Isabelle Champmoreau: « Dans les périodes que l’on traverse, c’est vraiment important pour nous de pouvoir aider nos élèves »

Isabelle Champmoreau aimerait à terme pouvoir encadrer l’usage des téléphones portables à l’école et créer des modules de sensibilisation à destination des parents, afin «mieuxaccompagnersur la connaissance du système scolaire ». (© N.H)

Membre du 18e gouvernement, Isabelle Champmoreau est de nouveau en charge de l’enseignement, de la protection de l’enfance, des sujets liés à la famille et l’égalité entre les femmes et les hommes, auxquels s’ajoute le secteur de l’audiovisuel. À quelques jours de la rentrée scolaire, elle fait le point sur les changements opérés les derniers mois et sur les défis à venir.

DNC : La rentrée scolaire approchant, où en est-on de la reconstruction des bâtiments détruits ?

Isabelle Champmoreau : Dans un premier temps, je voudrais déjà rassurer les parents et les équipes sur le bon déroulement de la rentrée, que nous préparons depuis le dernier trimestre 2024. Nous avons eu une réunion avec le haut-commissariat, au cours de laquelle nous avons discuté avec la gendarmerie et la police pour avoir une vigilance particulière le jour J.

L’idée, c’est d’avoir des passages des forces de l’ordre, notamment sur l’agglomération. Nous n’avons pas d’alerte particulière, mais je pense que les parents et les équipes ont besoin d’avoir ce soutien. Ensuite, sur la reconstruction des bâtiments, notre principal problème au niveau du gouvernement c’est le lycée Petro Attiti.

Ensuite, il y a le collège de Kaméré, qui avait été particulièrement abîmé et celui de Rivière-Salée qui a été fermé consécutivement aux dégradations, puis plusieurs écoles détruites, principalement sur Dumbéa et Nouméa. Toutes ces rénovations vont être prises à 100% en charge par l’État. C’est inscrit dans l’enveloppe investissements qui est prévue dans la loi de finances 2025, cela nous a été confirmé. Après, ce qu’il faut qu’on cale avec l’État, c’est le calendrier.

Est-ce que tous les élèves pourront être replacés ?

Il n’y a pas d’enfant qui n’a pas de place. Les seules choses qui peuvent être refusées sont les dérogations. Parfois, les parents veulent changer de secteur et on est obligés de dire non car il n y a pas de place dans l’établissement demandé. Actuellement, nous sommes en train de faire les derniers pointages avec la province Sud pour le primaire, et il y a très peu d’enfants qui ne sont pas inscrits, et quand je dis « très peu », c’est en dessous de trente. Et ils vont avoir des propositions.

Combien attendez-vous d’élèves pour cette rentrée 2025 ?

On en attend 62 660. C’était 63 523 en 2024, donc on en a 1000 qui ont quitté le territoire. C’est un mélange de départs et d’évolution démographique. Par exemple, en primaire, on a 3000 élèves en moins depuis 2012, et on en aura 2000 en moins d’ici 2030. C’est dû au contexte politique global, mais aussi parce que les femmes font de moins en moins d’enfants en Nouvelle-Calédonie, donc lorsqu’on combine ces deux éléments, on a une baisse importante de nos effectifs. Actuellement, il y a 8700 places qui ne sont pas occupés en collège, dont 3000 sur Nouméa. C’est énorme.

Le ramassage scolaire en province Nord n’est plus assuré, la province renvoyant la responsabilité au gouvernement. Avez-vous trouvé une solution ?

C’est vrai que le transport scolaire est une compétence de la Nouvelle-Calédonie. Il y a un travail que l’on va poursuivre cette année avec les provinces et les communes pour remettre à plat complètement l’organisation du transport scolaire. Ça, c’est la stratégie globale. Ensuite oui, il y avait une urgence ; celle du transport des internes. Jusqu’ici, la Nouvelle-Calédonie versait une subvention à la province Nord et celle-ci s’organisait sur son territoire. Là, elle a dû se désengager sur ce sujet faute de budget. Nous avons été alertés en fin d’année, donc nous avons lancé un marché pour cinq mois, ce qui nous donne le temps de nous retourner et de trouver une solution viable. Mais on ne laissera pas de toute façon nos élèves sans transport.

Le coût du transport public a augmenté, ne craignez-vous pas une augmentation du décrochage scolaire ?

Il y a un tarif qui est amélioré avec un système de forfait, donc on est plus à 500 francs le trajet si les personnes prennent un abonnement. Au bout de quelques jours, elles peuvent avoir un tarif vraiment intéressant. On sait que ça ne résout pas toutes les problématiques, mais je voulais saluer le travail qui a été fait au niveau du SMTU. Je sais qu’ils ont fait un effort très particulier pour être prêts pour la rentrée.

Pour nos étudiants, nous allons pouvoir maintenir des aides. Nous avons une convention avec le CNOUS (Centre national des œuvres universitaires et scolaires) qui nous a alloué des fonds que l’on va pouvoir utiliser pour de l’aide au transport pour les étudiants.

On va également continuer à avoir le repas à 120 francs pour les élèves boursiers. Dans les périodes que l’on traverse, c’est vraiment important pour nous de pouvoir aider nos élèves à la fois sur le transport, mais égale- ment sur une aide au repas.

Autre chose, je voulais aussi rappeler que les allocations Rentrée qui sont versées par la CAFAT sont maintenues au même niveau que l’année dernière. Concernant les augmentations de tarifs de cantines, pour les collèges et lycées, nous allons verser une subvention spéciale aux établissements scolaires pour compenser le coût de la nourriture et de l’électricité afin qu’il n y ai pas d’augmentation pour les parents.

Les programmes scolaires vont-ils être modifiés ?

Pour l’instant, non. Cette année on reprend un cycle normal. Il y a des innovations pédagogiques, mais pas forcément de modifications de programme.

Le gouvernement, dans le cadre du PS2R, a fait des consultations pour la refondation de l’enseignement. Qu’en est-il ressorti ?

Dans la première consultation qu’on a mené en novembre, il y a eu pas mal de choses sur les rythmes scolaires ; comment modifier la journée de l’enfant, ce qui est assez compliqué car c’est aussi lié à la journée des parents [rires]. Par exemple, commencer les cours à 8 heures comme dans d’autres pays c’est bien, mais si les parents doivent les déposer à 6 heures et qu’ils attendent, c’est compliqué.

Il y avait aussi tout ce qui concerne l’éducation aux médias ; comment avoir un sens critique vis-à-vis des informations sur les réseaux sociaux, etc.

Il y a un troisième sujet qui est également très important, c’est la santé scolaire. Quand on a voté la taxe sur le sucre, j’avais demandé qu’il y ait une grosse partie de cette taxe qui soit affectée à cette thématique. C’est-à-dire améliorer nos budgets sur les visites médicales, sur la prévention dans les établissements, etc. Parce qu’au-delà de l’aspect pédagogique, c’est surtout l’état de santé de nos élèves qu’il faut améliorer. Leur sommeil, leur alimentation, la question des addictions quand ils sont plus âgés, puis la question de l’éducation à la sexualité, les violences… C’est aussi tout ça qui vient empêcher un enfant d’apprendre et d’être en insertion.

Les budgets sont ultra contraints, est-ce qu’il va y avoir des conséquences sur le domaine de l’enseignement ?

Au niveau de la Nouvelle-Calédonie, on a quand même la chance d’être bien préservés au niveau de l’enseignement. Parce que toute la masse salariale du secondaire – qui représente 48 milliards – est financée par l’État. C’est le cas pour le secondaire public mais aussi – et c’est moins connu – pour le primaire privé. Donc une grande partie de nos financements sont moins affectés par les problématiques de coupures budgétaires. Après, ce qui est difficile, c’est qu’on a moins de moyens sur la question des projets pédagogiques ou le déplacement de nos élèves. Mais je dirai que le gros est préservé grâce au financement de l’État.

Dans le professionnel, on a eu des taux d’absence plus élevés. Donc à la rentrée, il va falloir faire très attention à ces élèves qui ont beaucoup manqué l’école l’année dernière.

À la fin de l’année scolaire 2024, quel était le taux de présence, et à quel taux vous attendez-vous pour la rentrée ?

Dans nos établissements du secondaire, nous étions quasiment revenus au taux de présence classique. Dans le général, en tout cas. Dans le professionnel, on a eu des taux d’absence plus élevés. Donc à la rentrée, il va falloir faire très attention à ces élèves qui ont beaucoup manqué l’école l’année dernière. Pour le primaire, on a eu des taux encore plus élevés de retours à l’école.

Vous êtes chargée des sujets liés à l’égalité entre les femmes et les hommes, et êtes de nouveau la seule femme au gouvernement, est-ce qu’il n’y a pas un souci d’exemplarité ou un manque de volonté des groupes au Congrès ?

Je suis déjà intervenue sur ce sujet lors des précédents gouvernements. Il y a 50% d’hommes et 50% de femmes dans la population calédonienne, donc ce n’est pas normal que les femmes ne figurent pas dans toutes les formations politiques qui représentent le gouvernement.

Dans la construction du projet politique à venir de la Nouvelle-Calédonie et la révision de ses institutions, il faudra qu’on aborde le sujet de la parité, et que ce soit proposé dans le prochain projet institutionnel, que ce soit au gouvernement mais aussi dans d’autres organismes tels que le Cese ou même le sénat coutumier.

Je me souviens, quand le sujet de la parité est arrivé en politique, j’étais beaucoup plus jeune et je trouvais cela un peu injuste car je me disais qu’on avait le droit d’y être sans pour autant faire une loi. Maintenant, je me dis qu’il faut des lois pour accélérer ce processus, parce qu’on gagne énormément de temps en légiférant sur le sujet.

Est-ce que ce 18e gouvernement corrige le défaut de collégialité que vous aviez dénoncé au sein du 17e gouvernement en mars 2022 ?

Ce n’est peut-être pas l’avis de tous mes collègues, mais je trouve que ce nouveau gouvernement a bien commencé. J’ai assisté à de très longues réunions qui ont été initiées par le président. Je dirai que l’attribution des secteurs a été rapide et équilibrée.

Évidemment, on vise directement l’économie et le budget comme « secteurs d’importance », surtout en ce moment où la Nouvelle-Calédonie est dans une situation telle qu’il faut des gens d’expérience sur ces portefeuilles. Néanmoins, je trouve que tous les membres du gouvernement ont des secteurs d’importance, et que l’équilibre est plus respecté que dans le gouvernement précédent.

Après, au-delà de la collégialité, je pense que ce qui est la marque de ce gouvernement – et ce qu’Alcide Ponga porte en Métropole –, c’est le lien renforcé avec le Congrès. Là, l’important, c’est d’agir vite. On est un gouvernement d’urgence, à durée de vie courte et déterminée, donc c’est important d’être en lien avec les autres collectivités afin que, lorsqu’on propose des textes, le Congrès puisse rapidement s’en saisir.

Avez-vous constaté une augmentation des violences conjugales et intra-familiales à la suite des évènements de 2024 ?

Pendant les périodes de crise, il y a très peu de chiffres qui remontent en général. Donc on a l’impression que les choses se calment, car les personnes ne portent plus plainte et n’ont pas forcément la possibilité de sortir de chez elles. Mais là, on retrouve malheureusement les taux de violence habituels que l’on connaît en Nouvelle-Calédonie.

Sur cette thématique, nous avons trois gros sujets que l’on traite avec la Justice en ce moment : pour commencer, nous avons mis en route notre foyer de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Il est désormais en fonction et a accueilli ses premiers auteurs. Ensuite, on travaille sur l’unité médico-judiciaire qui accueille les victimes au Médipôle. Ça a commencé également et on va peut-être pouvoir l’inaugurer dans les semaines à venir. Notre troisième chantier, ça va être de renforcer les dispositifs en cas de féminicide, parce qu’on voit qu’il y a quand même une prise en charge à améliorer, notamment malheureusement au niveau des enfants, qui sont victimes de ces situations.

Propos recueillis par Nikita Hoffmann.