Jean-Pierre Agourere : « Soit on annule la fête des prémices, soit il n’y aura que la bénédiction »

Jean-Pierre Agourere est le président du clan du même nom, de la tribu de Goro. C’est une des premières à lancer la saison des célébrations de l’igname nouvelle. La fête a lieu chaque année
le 11 février, soit vendredi prochain. Les six chefs de clan et les chefs de famille doivent se réunir pour décider s’ils annulent la manifestation ou la maintiennent en une version réduite
en raison du nombre de cas d’Omicron. Le vote a lieu dimanche. Entretien.

 

DNC : Est-ce que la fête des prémices va se tenir le 11 février à Goro ?

Jean-Pierre Agourere : On a de grosses difficultés avec le nombre de cas positifs à Yaté. On a eu une réunion de la cellule de crise lundi matin avec le maire, les autorités coutumières, les médecins et la gendarmerie pour parler du Covid, et un arrêté du maire va sortir concernant les attroupements, limités à 30 personnes. Les médecins nous ont demandé ce qu’on allait faire pour la fête des ignames qui approche. Touaourou a déjà pris une décision. Elle annule complètement la fête culturelle. Nous, à Goro, on était partis pour faire pareil, mais on met une option. Peut-être que chacun apportera ses ignames à bénir avec les gestes barrière et repartira après chez lui. Il n’y aura alors que la bénédiction et pas de capture de tortues, etc., pour éviter de se rassembler.

Pourquoi cette date ?

C’est toujours le 11 février parce que c’est notre fête patronale, la fête de Notre-Dame de Lourdes. On est les premiers sur la Grande Terre à célébrer les prémices. Normalement, les six clans de la tribu de Goro y participent.

Quelle conséquence si la fête ne se tient pas ?

Cela veut dire qu’on ne bénit pas les ignames. Au fond, je ne pense pas qu’il va y avoir une cérémonie parce qu’elle ne va pas sonner juste avec la fête culturelle, qui est synonyme de rassemblement. Déjà, l’année dernière, avec la crise autour de la vente de l’usine du Sud, seuls quatre clans sur les six avaient participé. On avait alors des problèmes relationnels.

Comment cela se passe-t-il maintenant, un an après ?

Tout est rentré dans l’ordre naturellement. Quand on est à la tribu, on est à la tribu. C’est simplement la méthode et le comportement des leaders… Les jeunes ont été laissés un peu pour compte, ils sont revenus à la maison plus désarmés qu’ils ne l’étaient au début.

 

Touaourou a déjà pris une décision. Elle annule complètement la fête culturelle. »

 

Est-ce que cet évènement a déjà été annulé ?

Pendant les Évènements oui, mais depuis, je n’en ai pas le souvenir.

Comment se déroule cette cérémonie habituellement ?

Il y a un pèlerinage et une messe avec la bénédiction des ignames. Concernant les tortues, qui font partie intégrante de la fête, elles sont pêchées cinq jours avant normale- ment. On fait une demande de dérogation à la province pour cette capture exceptionnelle de quelques spécimens. Les tortues sont tuées la veille du rassemblement, on les laisse se détendre dans les paniers et on les fait cuire le lendemain. Lors de la cuisine, il faut donner du goût à la nouvelle igname qui n’est pas encore mature.

Quel est le sens de cette journée ?

Elle permet d’ouvrir la saison de l’igname, on peut ainsi l’exposer dans toutes les coutumes, celles de mariage, de deuil, etc… À partir du moment où on a offert le tubercule à Dieu, on peut commencer à l’offrir et à le manger. Cela permet ensuite de l’utiliser pendant toute l’année. Les prémices signifient le partage et le pardon.

Elle revêt donc une grande importance ?

Oui, parce qu’on parle de réconciliation. Pour pouvoir être en face et partager l’igname, il faut, en son âme et conscience, être propre et on demande pardon à celui d’en face avant de manger cette igname nouvelle. Pour la tortue, c’est très codifié, il y a ceux qui la pêchent, ceux qui la cuisinent, ceux qui décident que tel plat va à tel clan, ceux qui donnent à manger aux clans et les remercient pour le travail de l’année passée et l’objectif pour celle à venir. Le rituel du partage de la nourriture est central. C’est très fort, on n’a pas de mot français pour exprimer le sens qu’on donne à cette fête culturelle et traditionnelle.

Les ignames que vous mangez viennent de la tribu. Est-ce que, comme dans d’autres régions, la culture et la récolte ont souffert des pluies ?

L’année dernière, c’était pire que ça pour nous avec le cyclone, l’eau salée est montée. Ce qu’on a aujourd’hui, ce n’est rien du tout, même s’il a bien plu.

 

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)