L’Assemblée nationale a approuvé, mardi 28 octobre, le report des élections provinciales au plus tard en juin 2026 pour laisser la place au processus de négociation sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Un report essentiel pour les loyalistes qui ne pouvaient tolérer des élections, dans moins d’un mois, avec un corps électoral gelé. Ce report permet aussi de soutenir une majorité en faveur du dialogue engagé à Bougival, source d’espoir dans un territoire à l’agonie, juge Virginie Ruffenach, présidente du groupe Rassemblement au Congrès, vice-présidente du parti Rassemblement LR.
DNC : Comment accueillez-vous le vote des députés en faveur d’un report des élections provinciales ?
Virginie Ruffenach : Nous sommes très satisfaits parce que le point finalement n’est pas donné aux ultraviolents des indépendantistes mais à ceux qui veulent un accord pour la Nouvelle-Calédonie. Toutes les forces modérées du paysage politique national ont compris l’enjeu calédonien. Seuls le RN et LFI s’y opposent. C’est affligeant de constater que sur le sujet Nouvelle-Calédonie : LFI-Rassemblement national, c’est le même combat. C’est un lâchage de la Calédonie française par le RN, une déception profonde j’imagine pour de très nombreux Calédoniens.
L’Union des droites d’Éric Ciotti s’est en revanche montrée favorable au texte…
Il faut le saluer parce que le RN et l’UDR sont en lien au niveau national et pourtant l’UDR ne s’est pas alignée sur la position de Marine Le Pen et a pris la responsabilité de soutenir cet accord. J’avais beaucoup échangé avec Éric Ciotti ces dernières semaines de façon à bien faire mesurer les enjeux calédoniens et notamment le report de ces élections provinciales.
C’est un lâchage de la Calédonie française par le RN
Un mot sur les socialistes qui ont voté en faveur du texte ?
Ce n’est pas surprenant parce que les socialistes sont les partenaires des accords. Ils sont restés sur l’héritage de Michel Rocard au travers de leur choix à la fois de report et de volonté absolue d’accord pour la Nouvelle-Calédonie.
Naïma Moutchou est attendue ce week-end. Qu’attendez-vous de cette visite ?
Je considère que la Nouvelle-Calédonie doit avancer et j’attends de la fermeté de la part de l’État pour maintenant mettre en place la voie de l’accord. Nous ne voulons pas être pris pour des imbéciles à nouveau par une partie des indépendantistes. Nous voulons qu’ils affirment leurs intentions : est-ce qu’ils souhaitent un accord ou est ce qu’ils ne souhaitent pas d’accord ? Que les choses soient claires. Et surtout, si nous avons une nouvelle délégation de négociation, qu’elle dispose d’un mandat.
Nous serons autour de la table et s’ils venaient à jouer le jeu de la chaise vide, rejetant toute autre solution que l’indépendance, nous demanderons à l’État de consulter les Calédoniens sur l’accord de Bougival. Nous nous engagerons pour Bougival et laisserons la population décider. C’est aussi une manière de se protéger des instabilités nationales.
C’est-à-dire ?
La France insoumise cherche à instrumentaliser le dossier calédonien. Or notre territoire traverse de grandes difficultés : le chômage, les services de santé en crise, une défiance qui freine l’investissement et la consommation mettant l’économie à l’agonie.
Craignez-vous un retour des violences ?
Je n’ai jamais considéré que c’est par le prisme de la violence qu’il faut lire le sujet calédonien. L’État doit assurer l’ordre répu- blicain, ce qu’il fait avec une forte présence de gendarmes et de policiers. Moi, j’estime qu’il y a eu une tentative de coup d’État ratée le 13 mai 2024 avec une partie de la jeunesse endoctrinée. Aujourd’hui, la mobilisation est faible, ce qui, je l’espère, traduit une prise de conscience que la violence ne résoudra rien en Nouvelle-Calédonie.
Le renouvellement des élus demandé par l’Union calédonienne n’est-il pas nécessaire ?
Nous ne sommes pas attachés à nos sièges et sommes prêts à aller aux élections. Mais nous refusons d’avoir un scrutin sur un corps électoral gelé, cela reviendrait à donner raison à la minorité violente et radicale. 80 % du paysage politique défend la signature de Bougival. L’UNI a transmis une lettre à l’ensemble de la représentation nationale disant que cet accord est un engagement pour la paix et pour l’avenir.
Nous voulons que les indépendantistes (UC-FLNKS) affirment leurs intentions : est-ce qu’ils souhaitent un accord ?
Le changement de ministre des Outre-mer n’est-il pas un handicap trop lourd pour la poursuite des discussions ? Risque-t-on de perdre l’UNI ?
Madame Moutchou est motivée, mais elle découvre ce dossier très complexe. Je l’ai dit, c’était une mauvaise chose de sortir Manuel Valls à ce moment. Maintenant, au-delà de la parole de l’État, nous ne sommes pas des enfants ! Nos populations attendent de nous qu’on leur adresse des perspectives. Quant à l’UNI, ce sont des responsables qui assument leurs choix. La question est de savoir si l’UC-FLNKS va rester dans ses travers avec, pour seul moyen d’exister, la gesticulation politique.
Demander la démission du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est une « gesticulation politique » ?
C’est pire : cela montre l’influence de LFI, qui prône l’instabilité institutionnelle. Il était pratique, avant le vote sur le report des élec- tions, de mettre en avant l’instabilité locale. C’est triste qu’un parti politique comme l’UC, le plus vieux parti calédonien avant le Rassemblement, se laisse conseiller par LFI.
Le groupe UC-FLNKS et Nationalistes accuse Alcide Ponga de s’être placé sous la tutelle de l’État, d’une politique trop libérale…
Ils lui reprochent surtout un manque de réformes. Or, Alcide Ponga a organisé plus de 20 réunions sur les plans de réforme, auxquelles seul le groupe UC-FLNKS était absent. L’accusation est fallacieuse.
Ont-ils les moyens de faire tomber le gouvernement ?
Je ne l’espère pas. Mais ce sont les artisans du chaos, ils ne proposent que la déconstruction. On ne peut pas être pris en otage par des acteurs politiques irresponsables, dont le seul objectif est la déstabilisation, ou de faire fuir les gens comme avec la dernière loi visant à taxer le patrimoine des Calédoniens. Dire qu’Alcide Ponga est soumis à l’État est risible : ils nous ont rendus plus dépendants que jamais !
Le Rassemblement est pour l’unité des non-indépendantistes à condition qu’elle soit équilibrée.
Va-t-on parvenir à construire un budget pour 2026 ?
Sans budget national, ce sera compliqué. Les aides déjà obtenues sont acquises. Mais il en faut encore. Nous avons reçu 800 millions d’euros, mais il manque 200 millions (24 milliards de francs CFP) pour 2026, indispensables pour passer le cap. Face à l’instabilité nationale, il faut du courage pour tenter de voter un budget à l’équilibre, même si c’est un budget de rigueur, extrêmement resserré. On a reculé de 40 ans en termes économiques et de développement.
On entend dire que 2026 sera encore plus difficile que 2025. Qu’en pensez-vous ?
La principale solution est de redonner confiance par un accord politique. Des milliards de francs sont positionnés dans les quatre banques de la place, prêts à financer des projets si l’avenir est stabilisé.
Mais ce sera effectivement difficile parce que tout un tas de dispositifs, comme l’indemnité à l’emploi, le report des emprunts, arrivent à leur terme. La crainte est que certains perdent leurs biens parce qu’on est allés au bout de ce qui pouvait être fait. Il faut redresser la Nouvelle-Calédonie rapidement.
Thierry Santa souhaiterait démissionner du gouvernement. Organisez-vous la suite ? On parle de Naïa Wateou pour lui succéder ?
À ce stade, il n’y a rien d’officiel. Il vaut mieux laisser l’intéressé s’exprimer. Pour les remplacements, au sein de l’union loya- liste, la politique était de dire que quand un membre partait, son parti se positionnait pour choisir par qui le remplacer.
Un équilibre a-t-il été trouvé sur les responsabilités pour les futures élections dans le cadre de l’alliance de stabilité ? Un document avait fuité début octobre…
Le Rassemblement est pour l’unité des non-indépendantistes, à condition qu’elle soit équilibrée. Nous ne participerons pas à l’effacement de notre mouvement au nom de l’unité.
Avez-vous signé quelque chose ?
Non. Nous sommes très focalisés sur Paris, le report, une éventuelle dissolution, etc. Mais le Rassemblement existera aux municipales : c’est un parti territorial, à la tête de plusieurs mairies, (île des Pins, Kouaoua, Mont-Dore, Nouméa pendant des années avec Jean- Lèques) avec une forte implantation. Nous sommes le seul parti non indépendantiste à dégager plus de 1 000 adhérents pour nos congrès. Nous avons 1 340 adhérents déclarés à LR. Et il y a toutes les commu- nautés, notamment des Mélanésiens non indépendantistes.
Le parti LR, au niveau national, semble au bord de la rupture. Où vous situez-vous entre Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez ?
On est un peu tristes pour notre famille politique, la seule à porter des valeurs de droite assumées. Le Rassemblement national ne porte pas ces valeurs en Nouvelle-Calédonie. Cette famille a des idéaux économiques, sociétaux. Il serait souhaitable que les divisions cessent et qu’un vrai leader émerge pour la présidentielle. Bruno Retailleau a permis, depuis plus d’un an, une forte présence des forces de l’ordre, un tiers des forces de l’ordre nationales sur le territoire, Laurent Wauquiez, chef de groupe, défend nos valeurs à l’Assemblée, Gérard Larcher soutient bec et ongles le sujet calédonien au Sénat, avec Mathieu Darnaud, notre chef de groupe, qui a rédigé la proposition de report des élections provinciales et fédéré les autres groupes.
C’est une famille politique qui a du poids. Le report des élections a été voté à 299 voix au Sénat, mercredi 15 octobre. Nous prenons de l’avance sur les trois cinquièmes de parlementaires nécéssaires à Versailles pour que notre révision constitutionnelle soit adoptée. Malgré les difficultés internes, tous défendent fermement le dossier calédonien.
Vous êtes signataire d’une proposition de résolution sollicitant l’État pour la construction d’une voie de désenclavement du Mont-Dore Sud… Pourquoi ?
Il s’agit de soutenir la mairie et l’association des citoyens mondoriens qui réclament une solution à l’État depuis des années. La liberté de circuler est un droit constitutionnel. L’État tente une reconquête citoyenne, mais le contexte reste difficile. Si la sécurité n’est pas assurée, il faut une alternative. Il est nécessaire d’étudier sérieusement cette voie de contournement, qui n’est peut-être pas aussi coûteuse qu’on le pense. Il n’y a jamais eu d’étude concurrentielle sur sa réalisation. C’est incroyable d’en arriver là, mais quelle alternative reste-t-il ?
Propos recueillis par Chloé Maingourd

