Jacques Lafleur, un pilier de l’histoire contemporaine

Simon Loueckhote et Jacques Lafleur en tournée dans le Nord calédonien. (© DR)

Jacques Lafleur s’est éteint il y a 14 ans, le samedi 4 décembre 2010. Sa famille a souhaité présenter, dans un ouvrage, l’homme et l’action de cette personnalité politique incontournable de l’histoire calédonienne. Le livre, non commercialisé mais remis aux proches et à des bibliothécaires, contient une somme inédite de photos, courriers et témoignages. Un recueil d’une grande densité.

♦ LA MINE

Jacques Lafleur l’a souvent confié : son vrai métier est celui de mineur. Sa connaissance du minerai et du marché a été acquise sur le tas au sein de la société de son père, Henri, élu sénateur. “Jacquot de Ouaco”, son surnom, aime la prospection, cette quête du nickel qui lui permet d’arpenter tout le territoire à pied et de discuter avec tout le monde. « Enfants, nous avons baigné dans ce milieu, il nous emmenait sur mine, se souvient sa fille Isabelle. Pour lui, c’était naturel. »

Jacques Lafleur au volant d’un camion minier de la SMSP sur sa mine de Ouaco. (© DR)

Des liens forts sont forgés aussi bien avec les fondeurs japonais que les habitants du village de Kaala-Gomen où est basée l’entreprise. L’année 1990 marque un tournant : la Société minière du Sud Pacifique (SMSP), alors propriété de la famille Lafleur, est cédée à la Sofinor, la société de financement de la province Nord, au titre du rééquilibrage.

« Moins d’un an après la mort de Jean-Marie Tjibaou, et pour tenir une promesse que je lui avais faite, j’ai cédé aux Mélanésiens la SMSP », a expliqué Jacques Lafleur dans un ouvrage publié pour la commémoration du 150e anniversaire de la ville de Nouméa. Une citation retrouvée dans le livre C’était Jacques Lafleur, tout juste paru. Cette démarche historique a été initiée « de bon cœur », confirme la famille. D’ailleurs, selon Isabelle, « il a tout fait pour que les usines du Sud et du Nord existent ».

♦ LA FAMILLE

Les Lafleur ont des racines lorraines protestantes avec Arthur, commis de l’administration pénitentiaire, mais aussi une origine de bagnard sicilien de par son épouse Cécilia. Il était important, aux yeux de la fille et du fils de Jacques Lafleur, que la jeune génération de la grande famille connaisse cette histoire et la personnalité du grand-père engagé en politique. D’où l’ouvrage qui contient bon nombre de photos extraites d’albums.

Avec Pascal à Timbia en 1964. (© DR)

Jacques Lafleur est décrit comme un père très possessif et un grand-père attaché à ses petits-enfants, neveux et nièces, prêt à les emmener à la pêche en mer, en tribu ou sur mine. Durant les congés scolaires à Ouaco, sa femme Roberte devait gérer « une colonie de vacances », selon l’expression familiale.

♦ LES ÉVÉNEMENTS

La période d’extrêmes violences il y a 40 ans entre loyalistes et indépendantistes a été très durement vécue par Jacques Lafleur, frappé, à titre personnel, par la mort de son frère Jean et de sa belle-sœur Viviane en 1986. « Il a essayé en permanence d’empêcher les gens de se tirer dessus », rappelle Isabelle.

La Brousse était une terre d’affrontements. Plus de 70 morts ont été recensés. Le leader du RPCR, fervent partisan du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, se sent très seul pendant cette parenthèse sombre. Parce que ses journées sont dédiées à la gestion des équipes théoriquement à ses côtés, du gouvernement central, ou encore des Calédoniens isolés…

Il y eut en fait plusieurs poignées de main avec Jean-Marie Tjibaou. (© DR)

Jacques Lafleur, qui n’hésite pas à employer le terme de « guerre civile », apprend à connaître son opposant, Jean-Marie Tjibaou. « Il me disait que tout s’est fait quand ils étaient seuls », se remémore sa fille. Tous les deux, à concevoir la paix. Parmi les témoignages rassemblés dans l’ouvrage C’était Jacques Lafleur, figure celui d’Édouard Bouanaoué dans un courrier écrit en 2001. L’indépendantiste fait état de la confiance réciproque entre le président du parti loyaliste et Jean- Marie Tjibaou. Pour des proches, ce respect mutuel se retrouve dans le regard des statues réalisées par le sculpteur Fred Fichet, place de la Paix à Nouméa.

♦ LA FRANCE ET LA NOUVELLE-CALÉDONIE

Sans aucun doute, selon ses proches et ses anciens collaborateurs, Jacques Lafleur était profondément français dans l’âme. C’est-à-dire très attaché au drapeau tricolore, à la culture du territoire national, ainsi qu’à l’apport et aux garanties offerts par la nation.

Au premier congrès du RPCR en 1982, Jacques Lafleur, Dick Ukeiwé, Michel Kauma et Pierre Maresca côte à côte. (© DR)

Une France et une Nouvelle-Calédonie qui étaient indissociables à ses yeux. Celles-ci formaient un tout. Comme la terre calédonienne, la culture kanak apprise patiemment aux côtés d’Auguste Parawi-Reybas et les liens entre les communautés constituaient un tout, a toujours estimé l’ancien député qui aimait parcourir la Grande Terre et les îles. Et obligeait tous les élus de son parti à en faire autant.

♦ LA TRANSMISSION

« Jacques Lafleur a été l’homme fort de la Nouvelle-Calédonie de 1978 à 2004 », est-il indiqué dans le livre. Ses présidences de la région Sud de 1988 à 1989, puis de la province Sud de 1989 à 2004 sont associées à de nombreuses réalisations, du développement touristique à la construction de la voie de dégagement Est en passant par l’accroissement de l’habitat social et le permis accordé pour le projet de l’usine du Sud… Le souhait d’une paix, d’une fraternité et d’une prospérité durables guide tous ses mandats, sur le territoire ou à l’Assemblée nationale, à la lecture de l’ouvrage.

La statue commémorant la poignée de main ainsi que la place de la Paix à Nouméa ont été inaugurées le 26 juin 2022, date anniversaire de la signature de l’accord de Matignon. (© DR)

Ce même horizon déclenche sa proposition du pacte cinquantenaire. « Ceux qui savent doivent aller vers ceux qui ne savent pas. Ceux qui ont doivent aller vers ceux qui n’ont pas » : sa pensée est gravée dans la pierre de la stèle de Ouaco. Même si la famille politique loyaliste n’est vrai- ment pas tendre envers le signataire des accords de Matignon à partir des années 2000, sa parole demeure une référence dans les hémicycles et plus certainement au sein de la population.

Y.M.

Ouvrage C’était Jacques Lafleur, biographie de « l’Assiégé » 1932-2010, publié aux éditions du Groupe de recherche en histoire océanienne contemporaine (GRHOC).