Honorer les « pères de la Calédonie nouvelle »

La cérémonie de dimanche promet d’être riche en émotion. Les principaux porteurs de ce projet espèrent que la séquence représentera une forme de communion et de transition vers un avenir toujours plus apaisé.

Emmanuel Tjibaou : « De la fierté, et beaucoup d’émotions »

DNC : Une petite cérémonie était organisée mercredi matin avec les autorités coutumières, la mairie, lorsqu’ils ont érigé la statue emballée. Quel en était l’objet ?

Emmanuel Tjibaou : Cette cérémonie concernait le nom Tjibaou. Nos noms en général ne sont jamais donnés à des objets. Nous nous sommes donc rapprochés, avec notre clan de Tiendanite, des autorités coutumières du Sud pour nous excuser du fait qu’un nom du Nord soit placé sur une terre du Sud.

C’est pour cela qu’on a fait ce geste-là. Il fallait le faire. Et il y avait une grande émotion. De la voir en place, ça faisait déjà quelque chose. L’idée était de donner un esprit à cette statue, les bénédictions des vieux qui ont accompagné mon père de son vivant, des autorités coutumières qui ont habité ces endroits-là autrefois.

Je souligne ici le travail de Mme la maire et de son conseiller, Warren Naxue, pour la dimension spirituelle apportée à ce projet.

Comment abordez-vous la journée de dimanche ?
Avec de la fierté, et beaucoup d’émotions qui se mêlent. Nous avons enterré la semaine dernière mon grand frère et il y a donc aussi de la tristesse. Alors qu’il était à l’hôpital, il nous a demandé de tenir nos engagements pour le 26.

Donc on va venir, on va chanter et on va danser pour honorer la mémoire de ces deux vieux qui ne sont plus seulement nos papas respectifs mais un peu les pères de la Calédonie nouvelle. Celle que l’on espère réconcilier avec son histoire, avec son identité, sa culture.

Tristesse et joie en même temps aussi parce que c’est une part de notre histoire qui se termine. Alors qu’Olry célébrait la victoire de l’administration coloniale sur les guerriers d’Ataï, aujourd’hui on célèbre la paix. Et le fait de se tendre la main, c’est un geste universel de fraternité.

Et puis, c’est la reconnaissance, qui est essentielle, qui nous permet d’exister, d’être des hommes debout chez nous. Célébrer la paix est une chose, se rappeler pourquoi on a fait la guerre, pourquoi on a souffert dans notre chair, que le sang a coulé de part et d’autre, c’est important.

On ne peut pas célébrer la paix en oubliant les germes du conflit. Et on aura cette pensée aussi pour ceux qui étaient les compagnons de mon père et des compagnons du vieux Jacques. La chefferie de Tiendanite viendra puisque mon père était aussi chef de tribu. Tous les clans seront représentés.

Nous serons avec des mamans et de jeunes danseurs. Nous souhaitons que les jeunes soient acteurs de cet élan vers les autres, que nos enfants prennent le relais. C’est un cycle qui se ferme mais c’est aussi une page qui s’ouvre. Le vrai combat aujourd’hui est de trouver une nouvelle page à écrire dans laquelle chacun a sa place.


Isabelle Lafleur : « Troublant et en même temps fabuleux »

© Bryan Gauvan / Gouv NC

DNC : Quel regard portez-vous sur cette statue ?

Isabelle Lafleur : C’est l’aboutissement d’un projet commencé il y a plusieurs années avec le sculpteur Fred Fichet. Il était évident pour moi que nous devions rendre hommage à ces deux hommes qui ont ramené la paix en Nouvelle- Calédonie, et ce pour que personne n’oublie les heures sombres qu’elle a vécues. C’est une obligation pour que les jeunes générations connaissent leur histoire.

Fred Fichet a fait un travail remarquable. Il a réussi à matérialiser dans une sculpture la confiance réciproque nécessaire qu’il leur a fallu pour mettre un terme à la guerre civile ‒ parce qu’il faut bien donner sa véritable signification aux Évènements ‒ que la Nouvelle-Calédonie a connu.

C’est un exploit qui va nous donner à réfléchir. Sur le plan familial, l’émotion est grande parce que dès le départ, la ressemblance était telle qu’elle a provoqué chez nous un vrai choc. J’ai eu l’impression qu’ils revivaient sous nos yeux. Qu’ils allaient s’animer. C’était troublant et en même temps fabuleux. J’ai hâte de voir le bronze pour être certaine que tout est en l’état.

J’ai une pensée pour mes enfants qui ne seront pas présents physiquement mais qui vont suivre certainement en direct la cérémonie puisque je crois qu’elle est retransmise à la télévision. Mon frère Pascal aura son fils avec lui mais pas sa fille qui poursuit des études à l’étranger. Ils sont tous très attachés à leur grand-père et fiers de ce qu’il a été. C’est un grand moment familial pour nous évidemment mais pour la Nouvelle-Calédonie également.

Qu’espérez-vous de cette séquence pour le territoire ?
Il faut que ce soit un moment de réconciliation entre nous pour effacer les sentiments toujours exacerbés des différentes campagnes électorales. Notre histoire doit se poursuivre dimanche.

Nous vivons actuellement une période de transition institutionnelle particulièrement délicate. Avoir un tel monument sous les yeux, sur une place fréquentée par tous les Calédoniens, et dénommée place de la Paix de surcroît, marquera un petit rappel permanent à nos décideurs… qui, j’en suis convaincue, sauront apporter à notre territoire ce que tous nous attendons ici, paix, prospérité et développement.


Sonia Lagarde, maire de Nouméa : « Nous sommes les héritiers de ce symbole de paix »

© Ville de Nouméa

« Lors de ma première mandature, j’avais souvent imaginé qu’une des places de la ville, celle du square Olry en particulier puisse devenir la place de la Paix. La célèbre poignée entre deux hommes de paix pouvait en être le symbole. J’ai fait part à Isabelle Lafleur et à Marie-Claude Tjibaou de ce souhait, sans savoir qu’elles avaient eu toutes deux l’idée de cette statue, pour qu’elle soit installée au milieu de la ville.

Elles l’ont accepté avec joie et les choses se sont enclenchées, notre volonté d’aboutir est enfin là.La statue est porteuse d’espoir pour l’avenir, car nous avons à construire une Nouvelle-Calédonie en paix avec elle-même et avec tous, sans exclusion. Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, deux hommes que tout opposait, ont su faire fi de leurs divergences avec humilité. Ils ont su pardonner en faisant preuve de courage.

Ils se sont parlé, se sont compris et c’est bien par le dialogue, par la reconnaissance et la compréhension de notre histoire commune, de l’histoire de l’autre que l’on pourra envisager l’avenir sereinement. Ce n’est pas en restant sur des clichés tout faits, déclinés à l’infini depuis des années, en évitant de se dire des vérités que l’on pourra avancer. L’histoire nous regarde, cette poignée de main nous oblige. Nous sommes les héritiers de ce symbole de paix et nous nous devons de le faire vivre, de le faire revivre pour nos enfants, pour notre jeunesse. »


Tim Sameke : organisateur du festival Caledonia +687 : « Un vide est comblé »

© T.S.

« À l’époque, j’avais eu l’idée d’organiser ce festival avec les artistes parce que j’estimais qu’il fallait absolument qu’il y ait un évènement qui commémore ce geste historique et ce qu’ont fait ces deux vieux. Il fallait rappeler chaque année que c’était grâce à eux que nous vivions en paix.

Nous avons toujours reçu beaucoup de monde et les artistes répondent présents chaque année, comme les représentants des communautés, les associations qui font partie du Collectif Caledonia + 687. Et on attend forcément une plus grande mobilisation avec la cérémonie, le dévoilement de la statue.

D’ailleurs, cette neuvième édition sera la dernière. Nous estimons aujourd’hui que le vide est comblé avec la statue et la dénomination de la place de la Paix. Chacun pourra maintenant se souvenir de ce qu’ils ont fait en allant simplement sur cette place. »

Propos recueillis par Chloé Maingourd