« Il ne faut jamais oublier »

La statue a été dévoilée sur la nouvelle place de la Paix, ou Koo Wè Joka, dimanche 26 juin, 34 ans après la poignée de main. Au nom du geste de Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, leurs proches ont appelé les Calédoniens, les élus en particulier, à choisir la paix.

Le voile tombe. Marie-Claude Tjibaou lève les yeux vers le visage de Jean- Marie, pose une tendre main sur son dos. Une seconde, seule au monde. Ses doigts s’attardent tandis qu’elle s’éloigne pour étreindre Isabelle Lafleur et Sonia Lagarde.

La pluie d’applaudissements s’estompe tandis qu’elle gagne le pupitre. « À l’ombre de ces deux grands hommes », Marie-Claude Tjibaou loue la force de caractère de ceux qui se serrent la main sans la bénédiction de leur propre camp. La responsabilité de la paix « est d’abord individuelle avant d’être collective ».

À la foule qui boit ses paroles, elle parle de son époux. De ce moment d’intimité, le dernier, avant son départ pour Ouvéa. Il n’aurait pas le temps d’achever son travail, il le sentait. « Je lui ai dit : ‘’Laisse, papa. C’est nous qui allons le faire’’. »

Les paroles, les actes 

« Il ne faut jamais oublier, insiste Isabelle Lafleur, qu’une guerre civile s’est déclarée ici et que plus de 90 personnes sont mortes » au nom de deux visions du pays. « Nous sommes aujourd’hui, 34 ans après, à la croisée des chemins. Chacun d’entre nous doit y réfléchir, comprendre, surtout écouter et entendre l’autre », a-t-elle poursuivi.

« Aujourd’hui faut-il encore attendre de morts pour nous réveiller ? », a demandé Marie- Claude Tjibaou dans un appel à réagir déjà formulé il y a deux ans à la cérémonie de préfiguration.

Aux paroles de ce 26 juin 2022 devront répondre des actes, bientôt, lors de discussions politiques qui s’annoncent périlleuses. Isabelle Lafleur espère que chacun se laissera gagner par la formidable sérénité, par la « confiance » qui émane de la sculpture de Fred Fichet.

« Vous ressentirez, je l’espère, la même chose que moi. » Emmanuel Tjibaou s’en assure. Il invite la foule à se joindre aux chants et aux danses de la tribu de Tiendanite. On se mêle, on tourne, on rit. Le pouvoir de la statue agit. Puissent les effets durer longtemps.

 

Au premier plan, de gauche à droite : Pascal et Isabelle Lafleur, Sonia Lagarde, Evelyne Lèques. Derrière eux, Marie-Claude Tjibaou.

Comme l’espérait le sculpteur Fred Fichet, la foule s’est rapidement emparée de son œuvre.

Les hommes de Tiendanite, dont Emmanuel Tjibaou, ont chanté, dansé, et invité les spectateurs à les rejoindre.


Pascal Lafleur

« Émotion, solennité, fierté sont les mots qui me viennent après avoir assisté à la cérémonie. Coutumes, discours, chants et danses nous ont fait vivre un moment fort, qui l’espace d’un instant, a donné l’impression d’une Nouvelle Calédonie réconciliée. Le travail est encore long pour y arriver, la volonté de le faire doit nous y amener, je suis persuadé que cette statue doit être notre guide pour réussir. L’intensité des mots prononcés par Marie Claude Tjibaou, sa présence comme celle de sa famille alors qu’un deuil récent les a plongés dans la douleur sont à saluer. Je les en remercie très sincèrement. Des fausses notes, oui malheureusement. Deux interventions, l’une incomprise car totalement déplacée, l’autre qui une fois de plus a mis en avant la méconnaissance du dossier calédonien par des élus nationaux.
Mais tout cela est bien peu heureusement à côté de ce que nous avons vécu grâce à celles et ceux qui se sont mobilisés pour faire de cette évènement une grande réussite. Félicitations à eux ».


Jeannine, de Canala

« Ça nous frappe le cœur »

« C’est avec un grand plaisir que l’on vient pour assister à des cérémonies comme ça. C’est pour le
peuple, pour la Calédonie. Ça nous frappe le cœur. On rend un hommage à Jean-Marie Tjibaou et puis à sa famille aussi. On espère qu’il y aura la paix grâce à ces deux hommes. »


Kaline Wangene, de Lifou

« La bénédiction, elle est là »

« On est venu à Nouméa parce que la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, c’est important. C’est pour essayer de faire avancer les choses. On ne peut pas rester sans savoir comment le pays va aller. C’est vachement émouvant parce que toutes les ethnies sont venues, les gens se sont déplacés. La bénédiction, elle est là. »


Jonathan Vincent, de Nouméa

« Un point de repère »

Je pense que c’est comme un renouveau, peut-être une deuxième chance. La statue peut être un point de repère pour ceux qui pourraient se sentir perdus. Vu le contexte, vu les difficultés que l’on a tous, on peut parfois se laisser emporter sur la mauvaise voie. Pour retrouver son calme, ça peut être bien de voir cette poignée de main et de se dire que s’ils y sont arrivés, pourquoi pas nous.

J’ai adoré pouvoir danser avec tout le monde, partager l’énergie, l’émotion aussi. Il y avait quelque chose de chaleureux, qui transcende. C’était un très beau moment, quelque chose d’important et d’historique, et je suis vraiment content d’avoir vécu ça.

Gilles Caprais

©Gilles Caprais