La variation des prix à la hausse en juin, multifactorielle, reste maîtrisée, considèrent les acteurs du secteur, importateurs, distributeurs, moyennes et grandes surfaces.
Ce responsable d’une société de distribution dans l’alimentaire, qui ravitaille plusieurs super et hypermarchés, préfère rester anonyme. C’est peu de dire que le sujet des prix est particulièrement sensible. Pour autant, ce directeur l’assure : en termes de prix, « rien n’a changé depuis le 13 mai ». Le maître mot est la « stabilité ». Michaël Dib, directeur général de Carrefour, enseigne particulièrement affectée par les exactions, se montre plus loquace. Il y a bien eu quelques variations, notamment sur les fruits et légumes, « qui ont connu une augmentation sensible », mais sur le reste, « pas d’inflation folle », « rien de honteux ».
Ajoutant que sur certains produits, cela n’est pas de leur fait, en particulier la viande, les grandes surfaces étant « tributaires des prix de l’Ocef », qui a rencontré d’importantes difficultés pour se faire livrer. Les incendies de plusieurs commerces ont entraîné des « reports sur d’autres établissements et des supérettes de proximité qui sont plus chers », analyse Sylvie Jouault, déléguée générale du syndicat des importateurs et distributeurs (SID-NC). Et a rendu les prix plus bas moins accessibles avec la perte de Super U Kaméré et Rivière-Salée, Korail, Kenu In… Les émeutes ont modifié le marché du négoce. « La concurrence est moins forte, le paysage économique est un peu cassé », résume Jean-Marc Espalieu, directeur général de Korail.
ABSENCE DE PROMOTIONS
Le coût à payer pour transporter les chargements jusqu’au Mont-Dore par barge n’est pas sans conséquence. « Avant, elles étaient financées par le gouvernement. Maintenant, elles sont à la charge des opérateurs.» Sans compter les frais induits par des dépenses supplémentaires en sécurité. Et puis, pour ceux qui ont perdu de la clientèle et du chiffres d’affaire, il y a eu la tentation de revoir un peu à la hausse pour en récupérer, explique Sylvie Jouault. « Quelques-uns en ont profité, mais à la marge. »
Autre aspect non négligeable, l’absence de promotions depuis le mois de mai. « Aucun fournisseur local ne m’a proposé de remises, alors qu’en temps normal, elles peuvent atteindre 5 à 10 % » qui se répercutent sur les prix, témoigne Jean-Marc Espalieu. Les professionnels du secteur s’attardent davantage sur les problématiques auxquelles ils sont confrontés. Notamment le lien avec les fournisseurs, locaux ou internationaux, qui demandent à être réglés immédiatement, avant la livraison parfois, ou vendent au prix fort de peur de ne pas être payés, ce qui affecte l’état des trésoreries que les opérateurs essayent de renflouer.
« Nous n’avons aucune envie de tirer les prix vers le bas », note Jean- Marc Espalieu, ajoutant que son enseigne multiplie les efforts pour proposer des « tarifs convenables », par exemple sur les produits frais. « Nous vendons la salade locale achetée 195 francs à 325 francs, les tomates locales achetées 295 à 395 francs, nous réalisons des promotions sur les pommes, le chou de Chine… »
Les marges sont effectuées sur les produits de droguerie, parfumerie et hygiène, dévoile le directeur, sur les brosses à dents ou un masque pour les cheveux. Les prix s’adaptent au lieu d’implantation du commerce. En l’occurrence, Normandie. « Tout dépend aussi de la zone géographique dans laquelle vous êtes et du pouvoir d’achat de sa population. À Ducos, quartier plus ouvrier, les PPN seront davantage mis en avant, parce que c’est le cœur de la clientèle. »
AVENIR INCERTAIN
Cette inflation va-t-elle durer dans le temps ? « J’espère ça va se lisser », avance Sylvie Jouault. Le président de l’UFC-Que Choisir parle lui d’une baisse « en août – septembre ». Mais, les signes ne sont guère encourageants. Sylvie Jouault mentionne une hausse de l’assurance fret à venir, le territoire étant considéré à risque, ainsi que l’entrée en vigueur de la taxe sucre le 1er août. « Cela ne devrait pas arranger les choses. Notre demande de report est restée sans réponse. Or, ce n’est pas le moment de la mettre en œuvre d’autant que les produits concernés sont consommés par la population à faible pouvoir d’achat notamment. Cet élément va favoriser une augmentation des prix, c’est sûr. »
Face à tant d’inconnues, les projections sont sombres. « L’avenir est incertain, nous n’avons pas de perspective. Le contexte va jouer sur la consommation en général. » « On ne sait pas de quoi elle sera faite, les gens n’achètent plus que l’essentiel, ajoute Michaël Dib. Donc la rentabilité devrait diminuer. On ne peut que subir. » Les opérateurs ont activé le « mode survie », raconte Sylvie Jouault. « Il y a un report sur les produits basiques. Il faudra les revoir à la hausse pour fournir le marché, nous voulons éviter de voir des émeutes de la faim. »
Les départs du territoire représentent autant de consommateurs en moins pour les magasins. Malgré tout, la déléguée générale du syndicat des importateurs reste convaincue que « ça va repartir ». Michaël Dib annonce la volonté de Carrefour de se relever. « Dans la vie d’une entreprise, il y a des drames, on fait un pari sur l’avenir. » Il ne doit pas être si sombre pour le secteur de l’alimentation finalement.
Abus
Le 20 mai, une semaine après le début des émeutes, le gouvernement, alerté par des clients, avait dénoncé les abus de commerçants qui profitaient de la situation pour augmenter « de manière exagérée » les prix, dont certains sont réglementés. Dans un communiqué, l’exécutif déplorait cette pratique totalement illégale et « inacceptable ». Afin de protéger les consommateurs, la mise en place de mesures strictes de contrôle des prix était alors annoncée.
Anne-Claire Pophillat