européen (Trafigura est une multinationale d’origine suisse). Cela n’empêche pas pour autant la France d’investir de manière conséquente dans le développement de l’hydrogène. La Commission européenne estime que le plan hydrogène représentera un coût de l’ordre de 180 à 470 milliards d’euros d’ici 2050, comme l’ont très récemment rapporté nos confrères de La Tribune. Pour la France, l’enjeu est d’assurer une amorce de réindustrialisation décarbonée à l’horizon 2030.

Les études environnementales bientôt lancées

C’était un des points clefs des revendications, les sept études prévues dans l’accord politique pourraient être prochainement lancées. Ce sont du moins les appels d’offres qui sont sur le point d’être lancés auprès des experts désignés lors de la table ronde sur l’environnement, une fois la rédaction des cahiers des charges achevée.