Interview : James Juan, nouveau procureur général

La justice calédonienne vient d’accueillir deux nouveaux magistrats en remplacement du procureur général et celui de la République. James Juan, un des rares magistrats d’origine ultramarine, a ainsi été installé à la tête du parquet général jeudi 1er octobre. Rencontre avec le nouveau procureur général près la cour d’appel de Nouméa.

DNC : Lors de votre prise de fonction, vous avez indiqué que vous n’aviez pas encore fixé de feuille de route. Y a-t-il des grands dossiers auxquels vous souhaitez vous attaquer ?

James Juan : Quand on arrive sur un territoire quel qu’il soit, on ne va pas dire « je vais tout changer » sans prendre le soin d’écouter les personnes qui y résident, on va prendre le pouls et voir quelles sont les principales préoccupations de nos concitoyens et, ensuite définir les objectifs qui s’imposent. Je me suis, bien sûr, un peu renseigné. J’ai vu qu’une manifestation a réuni quelques milliers de personnes à Nouméa suite à des événements tragiques (le meurtre de Daniel Monteiro : NDLR) et la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est-à-dire l’agression de la commerçante dans le centre-ville de Nouméa. J’ai entendu que nos compatriotes ont un besoin de sécurité et nous ferons en sorte d’y répondre, la sécurité est une priorité de nos concitoyens. Il y a ce problème de la délinquance, de l’insécurité mais aussi le problème de la délinquance routière. Le nombre de morts sur nos routes est inacceptable.

DNC : Vous avez parlé de réponses fermes dans votre discours d’installation. La fermeté et l’intransigeance de la répression est-elle la seule réponse à la problématique de la délinquance quand on voit l’importance de la récidive ?

James Juan : La répression est nécessaire parce que c’est la loi. La loi a prévu qu’un comportement de délinquance soit sanctionné. Il y a des peines d’amende, d’emprisonnement et d’autres peines qui doivent être mise en œuvre. Nous ne sommes pas dans une société idéale où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Nos concitoyens, et ils l’ont encore manifesté, ont besoin de sécurité. Ils ont besoin que les criminels soient mis hors d’état de nuire. Je n’ai aucune difficulté là-dessus. Toute la question est de savoir ce que l’on fait une fois que l’on a arrêté un délinquant. On ne va pas l’emprisonner ad vitam æternam. Il faut que cette personne puisse revenir dans la société, la « resocialiser » comme on dit et c’est là dessus qu’il faut mettre l’accent. Pour éviter la récidive et éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il y a toute une politique de prévention à mettre en œuvre. La prévention c’est une chose, mais la répression doit également exister car la loi doit être appliquée.

DNC : Les conditions d’incarcération du Camp-Est sont mauvaises, comptez-vous développer des alternatives à la détention ?

James Juan : Il est vrai que la situation du Camp-Est était préoccupante, je dis « était » car elle est en voie d’amélioration. Énormément de travaux ont été entrepris afin de rendre les conditions de détention plus compatibles avec nos principes fondamentaux. Le taux de surpopulation a par ailleurs été ramené à un niveau acceptable. En Guadeloupe, il y a un véritable problème de surpopulation pénale, dans un établissement pénitentiaire qui compte 700 places, vous avez plus de 135 détenus qui dorment par terre sur des matelas. Ce n’est pas le cas du Camp-Est, fort heureusement et notamment grâce à la politique mise en place par notre garde des Sceaux et la circulaire de politique territoriale, axée sur la lutte contre cette surpopulation pénale. Il faut améliorer les conditions des détenus et faire en sorte que l’incarcération ne soit pas la seule réponse pénale apportée à un acte de délinquance. Il y a le travail d’intérêt général, les jours-amendes… Un certain nombre de modalités sont mises en place et cette circulaire a été bien appliquée ici, ce qui a permis de faire diminuer le taux de surpopulation pénale. C’est une voie qui a porté ses fruits et notre garde des Sceaux a été à l’initiative d’une loi dite de la contrainte pénale. Elle a été critiquée parce que l’on ne voulait pas comprendre ce que cela signifiait. On y a vu la volonté de ne pas incarcérer une personne et l’on a tout de suite parlé de laxisme à l’égard de la délinquance, ce qui est entièrement faux. Elle a voulu le contraire, en faisant en sorte que les délinquants soient véritablement pris en charge par les services de probation et les magistrats, de façon à ce qu’il y ait un véritable accompagnement pour éviter que cette personne ne se retrouve dans la même situation qui l’a amené à commettre les faits en mettant prioritairement l’accent sur la réinsertion.

DNC : Ces dispositifs nécessitent clairement des moyens. Toutes les collectivités connaissent des situations budgétaires assez contraintes, qu’en est-il de leur financement ?

James Juan : Encore une fois, les moyens nous seront donnés. Ici, les éducateurs ne relèvent pas de la compétence de l’État mais du territoire. Nous ferons en sorte dans nos approches et nos discussions que les moyens suivent. L’attribution des moyens a commencé. Je ne me fais pas de souci quant aux moyens pour permettre à notre justice de fonctionner correctement, c’est une question de crédibilité. On ne va pas annoncer des mesures et dire aux magistrats « maintenant, débrouillez-vous ».

DNC : Toujours sur cette question des moyens, lors de votre discours d’installation, vous avez rappelé le dossier important de Koné et de la nomination d’un magistrat…

James Juan : On est précisément dans la démonstration de ce que fait la justice pour développer une partie du territoire. Actuellement, il y a à Koné une chambre détachée qui a vu l’arrivée d’un deuxième magistrat du siège et a été renforcée de personnel de greffe. Elle verra l’arrivée prochaine d’un magistrat du parquet, un vice-procureur. Un appel à candidature a été diffusé tout récemment au niveau national. On a bon espoir d’une arrivée de ce vice-procureur en début d’année prochaine. Ce qui importe, c’est que cette région ait les moyens d’une justice de proximité pour la population de la province Nord.

DNC :  Dans les premiers entretiens que vous avez pu avoir, avez-vous eu l’occasion de parler de l’image de la justice auprès de la population ?

James Juan : Oui, et cette image est positive. Heureusement d’ailleurs, après, selon le côté duquel on se trouve dans un procès, que l’on gagne ou que l’on perde, on n’aura pas la même appréciation du fonctionnement de la justice mais ça, c’est le fonctionnement normal. Après, notre rôle est de faire en sorte que la justice fonctionne et que les citoyens aient un accès égal à cette justice, quel que soit l’endroit où il se trouve.

DNC : En matière d’image, une annonce a été faite récemment selon laquelle Madame Lanet, l’ancienne procureure de la République, pourrait rejoindre le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Si cela ne s’est pas concrétisé, du moins pas encore, ne pensez-vous pas que cela porterait un coup à la crédibilité de la justice, notamment si l’on considère des affaires de délinquance en col blanc qui n’auraient pas ou auraient du mal à aboutir ?

James Juan : J’ai entendu cette polémique au sujet du souhait que l’ancienne procureure de la République avait de vouloir rester sur le territoire. Ce qui est sûr à la date d’aujourd’hui, c’est que Madame Lanet est affectée au parquet général. Elle est dans mon équipe et nulle part ailleurs. La polémique, si elle existe, n’a aucune raison d’être. Madame Lanet est au parquet général et aura des attributions correspondant à ses fonctions.

Propos recueillis par M.D 

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Davantage de Calédoniens pour la justice

Les magistrats ultramarins sont rares, très rares. James Juan, procureur général originaire de La Réunion est l’exception qui confirme la règle. C’est peut-être encore plus vrai en Calédonie où, sur la quarantaine de magistrats, seulement deux sont calédoniens. Une situation que Thierry Drack, le premier président de la cour d’appel, aimerait voir changer. Depuis plus de deux ans, il a engagé un travail de fond en ce sens afin d’attirer les jeunes Calédoniens vers les métiers du droit.

Des réunions d’information sont par exemple organisées à l’université et le directeur de l’école nationale de la magistrature (ENM), Xavier Ronsin, est lui-même venu en Nouvelle-Calédonie au mois d’avril. Il faut dire que les différentes réformes font du droit un secteur qui recrute, des magistrats mais pas seulement. Le droit, ce ne sont pas que des avocats et des juges, mais ce sont aussi des greffiers, des éducateurs ou encore des psychologues. Autant de métiers qui sont accessibles sur concours mais aussi avec des équivalences appelées « passerelles ».

À noter, les étudiants Calédoniens ont des places réservées dans les classes préparatoires à l’ENM, sur proposition de Cadres Avenir. Ils peuvent également bénéficier d’une bourse d’études et de la prise en charge des frais de transport. Il est également possible d’effectuer des stages dans les tribunaux afin de toucher du doigt cette justice qui peut parfois paraître inaccessible.

Pour plus d’informations, consultez le site Internet

http://www.justice.gouv.fr/

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Bio en bref

James Juan est d’origine réunionnaise. Après ses études à l’école supérieure de la magistrature, il a commencé sa carrière au parquet de Saint-Brieuc en Bretagne. Il a ensuite rejoint La Réunion, son île natale.
Il y est resté dix ans avant d’être affecté au tribunal de grande instance d’Ajaccio où il dirigera notamment l’enquête de l’affaire des paillotes. Il repartira ensuite pour l’outre-mer, Martinique, Guyane, Guadeloupe, puis Paris, sa dernière étape avant la Nouvelle-Calédonie. James Juan a exercé toutes les fonctions du parquet et est reconnu pour avoir, entre autres, travaillé sur le fichier des délinquants sexuels et à rendre la justice plus proche des justiciables.