« Il est urgent de revenir aux fondamentaux »

Pascal Lafleur a déposé sa candidature aux élections législatives dans la première circonscription avec, comme suppléante, Pascale Daly. Le chef d’entreprise, toujours resté en marge de la vie politique dans laquelle son père, Jacques Lafleur, s’était impliqué durant des décennies, souhaite participer aux discussions décisives qui vont s’ouvrir pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

DNC : Vous ne vous êtes jamais engagé en politique. Pourquoi le faire aujourd’hui ?

Pascal Lafleur : Le territoire doit tourner la page de plus de 30 années d’une période ayant commencé par les accords de Matignon et qui s’est terminée par le troisième référendum. Je souhaite contribuer, si les électeurs me soutiennent, aux discussions qui vont se tenir sur l’avenir institutionnel.

La classe politique actuelle ne répond-elle pas à vos attentes ?

Je considère qu’il n’y a pas de réelle proposition et que l’esprit des accords de Matignon n’est plus respecté. J’ai l’impression que la classe politique a creusé un fossé entre partisans de l’indépendance et partisans du maintien dans la France. Depuis plusieurs années, nous observons des discours de plus en plus radicaux de la part des indépendantistes, à l’opposé de ce qu’ils ont signé dans les accords et, surtout, de ce qu’il faudrait faire pour convaincre des opposants. Ils refusent maintenant le résultat des référendums, ce qui ne cadre pas non plus avec les accords. Ils ont pris l’habitude de menacer pour obtenir satisfaction. De l’autre côté, je n’ai pas l’impression que ceux qui se disent loyalistes aient fait ce qu’il fallait pour essayer de faire reculer le vote indépendantiste. Au contraire, ils les ont plutôt confortés en donnant sans contrepartie pour s’assurer une majorité, par exemple. J’ai également régulièrement entendu que les gens des Îles et du Nord devaient repartir chez eux, car ils coûtaient trop à la province Sud. Est-ce cela, la construction d’une communauté de destin ? Je pense qu’il est urgent de revenir aux fondamentaux que sont la philosophie des accords et la défense des intérêts de toute la population, quelle que soit son ethnie.

 

Laissons le soin au Congrès, dans deux générations, de proposer, si le territoire est prêt, l’organisation d’un référendum pour que la Nouvelle-Calédonie devienne un pays indépendant. Avant cela, ne parlons plus d’indépendance, mais seulement de construction.

 

Quelles sont, selon vous, les priorités pour la Nouvelle-Calédonie ?

Développement économique, enseignement, sécurité, pouvoir d’achat, pour ne citer qu’eux, sont des sujets qui préoccupent les Calédoniens. Pour répondre à ces attentes, il faut avant tout de la stabilité et que la grande majorité de la population se reconnaisse dans un projet pour l’avenir.

Il faut trouver la bonne solution pour permettre de donner cette stabilité au territoire, de la visibilité à la population et aux investisseurs. Par conséquent, le retour de la confiance est primordial pour moi. C’est pourquoi le cadre institutionnel devient urgent à définir, et cela participera à améliorer le quotidien des populations. La solution institutionnelle doit être accompagnée d’orientations dans les secteurs de l’économie, de l’enseignement. L’éducation de la jeunesse est primordiale pour que chacun de nos enfants ait une chance de réussir. Il est donc urgent que simultanément au projet institutionnel, des projets pour l’éducation comme pour d’autres secteurs soient discutés.

Que défendrez-vous pour l’avenir institutionnel ?

Je propose que nous nous retrouvions autour de la table pour nous atteler à préparer l’avenir, notamment pour les jeunes, et que nous mettions de côté pour un long moment la question de l’indépendance. Nous laisserions le soin au Congrès, dans deux générations, à la majorité qualifiée, de proposer, si le territoire est prêt, l’organisation d’un référendum pour que la Nouvelle-Calédonie devienne un pays indépendant. Avant cela, ne parlons plus d’indépendance, mais seulement de construction.
Analysons ce qui est positif dans le dispositif actuel pour le conserver et apportons des améliorations à ce qui ne fonctionne pas et prenons des orientations pour développer le territoire et apporter une amélioration dans la vie de la population.

 

L’éducation de la jeunesse est primordiale pour que chacun de nos enfants ait une chance de réussir.

 

À quoi vous opposerez-vous ?

Je ne suis pas favorable à une indépendance inéluctable surtout par pure idéologie, je ne suis pas favorable non plus à l’exclusion d’une partie de la population ni à des provinces qui se replient sur elles-mêmes. L’exclusion définitive d’une partie de la population du droit de vote n’est plus possible, ce n’est pas acceptable.

Le nombre des provinces est aussi, selon moi, à revoir. C’est coûteux et inefficace au regard de ce qui a été fait sur la durée dans certaines d’entre elles. La fameuse clé de répartition, que certains disaient gravée dans le marbre pour satisfaire leurs futurs alliés indépendantistes, doit être revue pour plus de justice après tant d’années. La question que l’on peut se poser est : aura-t-elle été bénéfique ?

Comment vous positionnerez-vous face aux indépendantistes ?

Je souhaite avant tout être un interlocuteur de l’État. Plus largement, je souhaite défendre ma vision de l’avenir dans le respect de chacun. Mais de qui parlez-vous ? Est-ce des partis indépendantistes ou des électeurs ? Les partis me semblent divisés et les électeurs sans doute un peu déçus. Les élus doivent être des interlocuteurs, mais c’est aux électeurs qu’il appartiendra de décider.

Une union des Loyalistes a été mise en place, mais on observe une multitude d’autres candidatures. Comment l’analysez-vous ?

Je ne sais plus trop ce que veut dire le terme loyaliste. Loyal à qui ? Il faut être loyal envers la population. Je note une certaine désaffection des électeurs au fil des scrutins. Ils sont visiblement un peu perdus face à des alliances qui sont soit contre nature soit qui ne tiennent que le temps d’une élection depuis 15 ans.

Le propre de la démocratie est de permettre à des personnes de se présenter aux suffrages des électeurs. Il est essentiel de s’unir, mais je pense que les électeurs ont leur mot à dire, c’est à eux de faire l’union sur une candidature.

 

Il y a un gouffre entre le monde politique et le monde économique.

 

Quel groupe rallierez-vous à l’Assemblée nationale si vous êtes élu ?

C’est un peu prématuré, j’espère que les électeurs ne se décident pas sur une appartenance à un groupe à l’Assemblée nationale.

Pourquoi vous engager dans la première circonscription et non la deuxième ?

J’habite à Nouméa, c’est la circonscription qui me paraissait la plus naturelle. J’ajoute qu’avec un engagement aussi tardif, je n’aurais pas été en mesure de parcourir l’ensemble de la deuxième.

En quoi le regard d’un chef d’entreprise peut-il être différent de celui porté par les politiques de « métier » ?

Il y a, malheureusement, un gouffre entre le monde politique et le monde économique. Quand le politique prend des décisions qui ont de mauvaises conséquences sur le monde économique, cela pèse au final sur la population et sur les recettes fiscales.

Serez-vous prêt à mettre vos activités en suspens ?

C’est une des questions qui m’a beaucoup fait réfléchir. Mais l’intérêt général que j’entends défendre est plus important que mon intérêt personnel pour mes activités professionnelles.

L’héritage que vous portez – de par le parcours de votre père si lié à l’histoire calédonienne des 40 dernières années – peut être, selon les points de vue, un frein ou un avantage. Comment l’analysez-vous ?

Je ne défends pas le bilan de mon père. Cela fait plus de 15 ans qu’il ne fait plus partie du monde politique. Par contre, je souhaite faire vivre ce que Jean-Marie Tjibaou et lui nous ont laissé. Je m’inspire de ce qu’il a fait, de ce qu’il m’a appris pour que la population de Nouvelle Calédonie puisse vivre en paix avec, comme référence, cette poignée de main de 1988. J’espère que les électeurs regarderont vers l’avenir.

 

Propos recueillis par Chloé Maingourd (© G.C.)