« La bulle sanitaire avec Wallis a été un fiasco ! »

Le Sénat coutumier assume pleinement son rôle consultatif depuis le début du confinement. Plusieurs recommandations ont été formulées ces derniers jours au cours des réunions de crise successives. Justin Gaïa, le président de l’institution, s’en explique.

DNC : Quels dispositifs ont été mis en place, au sein du Sénat coutumier, pour coordonner les actions ?

Justin Gaïa : Depuis le début du confinement, on a réactivé la cellule de crise mise en place l’an dernier par l’ancien président. L’objectif, c’est d’actualiser nos informations et de soulever des problèmes qui apparaissent. Nous avons fait trois réunions la semaine dernière. À chaque fois, les sénateurs coutumiers sont présents, mais également un représentant du Congrès, du gouvernement et les responsables de l’aire Drubea-Kapumë. La semaine dernière, puisque nous étions sur l’espace aéroportuaire de La Tontouta, il y avait le porte-parole de la chefferie de Païta, chargé de transmettre les informations au grand chef.

Pourquoi La Tontouta ?

Nous étions à La Tontouta, car c’est par là que le virus est arrivé, donc c’est un lieu à surveiller. Nous suivons l’enquête de près, car nous voulons savoir comment le virus est entré. On doit bien reconnaître que la bulle sanitaire avec Wallis a été un vrai fiasco ! Les coutumiers n’ont pas été consultés à ce sujet, nous n’étions même pas au courant. Est-ce que nous étions tellement concentrés sur les problèmes de l’usine du Sud que nous avons négligé le Covid ? Je ne sais pas… Mais la priorité aujourd’hui, c’est le confinement.

Vous recommandez la mise en place de référents par tribu. De quoi s’agit-il ?

C’est une préconisation qui a effectivement été décidée en cellule de crise. Un référent Covid-19, c’est une personne, dans chaque tribu, chargée de recenser les gens les plus vulnérables, de les convaincre de se faire vacciner et les diriger vers les centres de vaccination les plus proches. En général, les référents sont des personnes dynamiques et sociables, nous en connaissons dans chaque tribu.

Si un cas se déclare en tribu, quelles sont les consignes ?

On s’est servi de l’exemple de la lèpre pour établir nos préconisations. Si un cas se déclare en tribu, la consigne est d’isoler cette personne et de savoir avec qui elle a été en contact pour isoler ces personnes également. Tout ça, c’est indispensable pour protéger les gens et notamment les anciens : ce sont les plus vulnérables.

Comment diffusez-vous ces informations ?

Chaque référent a les informations, normalement diffusées oralement par les chefferies. Mais nous venons de formuler cette préconisation, alors nous attendons de voir. De la même façon, nous ne contrôlons pas la mise en place de ces décisions.

Dès le début de la crise, vous préconisiez la fermeture des tribus, ce qui a conduit à quelques débordements…

Effectivement, le terme n’a pas été très bien choisi. Notre idée était plutôt de filtrer l’entrée dans les tribus pour éviter la propagation du virus. Il s’agissait notamment de dire aux gens des squats et des gens de Brousse qui habitent à Nouméa de rester chez eux, de ne pas rentrer en tribu pour limiter la circulation du virus dans le pays.

Actuellement, les tribus disposent-elles de suffisamment de masques et de gel hydroalcoolique ?

On sait très bien que les gens ne peuvent pas facilement s’équiper en tribu. C’est pour cette raison que nous préconisons de filtrer l’entrée des tribus. Si personne à risque ne rentre, il n’y a pas de raison de porter le masque. Mais d’après les informations que j’ai, certains portent quand même le masque, malgré tout.

Vous vous prononcez en faveur du prolongement du confinement après ces quinze premiers jours. Comment justifiez- vous cette position ?

Nous ne voulons prendre aucun risque. Si le nombre de cas stagne et qu’on atteint un plateau, on pourra réfléchir à reprendre une vie normale. En revanche, si le nombre de cas continue d’augmenter, cela signifie que le virus circule toujours, nous préconisons alors la poursuite du confinement, même si l’on sait que cela va coûter très cher à la Nouvelle- Calédonie.

Vous vous opposez à la venue des gendarmes sur le Territoire. Pourquoi ?

C’est un autre point de vue que nous avons soulevé en réunion de crise. Le gouvernement a choisi d’annuler tous les vols internationaux pendant le confinement. Nous souhaitons que les vols militaires, tout comme les vols de passagers soient suspendus pendant cette période. Ceux qui souhaitent partir peuvent le faire sans problème. En revanche, nous souhaiterions que ceux qui souhaitent venir repoussent leur arrivée. Nous devons rencontrer le général Barrera à ce sujet.

Les Wallisiens et les Futuniens sont aujourd’hui stigmatisés. Quel est le regard du Sénat coutumier sur la situation ?

Je trouve inadmissible le comportement qui consiste à maltraiter les Wallisiens et Futuniens et à les rendre responsables de la situation. Ce sont nous, les Calédoniens, qui sommes responsables à travers le gouvernement. Cette bulle, mise en place avec Wallis, a permis la circulation des personnes, sans contrôle. C’est comme ça que le virus est arrivé. J’exprime toute ma solidarité envers nos frères wallisiens et futuniens, qui participent depuis très longtemps au développement du pays. Je souhaite une approche beaucoup plus humaine et solidaire de la situation.

Justin Gaïa, originaire de Païta et représentant de l’aire Drubea-Kapumë, a été élu président le 28 août 2020, lors du 20e congrès de l’institution. Originaire de la tribu de N’Dé, il succède à Hippolyte Sinewami- Htamumu, de Maré, qui a mis en place, dès le début de la crise sanitaire en 2020, les cellules de crise. Ancien militaire, Justin Gaïa fut le premier Kanak officier de l’Armée de l’air.

V.G.

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