« La délinquance n’est pas l’échec des uns ou des autres »

La délinquance en Nouvelle-Calédonie est préoccupante. C’est ce que révèlent les chiffres récemment publiés par le ministère de l’Intérieur. Des chiffres particulièrement mauvais pour l’outre-mer. Alors que la mission sur la prévention de la délinquance demandée par le Premier ministre est toujours en cours, un colloque organisé par la Maison de la Mélanésie, en partenariat avec le centre Michel-de-l’Hospital de l’université d’Auvergne, le haut-commissariat et le Congrès s’est tenu à l’IRD, les 23 et 24 juin. Retour sur ces rencontres, rassemblant universitaires, professionnels de la sécurité et institutions, avec Florence Faberon, organisatrice de l’événement et maître de conférences de droit public à l’école de droit de l’université d’Auvergne.

DNC : Quelle est l’idée générale du colloque intitulé « Quelles réalités et quelles perspectives » ?

Florence Faberon : Avec Benoît Coquelet, qui prépare une thèse de doctorat en droit public sous ma direction sur cette thématique essentielle de la prévention de la délinquance en Nouvelle-Calédonie, nous avons fait le choix de sous-titrer ce colloque « réalités et perspectives » en nous fixant pour objectif de comprendre les réalités et les enjeux présents pour mieux se projeter dans l’avenir. Nous avons souhaité prendre la mesure de la délinquance et, dans le cadre d’une démarche scientifique, réfléchir ensemble, universitaires et praticiens, à ce défi d’envergure.

En Nouvelle-Calédonie, il existe une volonté commune de prendre à bras-le-corps le phénomène et, en même temps, la réalité d’une délinquance qui se transforme et s’aggrave de manière préoccupante. Aussi, procéder à un examen d’ensemble de la situation, débattre et proposer des pistes de réflexion, telle est l’idée générale de ce colloque.

Nous sommes conscients que quelles que soient les institutions de la Nouvelle-Calédonie de demain, elles devront assurer la cohésion de toute une société : une société sachant traiter les questions des délinquances. Cela fait partie des exigences du destin commun. La délinquance, c’est le refus de la règle, des institutions et de la démocratie elle-même. Plus la délinquance avance, plus la légitimité de notre société est mise en échec.

Y a-t-il une explosion de la délinquance dans les chiffres et parle-t-on d’une seule ou de plusieurs types de délinquance ?

Il faut toujours prendre avec précaution les chiffres, qui sont une photographie des actes déclarés ou des infractions relevées par l’action des services de police et de gendarmerie. Les données quantitatives liées aux actes de délinquance ne permettent pas à elles seules d’appréhender la totalité des réalités. Une augmentation des chiffres peut d’ailleurs être le marqueur d’une meilleure prise en compte des situations, voire le révélateur d’une confiance des populations dans les forces de l’ordre.

Ceci étant précisé, si les chiffres sont préoccupants et si certains le sont encore davantage, il n’est pour autant pas possible de parler d’explosion de la délinquance en Nouvelle-Calédonie au cours des dernières années. Cependant, des signes précurseurs existent. Le sentiment d’insécurité est prégnant et certaines évolutions appellent particulièrement à la vigilance, sachant que les chiffres nous sont donnés par catégorie d’infractions : les atteintes à l’intégrité physique, les atteintes aux biens, l’escroquerie et les infractions économiques et financières ou encore la délinquance de proximité.

Sur la période 2013-2015, et l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, il a été rappelé au cours du colloque que si les vols de véhicules ont diminué, le nombre des cambriolages a augmenté de 20 % et les atteintes à l’intégrité physique de 16 %. Surtout, le nombre de mineurs et de jeunes majeurs mis en cause doit être souligné ainsi que le rôle de l’alcool et du cannabis dans la commission des infractions.

La délinquance sur le territoire n’est pas une délinquance organisée de grande criminalité et elle est, de façon marginale, une délinquance financière. Elle est plutôt une délinquance d’appropriation et d’atteinte aux personnes, particulièrement sur ce point au sein de la sphère familiale. Elle est encore, et de manière extrêmement préoccupante, une délinquance routière.

La question de la gouvernance est revenue à plusieurs reprises, y a-t-il un déficit de ce côté-là en Nouvelle- Calédonie et comment peut-on améliorer les choses ?

La question de la gouvernance est centrale pour construire une politique publique effective de prévention de la délinquance. Il ne suffit pas d’avoir conscience des réalités d’une situation ; il ne suffit pas de vouloir prévenir cette situation.

Il nous appartient de penser et de pratiquer une politique globale et coordonnée de prévention de la délinquance. La volonté d’agir est commune, des outils existent, il reste cependant à mieux coordonner la réponse institutionnelle. Ceci est vrai, tant en Nouvelle-Calédonie qu’en métropole. La concertation est souvent plus facile à décréter qu’à pratiquer. Il est important de définir un pilote, de savoir qui fait quoi et de créer des espaces de coproduction de la sécurité.

La justice dispose-t-elle des outils nécessaires, notamment pour traiter la question des jeunes ? Et un plan Marshall est-il souhaitable ?

Une question centrale en Nouvelle-Calédonie est celle de la jeunesse dans son ensemble, une jeunesse qui est loin de se limiter au visage de la délinquance. La jeunesse est multiple et pleine de ressources. Une partie n’en est pas moins confrontée au décrochage scolaire, au désœuvrement, à une perte de repères, au déficit d’insertion sociale et professionnelle et à la délinquance, celle-ci n’étant évidemment pas le résultat systématique et automatique du décrochage scolaire ou d’une absence d’insertion professionnelle.

jeunesse délinquante mais plus globalement la jeunesse calédonienne. Nos deux jours de travaux ont pu souligner le sentiment d’impunité d’une partie de la jeunesse et la nécessité d’apporter des réponses concrètes face à des actes de délinquance constatés. La justice peut ici se trouver impuissante pour partie face à l’état de jeunesse des mis en cause. La justice peut pour certains mis en cause avoir besoin d’outils supplémentaires et, pour d’autres, de relais pour qu’il soit effectivement donné corps aux décisions prises.

Parce que la jeunesse est l’avenir de toute société, parce que la jeunesse est le temps de la construction et l’apprentissage de l’autonomie, il est éminemment important de répondre fortement et globalement. Parler à cet égard de « plan Marshall », en veillant à ne pas galvauder cette référence historique, c’est l’affirmation d’une telle volonté de prendre en compte la globalité des problèmes de la jeunesse et de mobiliser activement tous les acteurs avec des moyens à la hauteur des ambitions.

Toute une réflexion est déjà conduite par le Sénat coutumier sur la jeunesse dans le cadre de ce qu’il appelle « plan Marshall en faveur du monde kanak ». La jeunesse y est affirmée comme une priorité forte. Un projet d’ensemble, volontariste et doté de pleins moyens est non seulement souhaitable, mais il doit encore concerner l’ensemble des jeunes de Nouvelle-Calédonie.

Peut-on parler d’échec de la prévention en Nouvelle-Calédonie, notamment si l’on considère la dimension coutumière ? Les autorités coutumières sont-elles suffisamment prises en compte ?

La délinquance n’est pas l’échec des uns ou des autres. Il n’est en aucun cas possible d’en désigner une cause unique et dès lors, un remède simple à mettre en œuvre. Ainsi la notion même de prévention de la délinquance ne peut qu’être polymorphe. On ne saurait fustiger en particulier la dimension coutumière, telle institution ni telle autorité.

La responsabilité est collective dans les déficiences constatées des politiques de prévention de la délinquance et sans doute la nécessité de revaloriser tous les acteurs à tous les niveaux : parents, éducateurs, référents, forces de l’ordre, institutions de la Nouvelle-Calédonie et évidemment les autorités coutumières… La prévention de la délinquance passe par une action en commun et coordonnée. Elle nécessite de prendre en compte les autorités coutumières et la coutume, y compris en matière de droit pénal. Elle implique en général d’affirmer la force de nos valeurs communes et les ressources de la jeunesse calédonienne, une jeunesse qui aspire fortement à ouvrir l’avenir de son identité.

 Propos recueillis par M.D. 

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De nouveaux outils qui fonctionnent

Lors du colloque sur la prévention de la délinquance, de nombreuses pistes ont été évoquées, comme la prise en main de la coordination des acteurs et dispositifs par l’État. Des outils utilisés en métropole ont également été présentés afin de répondre à des problématiques concrètes.

Les grandes incantations ne marchent pas. Agir dans son coin ne marche pas non plus. Une fois ces constats simples et assez évidents dressés, que faut-il faire ? C’est LA grande question. Le colloque organisé par la Maison de la Mélanésie a permis d’évoquer quelques pistes intéressantes d’actions concrètes applicables en Nouvelle-Calédonie, par la voix du député Jacques-Alain Bénisti, membre de la commission de la prévention de la délinquance en Nouvelle-Calédonie et rédacteur de la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance. Il a notamment été question des centres éducatifs fermés (lire également l’interview d’Isabelle Champmoreau sur notre site Internet www.dnc.nc à propos des CEF), un dossier qui divise les experts.

Pour Christiane Tétu-Wolff, responsable de la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse, qui a dirigé et travaillé dans des CEF pendant de nombreuses années, ce type de structure n’est pas adapté à la Nouvelle-Calédonie. Un avis partagé par de nombreux experts, y compris par le député Bénisti, qui estiment le dispositif trop coûteux et peu adapté à l’environnement calédonien (les CEF ont vocation à accueillir les cas vraiment très lourds). Jacques-Alain Bénisti leur préfère les Epide, établissements publics d’insertion de la Défense. L’idée est d’offrir un cadre structurant à des jeunes, tout en leur permettant de s’insérer socialement par la formation ainsi que par un accompagnement civique sous la tutelle de militaires expérimentés.

L’Epide fonctionne sur la base du volontariat et constitue une alternative aux peines de prison. Plus souple que le CEF, une possible déclinaison a même été évoquée lors des échanges. Étant donné le contexte calédonien, il pourrait être souhaitable de remplacer les militaires par des coutumiers. Une idée qui fait écho à un autre constat, celui que le Camp- Est est majoritairement peuplé d’Océaniens et plus particulièrement de Kanak mais aussi que ces mêmes populations sont les plus touchées par l’échec et le décrochage scolaire.

Si l’on n’est pas délinquant parce que l’on décroche scolairement, il a été observé que les délinquants avaient quasiment tous décroché de l’école. Une problématique sur laquelle la Nouvelle-Calédonie a déjà lancé des expérimentations au collège et au lycée, mais aussi et surtout en primaire. Pour les experts, l’intervention au collège est déjà trop tardive. Le nouveau projet éducatif du territoire aborde également cette question cruciale du décrochage qui concerne tout de même près de 600 à 800 jeunes par an.

Un observatoire de la délinquance

Les Epide viendraient en complément de dispositifs mis en œuvre relativement récemment, ou en train de se concrétiser, comme le réseau des médiateurs coutumiers ou la Case juridique kanak dans les Îles, structure d’accueil qui sera notamment en liaison avec le service de la femme et de la famille. L’idée étant une nouvelle fois de lutter contre les exclusions, les problèmes familiaux, la perte de repères ou encore l’échec scolaire.

Comme l’ont souligné les différents intervenants, le territoire dispose d’une palette d’outils assez étendue qui reste à compléter et devra se doter d’une véritable politique à l’échelle du territoire. Viginie Ruffenach, des Républicains et qui s’exprimait au nom de Thierry Santa, le président du Congrès, a soutenu l’idée que l’État prenne le dossier en main, au titre de ses compétences en matière juridique et de sécurité. Si la proposition n’a pas suscité l’adhésion de tous, chacun a reconnu le besoin d’une coordination des nombreux acteurs et de la création d’un observatoire de la délinquance. Un point sur lequel l’État et les institutions pourraient avancer, en particulier après la remise du rapport de la mission des experts de la gendarmerie et de la police nationale prévue très prochainement.