« On est dégoutés ». Des salariés de Vale témoignent

Alors que l’usine du Sud est au cœur d’un conflit majeur qui préoccupe chacun d’entre nous, les salariés vivent ce calvaire de l’intérieur, en essayant de rester dignes et concentrés. Trois d’entre eux ont accepté de témoigner.

Warren*, opérateur à l’usine, était sur site, jeudi dernier, quand celui-ci a été forcé. Il raconte avoir été pris de court avec ses collègues.

« On était en contrebas, donc on ne voyait pas ce qu’il se passait à l’entrée. On nous a demandé de nous réunir, on pensait aller à une réunion. Mais on a vu que l’on regroupait tout le monde. Ça a été assez long parce qu’il a fallu alerter les gens de la base vie, réveiller ceux qui dormaient. La sirène a été déclenchée et on nous a annoncé l’évacuation. Il a fallu compter et recompter les gens. On est partis au feu vert des forces de l’ordre, la boule au ventre. On n’avait pas l’impression d’avoir forcément sécurisé l’usine d’acide, on se posait des questions. On a pris un chemin qui mène directement au port et on avait peur parce qu’il se disait qu’il y avait des manifestants en bas. Mais ils n’étaient pas là. On était stressés sur le bateau aussi, mais les forces de l’ordre nous ont dit que c’était le « meilleur endroit »… Ça faisait vraiment mal au cœur de laisser les collègues derrière. On ne savait pas trop comment ça allait se passer. On imaginait le pire…

Aujourd’hui, on est encore sous choc. Et puis ça recommence. On est inquiets pour nos emplois, notre famille, nos traites. On nous a indiqué qu’il n’y aurait pas de mise au chômage pour décembre. Mais après, on ne sait pas. On se sent impuissants, pas maîtres du lendemain. J’ai des collègues qui sont accompagnés par le dispositif de soutien psychologique mis en place pour les personnes qui ont des troubles. Ce n’est pas facile ».

Yann*, de la brigade d’intervention, faisait parti des volontaires restés sur site après l’intrusion à l’usine. 

« On était sur les incendies. La première chose que je retiens, c’est qu’on a eu peur pour notre sécurité. On avait l’impression de marcher, de progresser tout en ayant peur de se prendre une balle ou autre chose. Il y a eu cette crainte quand ils sont rentrés, puis après, avec le risque du feu, même si la présence des gendarmes et l’arrivée du GIGN nous ont fait du bien. On était inquiets pour les installations, les rejets, pour nos collègues, pour les populations sur le site et même les populations alentours. On est là pour eux aussi. On est neutres dans tout ça. On subit les paroles, les actes des gens d’en haut. Après, il y a eu le choc de voir le site vidé de ses équipes. C’était bizarre et triste. Je suis parti depuis et on n’est pas tranquilles. On se demande de quoi demain sera fait et on a l’impression qu’à tout moment ça peut péter. Mais on va y remonter. On est mentalement prêts et on fera tout ce qu’on peut pour défendre cette usine. C’est un peu notre maison et c’est notre outil de travail ».

Marion*, ingénieure, évoque son envie de se battre et sa certitude qu’il y aura un « après ».

« J’étais au bureau, à Nouméa, la semaine dernière. Une cellule de crise a été mise en place. Et là, ça a été l’angoisse. On a passé quatre heures à recevoir des vidéos très violentes en craignant pour la sécurité de nos collègues. On était totalement focalisés sur les gens sur site. On a aussi perdu nos bureaux, nos véhicules. On a eu très peur évidemment aussi pour les installations et l’environnement. Parce qu’on connaît les risques. Il y avait déjà des tensions, mais on ne pensait pas qu’ils seraient capables de telles destructions, de sabotages. Pour moi, ce sont des actes inconsidérés sans véritable fondement. C’est vraiment la consternation, la désolation. On est dégoûtés. On se fait détruire notre outil de travail, alors qu’on n’a rien demandé.

Maintenant on reste concentrés, malgré tout, parce qu’il y a la maîtrise du risque. Il faut essayer de prendre du recul… Je suis personnellement convaincue qu’il y aura un après. Et on reste mobilisés : le fait d’avoir touché à notre outil nous donne envie de nous battre. Il y a aussi une véritable cohésion, on fait ce qu’on peut pour se soutenir et il y a pas mal de choses mises en place par la direction. Ce qui est dommage, c’est que ça fait un an qu’on se battait pour trouver un repreneur et on avait un projet qui tenait la route avec l’actionnariat calédonien et le négociant pour mieux vendre nos produits. On y croit encore, à ce projet. Maintenant, c’est que du politique, mais on ne se laissera pas faire ».

* Tous les prénoms ont été modifiés.

C.M.

©D.R.