Les récents évènements ont aggravé la situation du marché immobilier, déjà en crise depuis 2023. Malgré les graves difficultés, les professionnels veulent garder espoir.
Après une année 2022 exceptionnelle en sortie de Covid, le territoire s’engage dans une crise immobilière. Entre fin 2023 et début 2024, le secteur perd 40 à 50 % de son volume de transactions, évalué à 2500-3000 ventes au cours d’une année dite normale.
En cause : les événements mondiaux, l’inflation, le solde migratoire négatif, des taux d’emprunt très élevés (jusqu’à 6 %, environ 5 aujourd’hui), des prix d’achat pas encore à la baisse, les incertitudes institutionnelles, etc. « À paramètres constants de revenus, les gens perdaient entre 25 et 30 % de pouvoir d’achat sur leur bien immobilier », retrace Jean-Damien Ponroy, président de la Fédération territoriale des agences immobilières (FTAI), à la tête de Tropic immobilier.
Et puis ce fut l’effondrement après le 13 mai. « Le volume de transactions s’est réduit de 90 % », poursuit Alexandre Rodriguez, président de la confédération des professionnels de l’immobilier (CPI) et gérant de Top immo qui évoque « 30 compromis depuis le mois de mai alors que nous étions à une moyenne mensuelle de 250-300 ».
SACRIFICES (ET OPPORTUNITÉS)
Les quelques ventes réalisées le sont sur des prix « fracassés » avant un départ le plus rapide possible. Ces « sacrifices » génèrent des occasions. « Des gens avec des situations professionnelles stables, à qui les banques acceptent de prêter, ou ceux qui disposent d’épargne pour payer comptant, auront des opportunités intéressantes », souligne Alexandre Rodriguez. Les banques prêtent, mais avec une certaine sécurité sur les emplois et généralement sur un niveau d’apport conséquent. Les assurances peuvent être réticentes.
L’offre étant plus importante que la demande, les prix diminuent, mais les situations sont très différentes selon les zones. « Les quartiers Sud, le centre-ville et d’autres considérés comme plus sécurisés, connaissent une baisse moins ciblée ». Ces ventes sont en tout cas insuffisantes pour constituer un marché. La situation est telle que les professionnels ont beaucoup de mal à estimer les biens.
Dans le locatif, beaucoup plus d’offres que de demandes et des prix à la baisse également, surtout dans certains quartiers de l’agglomération. Il y a aussi des mouvements vers Nouméa.
En province Sud, les agences ont constaté une hausse d’environ 40 % du nombre de préavis pour motif de perte d’emploi, de chômage partiel ou de départ du territoire, selon Jean-Damien Ponroy. L’agent note la « grande bienveillance » des bailleurs lorsqu’ils sont sollicités par des locataires en difficulté financière. Mais ces demandes doivent être justifiées. « Essayer de faire une bonne affaire en demandant une baisse de loyer parce que c’est la crise n’est pas sensé. Car en face, il y a une traite bancaire, des obligations financières, des impôts, des gens qui ont juste une retraite. » Le gel ou la suspension des loyers serait « la fin d’un système ».
BESOIN DE STABILITÉ
Sur les deux tiers de l’année, l’activité des agences – 80 pour environ 300 emplois – s’est surtout portée sur des ruptures de compromis, des renégociations de prix, des résiliations de bail. Dans la vente, les délais se sont allongés et globalement, elles n’ont fait quasiment aucun chiffre d’affaires. Elles ont réduit le nombre de commerciaux, engagé des plans de licenciement. « Comme dans tous les pans de l’économie, les agences rencontrent des difficultés gravissimes, indique Alexandre Rodriguez. Malgré les aides, le chômage partiel, certaines ont fermé, se restructurent, revendent leurs portefeuilles. »
Mais le président de la CPI veut croire que la situation est temporaire. « Je pense qu’on est dans un creux de quelques mois. Beaucoup ne croient pas en un effondrement total et attendront un an ou deux pour vendre, le temps d’avoir une stabilité et une visibilité sur le long terme. »
Pour Jean-Damien Ponroy, le territoire « a toujours su faire preuve de résilience. S’il y a des accords politiques, un accompagnement de l’État et du gouvernement, il n’y a pas de raison qu’on aille vers un scénario catastrophe ». Impliqués auprès des décideurs, ils attendent des mesures fortes pour les salariés, sur les freins à l’achat et l’attractivité du territoire.
Dans le Nord, une situation liée au nickel
Dans la zone VKP, les difficultés datent de l’annonce par KNS, en septembre 2023, d’une possible mise en sommeil. « Elle a été suivie de désistements, de refus bancaires, les gens ne se sont pas projetés par manque de visibilité », selon Jean-Damien Ponroy, qui gère une des trois agences du secteur.
D’autres annonces ont suivi jusqu’aux 1 200 licenciements avec, pour conséquence, un nombre de transactions « au niveau quasi-zéro ». Au moins 200 lots sont vacants sur le parc des bailleurs privés en agence. « On est aussi sur un volume très important de lots en cours de libération, des quartiers de Koné et Pouembout qui se vident de leurs habitants. »
Alexandre Rodriguez (VKP Immo) évoque quelques personnes qui reviennent de formation pour le centre pénitentiaire, le RSMA qui « refait un peu son parc », mais rien de flamboyant. En revanche, pour l’heure « aucun surplus de départ massif non plus ». Les professionnels s’accrochent à une potentielle reprise de l’usine, ou au moins à la formation-reconversion des salariés dans la zone.
UN « COUP BRUTAL » POUR LE NOTARIAT
L’activité immobilière représente 80 % du champ d’activité des notaires. Et leurs autres missions de service public (actes souvent gratuits de donation, de succession, etc.) ne sont rendues possibles que par les actes très rémunérateurs des ventes immobilières.
Dans les cinq officines, une majorité des 150 employés sont au chômage partiel. « Le coup a été extrêmement brutal, indique la présidente de la chambre, Elisa Mougel (Office notarial calédonien). Il n’y a plus de marché et des freins importants à la reprise. »
Pour relancer la machine, la présidente évoque des avantages à l’acquisition, des réductions fiscales avec une compensation par des subventions de l’État des baisses de rentrées qu’elles engendreraient. « La question, comme ailleurs, est : est-ce qu’on sera en capacité de tenir ? » Autre impératif : garder les compétences qui sont au fait des spécificités du droit calédonien.
Chloé Maingourd