Hanako Yamamoto fête ses 100 ans

Grand rassemblement ce samedi 11 mars à Nouméa. La famille Thelotte de Poindimié va célébrer le centenaire de la doyenne, Hanako « Anna » Yamamoto. Son histoire a débuté en 1923 dans la vallée de la Tchamba où vivaient alors plusieurs immigrés japonais…

Un « bonbon miel » à 21 heures tapantes. Anna Yamamoto « marche à l’heure », selon sa fille Louise. Le lever à 6 heures avec le café, les reportages télé, les mots mêlés deux fois par jour, la brève sieste l’après-midi, les « trois parties à 100 » de dominos, le petit tour au jardin, la soupe à 20 heures, tout est réglé comme du papier à musique.

« Elle n’a aucun problème de santé ! Jamais au docteur ! », nous dit Louise. Simplement prend-elle un cachet pour la tension et s’aide d’un fauteuil roulant. La mémoire est aussi naturellement un peu chancelante. Et puis elle marche au « Vick’ ». Avec cette chance que sa fille soit aux petits soins, lui procurant des massages « matin et soir ».

On marchait dans la Brousse deux jours je crois. On était obligés de dormir en forêt. »

« Mémé Kako » a quitté Poindimié pour Nouméa en 2021. À l’aube de ses 100 ans, elle se « sent bien » là où elle est. Sa grande retenue est sublimée par un sourire qui monte jusqu’aux yeux. Le secret de la longévité de cette métisse japonaise-kanak, aux traits résolument nippons, est inconnu. Mais sa vie menée en Brousse « sans boîtes » et avec « beaucoup de labeur » a peut-être contribué à cette santé de fer.

DANS LES VALLÉES

Anna Yamamoto est née d’un père japonais, Katsutaro Yamamoto, natif de Fukushima, et de Augustine Kowi, mélanésienne de la vallée d’Amoa. Katsutaro était arrivé en 1914 visiblement après avoir pêché le troca aux Nouvelles-Hébrides. Venu travailler à la mine à Thio, il fut ensuite agriculteur à la Tchamba (métayer chez les Dubois, puis à la société des japonais). Anna parle le français et la langue de l’endroit, pas le japonais.

Le cadre est celui des vallées fertiles et luxuriantes des contreforts de la chaîne centrale, des rivières, des cascades et des grands estuaires. On y vit d’agriculture, de chasse et de pêche.

Enfant, elle a suivi son père à Ina. Il y tenait un magasin. Elle faisait de la couture et coupait les cheveux des gens du village à moins de dix ans. Auparavant, elle avait passé un an chez les sœurs à Koné. « On montait à pied avec mon père. On marchait dans la Brousse deux jours je crois. On était obligés de dormir en forêt. »


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DÉPORTÉ

Tout bascule à la guerre alors qu’elle a 18 ans. Son père est interné le 27 décembre 1941 et embarqué le 22 février 1942. « Ils ont ramassé tous les Japonais de Poindimié. La plupart habitaient à la vallée de la Tchamba », explique Louise. « Maman était très malheureuse. »

Plus de 1 000 Japonais sont déportés en Australie. Anna Yamamoto ne reverra jamais son père. « On sait qu’ils sont restés un an dans le désert avant de retourner au Japon. Il y avait une possibilité pour les faire revenir, mais nous n’avions pas l’argent. Ils sont partis avec leur seules valises et ont tout perdu », raconte Camille, l’un des six fils d’Anna.

Selon lui, les Japonais (Goto, Sato, Matsumoto, Yamamoto…) avaient acheté « 700 hectares de terre, 500 à 600 têtes de bétail, 200 à 300 cochons » et occupaient la vallée basse de la Tchamba. « M. Dubois s’est occupé du terrain à la demande de l’État de 1945 à 1965. Puis lors de la première réforme foncière en 1965, le terrain des Japonais a fait l’objet d’une redistribution par tirage au sort entre les communes de Poindimié et Ponérihouen. »

Quand ils étaient dans la rivière, je sautais avec mon sabre d’abattis, je préférais. Allez… couper la tête ! »

CHASSE ET CAFÉ

Au départ de leur père, les trois enfants de Katsutaro (Hanako, Eugénie et un demi-frère, Jean) sont pris en charge par trois familles kanak, Kowi, Goro Poa Tchabo à la tribu d’Ina et Aouta. Mais la belle-mère d’Anna, Marie Madeleine, s’installe avec Mr Dubois : la jeune fille suit. Elle aime s’occuper du bétail. Elle part seule de bonne heure à la chasse au cerf avec les chiens, dans la montagne. « Quand ils étaient dans la rivière, je sautais avec mon sabre d’abattis, je préférais. Allez… couper la tête ! »

C’est sur cette propriété qu’elle rencontre, vers 19 ou 20 ans, Auguste Thelotte, Mélanésien de Ponérihouen. Le couple fait sa vie non loin de là, au lieu-dit Goré. « Il n’y avait personne autour. Seul le colporteur, Blanché puis Douyère, venait de Ponérihouen pour le beurre, le lait, etc. »

Anna et Auguste ont eu 13 enfants, dont dix ont survécu. Les petits allaient à l’internat à Poindimié. La famille a vécu de la terre et surtout du café envoyé sur Nouméa par caboteurs. Plus tard, Auguste ira travailler à la scierie Letocart, et Anna au centre du nickel notamment. Peu à peu, les enfants descendent à Poindimié, Bourail et Nouméa. Le couple s’installe finalement au village.

Le père décède à 80 ans, en 2000. L’une des filles, Marie-Rose, s’occupe d’Anna jusqu’en 2021. Celle-ci ressent une certaine nostalgie pour ce passé en Brousse qu’elle trouvait « plus simple ». Ce qui lui déplaît dans le monde actuel ? « Les gens parlent trop ! »

À la Tchamba, la petite bicoque, bien que vide, est toujours là. Un des fils, Lucien, y passe une fois par semaine pour débrousser. « C’est tout propre. » Et assurément plein de souvenirs

Chloé Maingourd

L’association des descendants d’Okinawa relancée samedi

Heureux hasard. L’association, portée depuis 2010 par Jean-Pierre Zenkoro, va être relancée samedi à la Maison d’Okinawa, à la Tchamba (Nevaho). Elle était en sommeil depuis 2018. L’occasion de mettre la centenaire à l’honneur selon Marie-José Michel, ancienne consule honoraire du Japon. Elle explique que « si Hanako n’était pas d’origine okinawaïenne, elle a toujours vécu entourée des descendants d’Okinawa, surtout établis sur la côte Est ».

Vivant dans une grande misère sur leur île natale, ils étaient nombreux à s’être portés volontaires pour la mine. « Beaucoup ont préféré ensuite partir vers le Nord pour le troca, le bois, le taro et le coprah, et puis le café. On leur remettait une dizaine d’hectares qu’ils devaient mettre en valeur », explique Yvan Obry, petit-fils de Aragusiku Kikichi (Tikiti). « Et un grand nombre sont allés à la Tchamba parce qu’on y trouve exactement le même type de climat et de paysage qu’à Okinawa. »

Selon lui, tout se passait bien entre les différentes communautés, comme l’illustrent les nombreux métissages. Mais la déportation fut un véritable traumatisme pour les descendants métisses, laissés sur place. L’État a repris les terrains et tous les biens.

Les enfants étaient assimilés à des traitres. Après la guerre, les Américains ont demandé à la France si elle voulait rapatrier les déportés en Nouvelle-Calédonie. Ils ont essuyé un refus. Certaines familles, comme les Uichi, ont réussi à se cotiser pour faire revenir le grand-père, mais la plupart n’en avaient pas les moyens.

Selon Yvan Obry, le travail de mémoire, les expositions, les voyages au Japon ont aidé à « lever les tabous » pour les générations suivantes (environ 10 000 descendants) à Poindimié, Houaïlou, Poro, Touho et jusqu’à Belep, ou encore à La Foa. « Nos parents ne savaient et ne disaient rien. C’est important de savoir d’où l’on vient. »