La SLN est prise dans un étau entre un cours du nickel déprimé, une teneur en métal fondu basse et un prix de l‘électricité élevé. Cette configuration plombe la trésorerie du métallurgiste. Le soutien de ses actionnaires est le seul moyen de faire face à ce contexte. Le point avec Guillaume Kurek, directeur général de la SLN.
DNC : Comment qualifieriez-vous l’état de santé de la SLN aujourd’hui ? Guillaume Kurek : Nous opérons toujours sur un marché incertain, tiré par les intérêts chinois, surtout en Indonésie. Les cours du ferronickel et du minerai à l’export sont très bas.
Dans ce contexte, nous n’atteignons pas l’équilibre financier puisque nous sommes contraints dans nos opérations depuis mai 2024 et que seuls nos sites de la côte Ouest sont ouverts et tournent à un rythme normal. C’est à partir de ces sites que nous approvisionnons l’usine de Doniambo. Nous n’avons donc pas le bon mélange en termes de qualité de minerai. Les assemblages réalisés diluent la teneur en nickel : autour de 2 %, au lieu de 2,3 à 2,4 % d’ordinaire. Et à 2 %, compte-tenu du prix de l’énergie, la fusion métallurgique n’est pas économique.
Néanmoins, il faut rappeler qu’en 2023, dans une situation normale de fonctionnement, nous avions atteint des niveaux record en matière de sécurité, d’activité sur mines et de production de ferronickel. L’usine fonctionne parfaitement.
L’objectif est bien d’accéder aux mines de la côte Est, de concevoir un meilleur mélange de minerai, et ainsi d’améliorer quasi immédiatement la situation de la SLN, des communes minières et de la Nouvelle-Calédonie grâce aux retombées économiques.
Quel est le niveau de trésorerie ?
Outre l’impact des cours très bas, le niveau de production reste limité : 3 000 tonnes de métal par mois. Ce qui ne nous permet pas de couvrir toutes nos dépenses de frais fixes. Nous perdons plus d’un milliard de francs par mois. Notre trésorerie souffre. Nos actionnaires, le groupe Eramet et l’État, nous soutiennent pour l’instant et nous permettent de continuer à nous projeter sur les prochains mois.
Eramet ne soutient plus sur le plan financier…
Le groupe nous soutient sans arrivée d’argent frais, avec des facilités de trésorerie, des prises en charge de bateaux de fuel que nous remboursons en période plus favorable… L’État nous soutient plus directement.
Nous perdons plus d’un milliard de francs par mois
Quand arrivera justement la nouvelle aide de l’État ?
Nous allons être en limite de trésorerie fin avril – début mai. Nous avons d’ores et déjà repris les discussions avec Eramet et l’État pour structurer une aide et ainsi sécuriser une poursuite d’activité jusqu’à la fin de l’année.
Nous parlons bien d’un prêt ?
On parle d’obligations émises par la SLN et souscrites par l’État. C’est en fait un emprunt obligataire.
L’État finance désormais intégralement la SLN. Quelles sont ses exigences ?
Elles sont assez classiques. Un rapport de l’Inspection générale des finances indiquait en 2023 que la SLN dispose d’une véritable maîtrise du processus. L’État souhaite que nous continuions à délivrer notre performance en termes de production minière et de ferronickel, que nous jouions notre rôle pour la relance de l’économie, notamment dans les communes minières. Il n’y a pas d’autres exigences, mis à part l’utilisation la plus efficiente possible de ces financements.
Eramet rapporte désormais ses activités hors SLN. Quel est l’impact de cette décision ?
Il n’y a pas d’impact pour la SLN. Nous continuons à bénéficier d’un soutien quotidien d’Eramet au niveau technique, commercial mais aussi des ressources humaines, des achats… La relation est maintenue.
Des mesures sociales sont-elles prévues ?
Je note tout d’abord la responsabilité et la mobilisation des équipes. Des mesures sont prises en effet. La première d’entre elles, très difficile, a concerné la rupture des contrats à Thio face au constat d’une destruction quasi intégrale de notre outil de production : 184 personnes ont pu entrer dans un dispositif de chômage exactions et 26 salariés ont été reclassés à Doniambo. Il y a également des mesures sociales à Kouaoua dont l’accès au domaine minier est relativement contraint. Le convoyeur Serpentine ne sera pas réparé dans sa configuration actuelle, en raison du montant très élevé de la dépense.
À Kouaoua, Tiebaghi, Népoui, Doniambo… il y a des réorganisations, dont de nouveaux régimes horaires. Nous avons présenté il y a deux semaines au comité central d’entre- prise un plan de départs volontaires pour accompagner les salariés qui souhaiteraient se former, partir à la retraite ou créer une activité : 80 personnes pourraient en bénéficier. Nous avons réduit les embauches de façon assez importante. La SLN compte aujourd’hui 1 900 salariés, elle en comptait plus de 2 200 il y a un an.
Un plan social est-il envisagé ?
Non. Au travers de la masse salariale, la fiscalité, les prestations et achats locaux, la société injecte 63 milliards de francs dans l’économie calédonienne par an, et ce quel que soit le prix de vente du nickel. Il faut donc être compétitif, le plus rapidement possible. Deux points doivent être réglés : l’accès au domaine minier pour avoir la meilleure teneur fondue possible et une énergie moins coûteuse. Sur ce point, des décisions attendues de la part de l’État ont été portées dans le cadre du plan PS2R afin de mettre en place un outil de production d’énergie à Nouméa, compétitif et décarboné.
La location de la centrale accostée temporaire, ou CAT, sera-t-elle prolongée ?
Notre contrat de location peut se poursuivre au-delà de 2025. L‘autorisation temporaire est prolongée jusqu’en novembre 2025. Nous avons lancé l’instruction d’une demande d’autorisation plus permanente pour la centrale accostée et une enquête publique sera menée à partir de juin. Cette prolongation d’autorisation est nécessaire le temps qu’à Nouméa une centrale électrique calédonienne de 160 à 200 mégawatts, pivot du futur système électrique, puisse prendre le relais de la CAT et permettre de poursuivre le schéma pour la transition énergétique.
Où en êtes-vous du programme de décarbonation ?
Nous avons une intensité carbone de l’ordre de 33 tonnes de CO2 par tonne de nickel produite, à comparer à 37 tonnes en 2019. Ce qui nous positionne très correctement par rapport à nos compétiteurs, notamment chinois en Indonésie qui eux affichent 90 tonnes de CO2. Aujourd’hui, aucun client ne paie un franc de plus pour cela. Néanmoins, nous avons de plus en plus d’acheteurs qui s’intéressent à ce sujet. Cet argument de la décarbonation va être davantage observé, de l’amont jusqu’au client final, en particulier sur le marché des batteries pour véhicules électriques.
Quel pourcentage de la production de minerai est affecté par les difficultés d’accès à la ressource ?
Grâce à une mobilisation importante de nos équipes et des sous-traitants, nos sites de la côte Ouest ont pu reprendre leur activité quelques semaines après la période difficile de mai 2024. Nos sites de la côte Est sont eux lourdement pénalisés.
Aujourd’hui, nous tournons à 60 % de notre capacité de production à l’usine. Il nous manque 40 % de charge. Mais davantage encore, c’est la qualité chimique qui est touchée.
La réouverture du centre de Thio est-elle envisageable à moyen terme ?
Nous souhaitons redémarrer le site de Thio, nous y mettons beaucoup d’énergie. Ce sera long, il y a eu beaucoup de drames, de dégâts. Il va falloir que tout le monde s’engage vers une reprise d’activité, reconstruise du lien. Une grande partie de la population de Thio est salariée de la SLN ou employée sous-traitante. Du fait de notre histoire et de notre activité, nous sommes intimement liés à Thio. Nous n’envisageons pas de reprise avant la fin de l’année 2025 dans le meilleur des cas. Nous sommes déterminés à permettre la reprise d’activité et accompagner la commune dans ses choix de développement.
Et à Poum?
Notre processus d’autorisation est toujours en cours, jusqu’à octobre 2025. Après l’obtention de l’autorisation, nous pourrons reprendre l’activité au dernier trimestre 2025. Tout dépendra ensuite des conditions de mise en place de la sous-traitance, d’acceptation sociétale… Le minerai de Poum est très particulier, au niveau de la teneur en fer, de la basicité, de l’humidité… Il faudra pouvoir démontrer que nous avons des clients, ce qui n’est pas si évident dans le contexte de marché actuel.
Quels sont les objectifs de production et comptables pour l’exercice 2025 ?
Après 2024 avec 33 000 tonnes de nickel – la pire année depuis 40 ans -, nous prévoyons de produire 41 600 tonnes cette année. Avec un deuxième semestre sur un rythme à 47 000 tonnes. Nous aurons donc un exercice très contrasté, avec un début d’année à environ 3 000 tonnes par mois puis un deuxième semestre à près de 4 000 tonnes mensuelles par l’apport des différents minerais de la côte Est.
En parallèle, vue notre priorité à l’alimentation de Doniambo, nous ne tablons que sur 1,2 million de tonnes de minerai à l’export en 2025. Ce qui représente un tiers du rythme que nous avions jusqu’à présent.
Pour faire face à ces niveaux modérés de production, toutes les équipes mènent des plans d’économie et de compétitivité avec les sous-traitants. Ces actions se passent bien et permettent de diminuer nos frais fixes. Nos trajectoires de trésorerie sont toujours négatives, mais meilleures que celles des exercices passés. Il y a une vigilance accrue de l’ensemble de l’entreprise pour veiller au cash.
Nous sommes en train de réactualiser le chiffrage et le calendrier pour relancer l’atelier Bessemer en vue d’alimenter le marché des batteries.
Que voyez-vous à travers le « plan de transformation de la filière nickel » voulu par le ministre Manuel Valls ?
Notre filière nickel qui représente 90 % des exportations de la Nouvelle-Calédonie, 20 % du produit intérieur brut et autant de l’emploi privé, doit être robuste. Et ce, afin d’avoir une économie forte et ainsi faciliter une diversification économique. Beaucoup de mines sont encore à l’arrêt. Il est important d’entendre les critiques formulées contre la profession et notamment le manque de retombées locales.
C’est un des axes sur lequel le gouvernement et le Congrès travaillent de manière concertée pour permettre des réformes dont certaines devraient orienter une part de la fiscalité minière, comme la redevance à l’extraction, vers les communes minières.
De même, nous avons vu en mai-juin-juillet 2024, qu’il y a une méconnaissance assez importante du fonctionnement de l’économie de la filière nickel. Il doit y avoir plus de concertation avec les coutumiers, les sous-traitants, les mairies… La transparence permettra de remettre du lien avec la population et réinstaurer une confiance. Si, après ce travail mené entre nous, localement, nous arrivons à démontrer une dynamique positive de reprise d’activité et que la démarche est viable techniquement, alors le ministre d’État a annoncé être prêt à soutenir la filière. Nous verrons comment cela se traduit, y compris en matière de solutions sur le prix de l’électricité.
Est-ce un nouveau « pacte nickel » à problèmes ?
Je ne pense pas qu’un nouveau pacte soit attendu. Nous sentons la volonté d’une méthode différente, avec beaucoup plus de transparence.
Croyez-vous pouvoir répondre aux « besoins stratégiques des industries européennes » ?
Aujourd’hui, il n’y a pas d’envoi de nickel calédonien en quantité, directement ou indirectement, vers les industries européennes. Néanmoins, cette voie peut constituer un relais de croissance. L’utilisation du nickel dans les batteries pour les véhicules électriques continue de croître mais beaucoup moins vite que prévu. Toutefois, il y a de la croissance et le marché européen devra sécuriser ses circuits d’approvisionnement.
Ce qui amènerait à corriger la production métallurgique de Doniambo ?
Le nickel, utilisé pour la fabrication de l’inox, des superalliages et autres applications hors batterie, représente 83 % de la demande mondiale et ce secteur est en progression, de 3 à 4 % par an. C’est le plus gros relais de croissance en tonnage et le ferronickel sert ces marchés. Nous sommes bien positionnés. Tout notre ferronickel est vendu et apprécié de nos clients.
Nous serons toutefois prêts à nous adapter. Arrêté en 2016, l’atelier Bessemer permet- tait la fabrication de matte. Nous sommes en train de réactualiser le chiffrage et le calendrier pour relancer cet atelier en vue d’alimenter le marché des batteries. C’est accessible en termes d’investissement. Cet atelier nous permettra, le moment venu, de pouvoir diversifier notre production et répondre à la demande.
Propos recueillis par Yann Mainguet