Interview: Arthur Guérin-Boëri : l’apnéiste qui nous fascine

Le Niçois, quintuple champion du monde d’apnée, Arthur Guérin- Boëri a animé ce week-end un workshop à la piscine du CNC, à Nouméa. L’occasion d’aller à la rencontre d’un grand sportif au parcours fulgurant et également ambassadeur de Mercedes-Benz.

C’est la première fois que vous venez en Nouvelle-Calédonie, pourquoi ?

Effectivement, c’est une première. Après ma saison sportive, j’avais besoin de faire une vraie coupure, un gros break. Cela faisait longtemps que je voulais découvrir le Paci que, les îles francophones, et connaissant très bien le vice-champion du monde, Pierre Crubillé, qui habite ici, mon choix s’est naturellement porté sur la Nouvelle-Calédonie pour un séjour d’un mois.

Au-delà du workshop que vous avez animé samedi, en présence des VIP, comment s’est déroulé votre séjour ?

J’ai pu découvrir le lagon, à Nouméa, avec Pierre tout d’abord, puis j’ai fait le tour de la Grande Terre, grâce à mon partenaire, Mercedes-Benz. J’ai fait pas mal de plongées magnifiques sur cette grande barrière qui est encore conservée et si belle. Je finis mon séjour dans ce beau pays à Lifou.

Pour en revenir à votre parcours, vous êtes cinq fois champion du monde d’apnée dynamique. Ces titres, vous les avez décrochés alors que vous avez commencé l’apnée sur le tard, à 26 ans, et vous en avez aujourd’hui 33 ans. Quel est votre secret pour progresser aussi rapidement dans ce sport ?

Il n’y a pas de secret, car l’apnée est avant tout une discipline qui fascine et peut faire peur à certains, mais c’est un sport accessible à tous. On peut commencer sur le tard et devenir rapidement très bon. Pourquoi ? Parce que l’apnée est un sport essentiellement mental. À partir du moment où l’on sait à peu près bien nager et que l’on a ce mental, on peut très vite aligner les performances. On peut pratiquer à tout âge : Jacques Mayol, par exemple, a obtenu son dernier record à l’âge de 56 ans. Et il n’est pas rare de voir des quinquagénaires en compétition. Là, je parle pour le haut niveau, mais cela s’applique encore plus pour l’apnée de loisir.

Vous êtes le premier apnéiste à avoir passé la barre des 300 m à la nage en piscine avec palme, vous êtes également multiple recordman en jump blue et avez réalisé en mars la distance de 175 mètres sous la glace avec une eau à 0 °C ? Quels sont vos projets maintenant, s’il en reste ?

Cela peut surprendre, mais j’ai envie de laisser de côté quelque temps l’apnée dynamique et la compétition parce que j’ai un niveau qui peut me le permettre. J’ai envie aujourd’hui de voir et faire autre chose. Je vais donc m’orienter vers des projets plus personnels comme la réalisation de documentaires. Le premier, Aquae Rex, devrait d’ailleurs sortir d’ici quelques semaines. D’un format 60 minutes, il retrace mes deux dernières années de préparation pour atteindre mes deux derniers records du monde : le 300 m en piscine et le 175 m en Finlande, sous la glace. C’est un documentaire qui parle de ce sport et du monde de l’apnée, encore si méconnu, avec des images très soignées. À ce propos, une campagne de financement participatif a été lancée sur le site Kiss Kiss Bank Bank.com afin de pouvoir financer la postproduction du lm qui sera diffusé sur grand écran, puis j’espère, à la télévision. J’espère que ce sera le premier d’une longue série où je partirai découvrir des endroits et des gens insolites à travers le monde, toujours à travers le prisme de l’apnée. C’est un scoop, le prochain tournage est prévu en Indonésie.

Comment arrive-t-on à rester aussi longtemps sous l’eau et que ressentez vous ?

L’apnée est un sport complet qui apporte beaucoup d’équilibre sur le plan physique et psychique qu’il soit pratiqué en compétition comme en loisir. Pour ma part, c’est un moyen d’évasion, de lâcher prise. Sous l’eau, on est comme dans un cocon, en apesanteur. Quand vous êtes sur une apnée longue, vous apprenez à gérer di érentes phases qui vont vous permettre de rester longtemps sous l’eau, de ralentir votre cœur, d’oublier l’envie de respirer jusqu’à, ce que j’appelle la phase d’accomplissement, la réalisation de sa performance. Des critères qui procurent un véritable sentiment de bien-être.
C’est un sport qui peut paraître très di cile, mais il est au contraire très abordable, car on ne sou re pas en apnée. Il apporte beaucoup de plaisir à ceux qui souhaitent se dépasser, à ceux qui veulent rester dans la concentration, dans la relaxation, qui veulent se gérer, tout en tentant de dépasser ses propres limites. Au quotidien, il apporte con ance en soi, à mieux apprendre à gérer son stress et les difficultés de la vie.

Comment expliquez-vous que l’apnée à haut niveau soit moins reconnue que d’autres sports ? Un sport, aussi, dont il est diffcile d’en vivre.

C’est tout le paradoxe de l’apnée, mais c’est ce qui me donne espoir aussi. L’apnée fait rêver tous les Français, ils connaissent à peu près tous cette discipline aujourd’hui grâce notamment à des films comme Le Grand Bleu. Retenir son souffle, descendre à des profondeurs inimaginables longtemps, ça fait peur. Mais le nombre sans cesse croissant de licenciés et les résultats en compétition changent la donne. On sait aujourd’hui que ce sport est accessible à tous et tous les bienfaits qu’il apporte dans notre civilisation où le bien- être est mis en avant. Mais, il est vrai que c’est difficile d’en vivre correctement quand on fait du haut niveau. Cela change, les sponsors commencent à se manifester, on voit apparaître de la professionnalisation dans l’apnée. Des sponsors qui ont bien raison parce qu’ils se rendent compte que ce sport est porteur par l’image qu’il véhicule : relaxation, écologie, sobriété, nature, pratique du bien-être. Il manque peu de choses pour mettre le feu aux poudres, alors tout reste à faire, il y a un énorme potentiel de communication et j’ai bon espoir.


Bio express

Né en 1984 à Nice, Arthur Guérin-Boëri grandit et poursuit ses études d’ingénieur du son en région parisienne où il découvre l’apnée sportive en 2010, à 26 ans, au sein du club Apnée Passion (Montreuil-93). Très vite, il o re des dispositions pour la haute compétition et est repéré par le sta France en 2013. Il gagne, la même année, son premier titre de champion du monde en apnée dynamique sans palme en parcourant 200 m en petit bassin (nouveau record du monde). Il enchaînera quatre autres titres mondiaux et quatre titres nationaux dont celui de recordman du monde de jump blue (apnée dynamique en mer). En 2016, il devient le premier à atteindre en compétition la barre mythique des 300 m en dynamique avec palme, lors des championnats du monde à Lignano Sabbiadoro, en Italie. En 2017, il a été le premier à parcourir 175 m sous la glace dans une eau à 0 °C, en Finlande.

C.Sch