Jérémie Katidjo Monnier : « 71 % de la côte subit aujourd’hui de l’érosion »

Entre le 17e et le 18e gouvernement, Jérémie Katidjo Monnier a conservé le secteur de l’environnement. © F.D.

Vendredi 7 mars, le gouvernement a présenté les prochaines étapes de la stratégie calédonienne du changement climatique. Jérémie Katidjo Monnier, chargé du secteur de la transition écologique et du changement climatique, défend ce plan d’envergure malgré les restrictions budgétaires.

DNC : Quelle est la stratégie du gouvernement en matière d’adaptation au changement climatique ?
Jérémie Katidjo Monnier : Le gouvernement a construit sa stratégie du changement climatique après une large concertation avec des milliers de contributions et 400 personnes qui ont participé au Forum calédonien du changement climatique [en avril 2024].
Ils ont permis d’établir une stratégie partagée qui va être présentée dès le mois prochain au Congrès afin d’avoir une feuille de route, mais aussi un lieu de gouvernance. On ne crée pas de nouveaux organismes. On crée simplement de nouveaux lieux de concerta- tion où on aura un comité du changement climatique avec l’ensemble des collectivités pour discuter des différentes politiques publiques à coordonner. Et ce comité s’appuiera sur des commissions d’experts.

Quel est le but ?
L’objectif, aujourd’hui, est de rendre cette stratégie opérationnelle. On a défini les priorités ensemble grâce à un groupe d’ex- perts financé par l’AFD, avec l’appui de l’IRD et de Météo France, dans le cadre du projet CLIPSSA [Climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d’adaptation]. Projet qui permet de définir l’évolution du climat dans les 100 prochaines années quasiment à l’échelle de chaque vallée. Est-ce qu’il fera plus chaud ? Moins chaud ? Est-ce qu’il y aura des inondations ? Est-ce que cela entraînera de la sécheresse ? Et donc d’évaluer les risques qui vont être à gérer sur ces espaces.
Les experts vont aller sur le terrain rencontrer l’ensemble des acteurs calédoniens qui font déjà face au changement climatique pour s’organiser ensemble sur une liste de priorités d’actions très concrètes.

Quels sont les moyens techniques disponibles et avec quels financements ?
Les moyens techniques, on les a. Ce sont les données, par exemple, liées à l’évolution du climat. La Nouvelle-Calédonie bénéficie des supercalculateurs de Météo France à Toulouse pour travailler sur nos données climatiques.
On a aussi un accompagnement de l’État avec nos radars météo qui sont en train d’être remplacés. C’est un projet de plus de 1,1 milliard de francs pour que, par exemple, le radar de Tiebaghi, qui a été balayé par un cyclone, puisse être remplacé et reconstruit au Kopéto, ce qui nous permet d’avoir une donnée de qualité à court terme pour prévoir l’évolution des cyclones, des masses nuageuses et des inondations. Mais c’est une donnée aussi de très grande qualité à long terme puisqu’elle nous permet de réaliser des modèles et de la projection.
On a aussi des outils de financement qui accompagnent notre stratégie puisqu’on crée un fonds de résilience face au changement climatique qui va pouvoir accueillir des fonds internationaux.

 

L’environnement a été le grand oublié de l’accord de Nouméa. Aujourd’hui, il fait partie des discussions.

Quand ce fonds va-t-il être mis en place ?
Il va être créé avec la stratégie calédonienne après le vote au Congrès. Le vœu initial du Congrès était de déclarer l’urgence [en septembre 2014]. Déclarer l’urgence, c’est bien, mais si on n’a pas de stratégie, ça ne répond plus aux attentes des Calédoniens. Aujourd’hui, les Calédoniens ont à faire face à l’urgence sociale et économique.
En revanche, il y a des outils internationaux qui existent et souvent les grands bailleurs ne souhaitent pas donner d’argent aux gouvernements parce qu’il y a eu des expériences malheureuses dans d’autres pays, notamment liées à la corruption. Ce fonds va permettre donc d’être un outil qui fera le lien entre les fonds internationaux et la Nouvelle-Calédonie. Il n’y a pas de taxes affectées. Ce ne sont pas les Calédoniens qui paieront.

Le Pacifique en général et la Nouvelle-Calédonie, en particulier, ne sont-ils pas plus touchés que le reste du monde ?
Ces 50 dernières années, la Nouvelle-Calédonie a vu sa température augmenter de 1,1 degré. C’est plus rapide que la moyenne mondiale. Et tout le territoire n’augmente pas à la même vitesse. À l’Anse Vata, par exemple, c’est 1,3 degré de plus. Donc ça va encore plus vite dans l’agglomération de Nouméa.

Quels sont les autres effets du réchauffement climatique ?
En 40 ans, on a eu 8 cm d’augmentation du niveau de la mer. C’est beaucoup. En réalité, il y a l’augmentation du niveau de la mer et l’érosion côtière. 71 % du linéaire côtier subit aujourd’hui de l’érosion. Les installations le long de ces littoraux risquent de disparaître. Et c’est déjà le cas à Ponérihouen. Il y a un travail avec les coutumiers qui sont en bord de mer. La mairie a préparé un lotissement avec de nouveaux réseaux. La province Nord accompagne aussi le déplacement des populations, au fur et à mesure. Les jeunes foyers qui arrivent, il leur est fortement déconseillé, voire interdit, par les coutumiers de s’établir en bord de mer. Ils s’installent donc sur des espaces vus comme mieux protégés.
D’où l’importance des données. Avec l’OBLIC, l’Observatoire du littoral calédonien, on a aussi de la donnée sur les glissements de terrain parce que, quand on déplace une population, on ne la soumet pas à un nouveau risque d’inondation, de feux de forêt ou de glissement de terrain.

Quelle est l’ampleur de ces déplacement de population ?
C’est encore très difficile à déterminer. C’est pour ça qu’on a besoin du projet CLIPSSA qui nous permet d’avoir l’évolution du climat pour les prochaines années. Aujourd’hui, on voit que quasiment l’ensemble de la côte Est est touché. On l’a vu à Mou, à Ponérihouen. On l’a vu à Touho avec le président de la République, l’année dernière, avec cette première maison qui est littéralement tombée dans la mer [à Tiouandé]. Une tribu en plus qui avait une histoire difficile, car cette tribu de la mer, pendant l’indigénat, a été repoussée à l’intérieur des terres et est revenue après en bord de mer. Il y a une double peine historique et climatique.
On le voit aussi avec la route du littoral entre Hienghène, Pouébo et Touho, qui a été attaquée. Et si la route part, les populations seront totalement isolées.
On pense aussi à Ouvéa qui est très touchée par l’érosion du littoral.
La côte Ouest n’est pas épargnée, on le voit sur Poé avec le projet Vital Poé qui a été lancé il y a quelques semaines à peine. L’activité humaine détériore les plantes et les écosystèmes végétaux qui permettent de maintenir la dune.

N’y a-t-il pas une difficulté à mettre en place ce genre de politique alors que la compétence de l’environnement est provinciale ?
Le ministre Darmanin l’avait pris comme exemple. On a quatre codes de l’environnement en Nouvelle-Calédonie, les trois provinciaux plus celui du gouvernement sur les îles éloignées. Pour un pays grand par sa mer, mais petit par sa population, ça fait peut-être beaucoup. Est-ce qu’on a les moyens de tout ça ? En réalité, on voit que l’environnement a été le grand oublié de l’accord de Nouméa puisque c’était avant qu’on parle du changement climatique.
Aujourd’hui, l’environnement fait partie des discussions et j’espère qu’on pourra avoir une simplification avec un seul Code de l’environnement voté par les Calédoniens au Congrès, et après des provinces et des communes qui puissent mettre en œuvre les outils de ce code.

Le gouvernement a adopté à l’unanimité, mercredi 7 juin 2023, un projet de loi du pays pour la mise en place d’un moratoire pour préserver les fonds marins pendant dix ans. Où en est-on ?
Il y a eu un changement au Congrès. Et il a vraiment pris en compte toute l’ampleur du sujet sur le changement climatique. C’est pour ça qu’il nous a demandé de déclarer l’urgence climatique afin de voter tous ces textes environnementaux, sur le changement climatique, le fonds de conservation de la mer de Corail et le moratoire dès l’année prochaine. Le moratoire, c’est un proces- sus très long parce que c’est un processus minier et la mine est un sujet très sensible en Nouvelle-Calédonie.
Maintenant, l’ensemble des consultations ont eu lieu pour que le Congrès puisse prendre une décision éclairée. On sait qu’en Nouvelle-Calédonie, on n’a pas beaucoup de nodules polymétalliques comme à Clipperton ou en Polynésie française. Donc il n’y a pas d’enjeu. Tout ce qu’on aurait à gagner à remuer les grands fonds marins, ce serait de déstabiliser notre écosystème et notre industrie de la pêche.
Le 19 mars, le gouvernement va demander au Congrès de se saisir du texte et ce dernier a 21 jours pour pouvoir convoquer la séance publique.

Ces 50 dernières années, la Nouvelle-Calédonie a vu sa température augmenter de 1,1 degré. C’est plus rapide que la moyenne mondiale.

Le 17e gouvernement a déclaré l’urgence climatique, mais a reporté l’interdiction des emballages plastique en 2040. N’y a-t-il pas une contradiction ?
Effectivement, c’est un texte qui a été porté sous l’ancien gouvernement. Il a été suspendu parce qu’il y a eu des incompréhensions sur ce texte plastique tel qu’il a été voté et proposé par Calédonie ensemble à l’époque.
C’est un texte qui était très ambitieux. Donc l’idée du report en 2040, ce n’était pas de tout autoriser et de faire marche arrière. Cela correspond à certains types d’emballages très particuliers où il n’y a pas d’alternative. Cela nous permet de nous caler sur le calendrier européen et hexagonal pour avoir les alternatives économiquement viables.
On garde une ambition, mais aussi un sens pragmatique face aux réalités du terrain.

Un autre fonds doit être créé, celui de la conservation de la mer de Corail. Quel est son objectif ?
C’est de financer toutes les actions de conservation des grands fonds pour encourager à la recherche, pour mieux préserver aussi notre ressource halieutique. On a mis en place les réserves, on les a multipliées par trois l’année dernière dans le parc. On est passé à 130 000 kilomètres carrés.
La Nouvelle-Calédonie a moins les moyens qu’avant d’investir dans ces thématiques. Mais on a de grands bailleurs internationaux qui existent, qui sont déjà là, avec Pew Bertarelli Ocean Legacy, WWF, Conservation internationale, etc., qui s’intéressent à la Nouvelle-Calédonie et qui sont prêts à financer des outils, des programmes pour mieux protéger les écosystèmes.

Où en est-on de l’extension des zones sous protection forte ?
Cette discussion va être faite au sein du prochain conseil consultatif du parc de la mer de Corail qui va être nommé d’ici la fin du mois ou au début du mois prochain dans lequel il y aura aussi des pays de la région. On a des réserves qui sont aux frontières avec les autres pays et ça ne sert à rien que la Nouvelle-Calédonie protège si on ne protège pas à côté.
Donc l’idée, c’est de vraiment travailler en concertation sur des réserves qui soient pertinentes à la fois pour le monde économique, de la recherche, environnemental et de la société civile.

Les finances publiques sont contraintes. Ne craignez-vous pas que l’environnement passe au deuxième plan ?
Le gouvernement a proposé au Congrès de placer 200 millions pour les associations environnementales pour passer la crise. Ils sont confiés à l’ANCB en toute transparence puisque l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité est gérée par l’État, le gouvernement, les provinces, les communes, les associations environnementales WWF et EPLP et le Sénat coutumier, en partenariat avec l’OFB [Office français de la biodiversité].
Effectivement, il n’y a plus d’argent, mais le gouvernement s’est doté d’outils pour faire face à la crise, des outils internationaux et régionaux. Il y a aussi le fonds de la taxe antipollution et le fonds de l’eau qui sont déjà disponibles, avec plusieurs centaines de millions sur chacun. L’idée du gouvernement et de moi-même, ce n’est pas que ces fonds dorment et servent de piscine de Picsou. C’est au contraire qu’ils puissent être mobilisés en temps de crise. Les études sont en cours pour qu’on puisse avoir ces fonds disponibles dès le vote du budget.

Propos recueillis par Fabien Dubedout