C’est pour répondre aux questions qui l’obsédaient qu’Hélène* a suivi une médiation restaurative. « J’avais besoin de savoir. » Quelques mois plus tard, elle a trouvé des réponses qui lui ont permis de « se reconstruire et d’avancer ».
« Les choses étaient désormais à leur place. Maintenant que je savais, je pouvais aller de l’avant. Je continue ma vie bien mieux depuis », témoigne Hélène (prénom d’emprunt), revenant sur ce qu’elle a ressenti après sa rencontre avec le tueur d’un de ses proches, l’année dernière. Un « soulagement », pour celle qui ne connaissait pas encore la justice restaurative quelques mois auparavant. Le résultat d’une médiation que le détenu a sollicitée fin 2021.
Au début, Hélène est suspicieuse. « J’ai tout de suite pensé que l’auteur voulait une réduction de peine ou attendait quelque chose de moi, le pardon. » Après un mois de réflexion, elle donne son accord aux médiatrices, Justine Molinier et Morgan Bellec. Sept ans après le drame, cinq ans après le jugement. Depuis, Hélène est rongée par le fait de ne pas avoir de réponses à ses questions. Le procès n’a pas permis de clarifier les circonstances du meurtre. « On n’a pas réellement su ce qu’il s’était passé, le criminel n’a jamais expliqué son geste. » L’interrogation revient sans cesse. « Pourquoi l’avoir tué ? » Hélène a « besoin de savoir », de connaître la vérité. Ce n’est pas le cas de ses frères et sœurs, qui ne comprennent pas sa démarche. « Ils n’ont pas la même façon de voir que moi. Pour eux, ça s’est terminé au moment du jugement. » Sa famille lui reproche de vouloir « rouvrir des blessures ».
« ON S’EST LONGUEMENT REGARDÉ DANS LES YEUX »
Les trois femmes se retrouvent une première fois en avril 2022. Il est beaucoup question du ressenti de la victime. Parfois, l’ambiance se détend. « On a même réussi à rigoler », glisse Justine Molinier. À ce moment-là, il est inimaginable pour Hélène d’aller en prison. Elle ne sait pas encore que c’est ce qu’il va se passer cinq mois plus tard. « Son cheminement est assez exceptionnel », note la médiatrice. D’autant qu’Hélène vit une période de changements. « On est intervenu dans un moment de sa vie où elle était en transition, avec une rupture, un déménagement. » Mais Hélène est « solide ». « Tout se déroulait bien, on sentait que c’était nécessaire », affirme Morgan Bellec, surprise par sa « forte empathie », son envie de comprendre, de trouver du sens. « Pour entamer une médiation, il ne faut pas être en état de vulnérabilité, mais en capacité émotionnelle de la supporter. »
Les médiatrices réalisent des allers-retours entre l’auteur et la victime, rapportant à l’un ce que l’autre autorise à répéter. Jusqu’à ce que soit évoqué un entretien au Camp- Est. « Je voulais entendre ce qu’il avait à me dire, je ne sais pas expliquer pourquoi, mais il le fallait. » Ce rendez-vous nécessite une importante préparation. Tous les scénarios sont envisagés, chaque détail est pensé afin d’éviter les surprises ou les déconvenues au maximum. Hélène se rend même en prison voir la pièce afin de pouvoir la visualiser. « L’inconnu est anxiogène », mentionne Justine Molinier.
La charge émotionnelle étant tellement intense, rien ne doit être laissé au hasard. « Est-ce qu’Hélène veut tutoyer ou être tutoyée ? Est-ce qu’elle veut que l’auteur soit déjà là quand elle arrive, qu’il lui serre la main ? » Ce sera le tutoiement. « On s’est serré la main pendant une ou deux minutes, j’ai l’impression que cela a été interminable. On s’est longuement regardé dans les yeux. Il y avait énormément d’émotion des deux côtés. Je sentais aussi la sienne. »
« DE SUPER ACCOMPAGNATRICES »
Hélène se souvient parfaitement de ce moment, de l’atmosphère qui régnait. L’auteur lui raconte tout en détail. Hélène écoute, obtient enfin, après toutes ces années, des réponses à ses questions. « Il n’a pas vécu des choses bien jolies dans sa vie. Ça n’excuse pas, mais ça explique beaucoup. » Et puis, le meurtrier s’excuse. « Il m’a dit : “C’est vrai, je te demande pardon, mais ça ne fera pas revenir la personne”. Quelque part, il s’est mis à ma place. Ça m’a vraiment touchée. Je ne lui ai pas dit que je l’acceptais, mais que je l’entendais et que je le remerciais. » P
endant deux heures, ils partagent beaucoup, discutent de l’affaire, mais aussi de plein d’autres choses, « de nos vies, de ce qu’on faisait ». En partant, le détenu garde son briquet vert. « L’espoir », y voit Hélène. Quelques minutes plus tard, alors qu’elle sort de la prison, son pas est allégé du poids qu’elle portait encore en y entrant. « C’est comme une libération, ça m’a fait beaucoup de bien. » Pendant ce parcours éprouvant, la présence de Justine et Morgan a été essentielle. « Je savais que je pouvais compter sur elles, elles ont été de super accompagnatrices. » Hélène aimerait que ce dispositif soit davantage connu, pour qu’il procure la même chose à d’autres. « Ça peut apporter beaucoup » à toute personne qui « a envie de se reconstruire et d’avancer, auteur comme victime ».
Anne-Claire Pophillat
Dans notre dossier
Médiateur, le lien entre la victime et l’auteur
Impartiaux, les médiateurs se doivent d’accompagner chaque participant de la même façon. →
« La justice restaurative travaille sur les répercussions émotionnelles »
Meitala Fenuafanote, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation au Camp-Est, est un des cofondateurs de la Fédération pour la justice restaurative (FJR). Malgré des moyens financiers réduits, la structure cherche à étendre son activité et travaille à mettre en place des groupes de rencontre détenus-victimes. →
« Prendre en compte l’ampleur des traumatismes chez les victimes »
Lieu d’expression, source d’apaisement, « outil pédagogique », Yves Dupas, procureur de la République, se dit favorable au développement de la justice restaurative en Nouvelle-Calédonie, même si le procédé, « singulier et complexe à mettre en œuvre », n’a pas vocation à être généralisé. →
L’avocat, un « garde-fou »
Si Laure Chatain reconnaît des bienfaits à la justice restaurative, l’avocate insiste sur l’essentiel selon elle : préserver l’intérêt de la victime. →
Quand la parole reconstruit ce qui a été brisé
Sorti fin mars, le film Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Henry, a mis la lumière sur la justice restaurative, aussi appelée restauratrice ou réparatrice. Elle vise, à travers le dialogue, la reconstruction de la victime, la responsabilisation de l’auteur, l’apaisement, et à limiter la récidive. →