Jean-Pierre Servel, grand maître de la Grande Loge nationale française

Le grand maître de la GLNF était de passage en Nouvelle-Calédonie la semaine dernière pour la désignation d’un nouveau représentant de la « province » de Nouvelle-Calédonie. L’occasion pour Jean-Pierre Servel de rappeler les valeurs véhiculées par la franc-maçonnerie, notamment dans le contexte actuel du pays.

« Le lien qu’apporte la franc-maçonnerie sublime les différences »

DNC : Quelle est la raison de votre présence en Nouvelle-Calédonie ?

Jean-Pierre Servel : Je suis ici pour procéder à l’installation du nouveau représentant de la « province » de Nouvelle-Calédonie. Il s’agit d’un rituel assez court où le grand maître confie le maillet, symbole de l’autorité, à celui qu’il a désigné comme son représentant dans cette province. Je ne peux malheureusement pas divulguer son nom mais s’il souhaite le faire, j’en serai ravi.

DNC : Profitez-vous de cette visite pour rencontrer les hommes politiques locaux ?

Jean-Pierre Servel : Non. Nous n’avons pas de liens directs avec le monde politique pour l’excellente raison que la GLNF n’intervient jamais dans les débats politiques, ni religieux d’ailleurs. Après, il est vrai que dans un pays comme la Calédonie, la maçonnerie peut avoir un rôle à jouer sur la scène politique à travers le rayonnement individuel de ses membres.

DNC : La GLNF a très clairement joué un rôle pendant les Événements. Pensez-vous qu’il en soit de même sur le référendum d’autodétermination ? 

Jean-Pierre Servel : La Grande Loge nationale française a un joué indirectement un rôle pendant les Événements, par le biais de certains de ses sujets. On ne peut pas le nier. Tant mieux, donc, si nous pesons dans le débat relatif à l’avenir du pays parce que ce sera à travers un système de valeurs et d’éthique qui est le nôtre. Mais cela se fera individuellement, comme ce fut le cas dans le passé.

D’autres obédiences, comme le Grand Orient, ont une culture de l’intervention dans la vie sociale et politique, comme la question du mariage gay, la laïcité… Les loges du Grand Orient travaillent sur ces sujets et son grand maître communique dessus. Ce n’est pas du tout notre cas. Mais nous avons des gens de qualité, qui sont bons et notre rôle est de les rendre meilleurs pour les faire rayonner ensuite individuellement. Toutes les obédiences maçonniques de la planète sont attachées à une idée de perfectionnement de l’humanité à travers le perfectionnement de l’individu, mais par des moyens différents.

DNC : Quel regard portez-vous sur la Nouvelle-Calédonie ?

Jean-Pierre Servel : Ce qui m’a surpris, c’est l’extrême complexité des institutions. C’est une sorte d’usine à gaz. Une sorte de laboratoire expérimental de droit constitutionnel. Je me demande si un tel système peut se pérenniser. Ce que je trouve surprenant également, ce sont les antagonismes des cultures. Le « vivre ensemble » paraît difficile. Et il faudrait souhaiter plus de sagesse, peut-être, de la part des différentes communautés.

DNC : Que peut apporter la franc-maçonnerie justement ?

Jean-Pierre Servel : Je pense qu’elle peut transmettre nos valeurs qui sont la tolérance, la dignité, le respect de l’autre et, pourquoi pas, l’amour fraternel. Mais ce n’est peut-être qu’une utopie…

DNC : Les membres de votre obédience reflètent-ils justement cet idéal du vivre ensemble ?

Jean-Pierre Servel : À la GLNF, nous avons une particularité. Nous n’initions que des croyants. Aussi bien des chrétiens que des musulmans que des juifs qui prêtent serment sur le livre de leur loi sacrée. Voir exposés les trois grands livres sur l’autel du « vénérable maître », c’est un bel exemple du « vivre ensemble ». Il y a, en Nouvelle-Calédonie, une certaine mixité de cultures et d’appartenances. Ce lien qu’apporte la franc-maçonnerie sublime les différences. C’est une transcendance vers l’harmonie qui est assez extraordinaire. La franc-maçonnerie est là pour jouer un rôle d’apaisement, de sérénité. Peut-être ne sommes-nous pas assez nombreux. Nous ne sommes que trois millions dans le monde pour 200 obédiences. C’est sans doute insuffisant.

DNC : La franc-maçonnerie pâtit souvent d’une image affairiste. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? 

Jean-Pierre Servel : Non seulement ce n’est pas une réalité aujourd’hui, mais ça ne l’a jamais été. Il peut arriver, malgré les précautions que nous prenons, que, dans une loge, deux ou trois frères s’investissent dans des actions extérieures malsaines, voire affairistes. Mais la maçonnerie est très sévère vis-à-vis de ces gens-là. Nous avons des formations disciplinaires, destinées à chasser ces personnages. Je puis vous assurer qu’il n’y a pas plus d’affairistes entre des membres de la maçonnerie, que ceux d’un club de golf ou les anciens élèves des grandes écoles.

La maçonnerie n’est en rien concernée sauf quand la presse se sert d’elle pour donner du piquant à certains articles.

DNC : Charles Pasqua et Jacques Foccart, l’homme des réseaux africains des Présidents de Gaulle et Pompidou, ont participé à l’implantation de la GLNF en Nouvelle-Calédonie. Difficile de pas penser à des motivations affairistes…

Jean-Pierre Servel : Je fais tout ce que je peux pour essayer d’effacer cette image mais c’est tellement facile de fantasmer sur certaines institutions, qu’il m’est difficile de lutter.