Influence française dans l’Indo-Pacifique : « L’AFD est au service de cette politique »

Collectivités, logements sociaux, énergie… L’Agence française de développement finance une grande partie de l’économie calédonienne. Et elle compte étendre ses activités dans le Pacifique, en soutien à la politique extérieure menée par Emmanuel Macron. Entretien avec Virginie Bleitrach, directrice de l’Agence française de développement en Nouvelle-Calédonie.

DNC : L’AFD détient près des deux tiers de la dette des collectivités calédoniennes, soit environ 127 milliards de francs. Comment envisagez-vous cette responsabilité ?

Virginie Bleitrach : C’est une responsabilité, effectivement. C’est le fruit d’un partenariat de long terme avec le territoire. Nous sommes ici depuis 75 ans et finançons l’ensemble des collectivités. Nous les accompagnons pour étudier la soutenabilité de leurs demandes et pour s’assurer qu’elles soient orientées le plus possible vers le développement durable, le bien-être des populations, la réduction des inégalités.

L’AFD est un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic). Qu’implique ce statut ?

Nous avons un double statut. L’AFD est une banque qui recherche un modèle économique équilibré, on n’est pas là pour faire du profit. On est aussi un Epic, indépendant. On n’est pas des fonctionnaires, mais on est détenu à 100 % par l’État, ce qui indique bien une mission de service public et d’intérêt général. Il faut d’ailleurs rappeler que l’AFD a contribué au capital de grandes structures qui ont façonné le territoire, comme Enercal et la SIC.

Près de 50 milliards ont été prêtés à la Nouvelle-Calédonie depuis 2020. Dans ces discussions, qui sont très politiques, quelle est la relation de l’AFD avec l’État ?

Encore une fois, l’AFD est indépendante et octroie depuis des décennies des prêts à la Nouvelle-Calédonie. Avec la crise Covid, l’Agence a mis en place deux prêts qui sont garantis par l’État, à sa demande et pour son compte. C’est différent de l’activité habituelle.

Seule, l’AFD n’était pas en mesure de répondre à ce besoin de la Nouvelle-Calédonie. Et c’était vraiment une situation d’urgence pour éviter le point de rupture et que les différentes parties locales puissent se mettre d’accord sur les réformes structurelles à conduire pour rétablir une trajectoire budgétaire équilibrée à long terme.

Ce n’est absolument pas à nous de les dicter. En revanche, quand on délivre un prêt normal, on s’attache à vérifier qu’on ne met pas en difficulté la collectivité, que la capacité de remboursement est saine et durable : c’est une question de responsabilité et de crédibilité.

L’AFD octroie depuis des décennies des prêts à la Nouvelle-Calédonie. »

Dans le Pacifique, quels sont vos objectifs ?

Depuis 2018, à la faveur du déplacement du président Macron en Australie et en Nouvelle-Calédonie, où il a prononcé son premier discours sur l’Indo-Pacifique, l’AFD a reçu pour mandat de développer ses activités dans 14 des pays et territoires insulaires du Pacifique. C’est une vaste ambition. On observe dans la région des tensions géopolitiques.

La France se positionne comme nation du Pacifique, et l’AFD est au service de cette politique et de la coopération régionale. On nous a d’abord demandé d’intervenir sur le changement climatique et la biodiversité, au niveau régional.

Depuis 2021, on peut désormais intervenir dans une approche bilatérale, pays à pays. D’où le démarrage de nos missions cette année avec le Vanuatu, Fidji et la Papouasie, et puis évidemment l’Australie, un partenaire clé pour intervenir dans la région, et bientôt la Nouvelle-Zélande.

Les enjeux sont majeurs, les besoins sont immenses. Il y a déjà de nombreux acteurs dans la région, avec des volumes d’aide très importants : Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis… Il ne s’agit pas de venir les concurrencer, mais de travailler en complémentarité.

Concrètement, que financez-vous ?

L’AFD intervient par des subventions pour la coopération régionale, comme l’Initiative Kiwa pour la préservation de la biodiversité. Mais surtout, à près de 80 %, par des prêts, en bilatéral. Au cours des missions récentes, nous nous sommes présentés auprès des partenaires locaux, à Fidji et en Papouasie qui nous connaissaient peu.

On a identifié un besoin d’accompagnement vers la transition énergétique, la réhabilitation des infrastructures portuaires ou, encore la finance verte. Nous souhaitons aussi contribuer à mettre en relation les acteurs calédoniens et polynésiens avec leurs pairs dans la région afin de favoriser la coopération régionale.

On a identifié un besoin d’accompagnement vers la transition énergétique, la réhabilitation des infrastructures portuaires ou, encore la finance verte. »

Favoriser le développement d’un pays, tout en plaçant les entreprises françaises… Où est la limite ?

Ceux qui mettent en œuvre les financements sont les partenaires locaux. En Papouasie, on voit deux axes d’intervention : un sur le schéma de transition énergétique de PPL, l’alter ego d’Enercal. Nous nous proposons dans un premier temps une coopération entre les deux entités.

Nous avons aussi identifié un gros potentiel sur la réhabilitation des ports. Il se trouve que nous avons une grosse expérience en la matière, dans l’océan Indien, mais aussi à Papeete. L’idée, c’est de proposer un financement aux côtés de l’Union européenne et de l’Australie.

Les décideurs de Papouasie pourront faire appel à des sociétés australiennes, françaises, indonésiennes… Nous, on vérifie la traçabilité des fonds, la transparence des appels d’offres, le respect des procédures. Mais toutes les décisions leur appartiennent.

Propos recueillis par Gilles Caprais

Photo : Virginie Bleitrach a pris la direction du bureau régional de l’AFD en 2021. / G.C.

Un financeur présent sur les cinq continents

Le barrage de Yaté fait partie des nombreux investissements financés par l’AFD.

L’Agence française de développement déploie ses prêts et subventions dans plus de cent pays. La Nouvelle-Calédonie est un petit territoire, mais un poste « important » dans son bilan, avec 211 milliards de francs actuellement prêtés.

DANS LE MONDE

L’Agence française de développement, établissement public constitué de 3 000 salariés, a prêté 12 milliards d’euros (1 400 milliards de francs) en 2021, dans 115 pays.

EN NOUVELLE-CALÉDONIE

L’AFD est intervenue en Nouvelle-Calédonie pour la première fois en 1947 afin de financer la construction du barrage de la Dumbéa. Le territoire est aujourd’hui un poste
« important » de son bilan : les sommes prêtées s’élèvent à 211 milliards de francs.

Plus de la moitié (127 milliards) de cet encours de crédit est liée aux collectivités (les 33 communes, les trois provinces, des syndicats mixtes intercommunaux…). La Nouvelle-Calédonie, à elle seule, a contracté des prêts de 28,6 milliards en 2020, puis de 20,9 milliards en 2022.

Le reste des sommes a été prêté au secteur privé, aux banques notamment. Depuis 2016, 14 milliards ont financé la transition énergétique. Un accompagnement technique a été réalisé auprès des provinces Sud et Nord pour améliorer « la prise en compte du climat dans leurs budgets d’investissement ».

Près de 41 milliards sont actuellement prêtés aux bailleurs sociaux. De 2005 à 2021, 21 milliards ont été engagés « pour la modernisation et la restructuration des infrastructures de santé », le Médipôle notamment.

DANS LE PACIFIQUE

En plus de la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, l’AFD a pour mission d’intervenir dans les pays suivants : Vanuatu, Fidji, Papouasie- Nouvelle-Guinée, Tuvalu, Kiribati, îles Marshall, Tonga, Samoa, îles Cook, Niue, États fédérés de Micronésie, Palaos, Salomon, Nauru et Timor-Leste.

Le montant total de ses prêts dans le Pacifique est actuellement de 360 milliards de francs, dont deux tiers dans les territoires français. Au titre des subventions, sa principale intervention s’élève à 6,5 milliards de francs, dans le cadre de l’Initiative Kiwa, un programme d’aide au développement destiné à lutter contre les effets du changement climatique en s’appuyant sur les « solutions fondées sur la nature ». G.C.