Guerre des nerfs autour de Vale

La situation autour du projet de rachat de l’usine du Sud est de plus en plus préoccupante. Les blocages ont pénalisé cette semaine les déplacements et l’activité économique déjà fragilisée. Les antagonismes mettent désormais en péril les discussions sur l’avenir institutionnel du pays. Ce qui était à prévoir…

Depuis l’annonce du rachat de l’usine du Sud, par le consortium regroupant Trafigura et la compagnie financière de Prony, les actions et blocages du collectif Usine du Sud = usine pays et l’Ican (Instance coutumière autochtone de négociation) en faveur du projet Sofinor et Korea Zinc sont montés en puissance.

Lundi, les barrages sur les routes du Grand Nouméa ont forcé les Calédoniens à passer plusieurs heures en voiture ou à rebrousser chemin. Le blocage des accès au port autonome, entamé jeudi de la semaine précédente, s’est également poursuivi. Mardi, la mobilisation s’est installée devant le gouvernement et la province Sud. Mercredi, des marches ont eu lieu dans les trois provinces et notamment devant les grilles du haut-commissariat où une délégation a été reçue. Le mouvement n’est pas violent, mais les blocages ont, sans surprise, fait réagir les autorités.

Force à la loi

Alors que les manifestants demandent à être entendus par l’État et à comprendre son positionnement en faveur du projet Trafigura, un courrier signé Philippe Gustin, le directeur de cabinet du ministre des Outre- mer, Sébastien Lecornu, a été adressé lundi à John Tindao, le président du Conseil coutumier Djubéa-Kapone, et à Raphaël Mapou, le secrétaire général du comité Rhéébù Nùù. Celui-ci a d’abord souligné que dans le contexte politique calédonien actuel, « force doit rester à la loi. […] Les atteintes aux biens et aux personnes constatées ces derniers jours ne conduiront à aucune solution positive pour la Nouvelle-Calédonie ». L’État est d’ailleurs intervenu sur le terrain, comme le demandaient les collectivités, délogeant les manifestants des ronds-points, de l’entrée des institutions. Et il a été sollicité pour expulser les occupants du domaine public portuaire.

Sur le fond de l’affaire, l’État est, en revanche, resté laconique en précisant que « l’offre portée par le consortium Prony Ressources est la seule offre viable dont l’État ait eu connaissance ».

Un risque économique

Ce combat fait peser un risque économique à la Nouvelle-Calédonie dans un contexte de crise. C’est ce qu’a dénoncé l’interpatronale devant la presse. Et ces actions ne sont pas non plus soutenues par des employés de l’usine du Sud. Le comité d’entreprise de Vale Nouvelle-Calédonie a ainsi regretté « les pressions effectuées ces derniers jours sur nos salariés et les dégradations sur notre outil de travail ». Alors que l’usine n’est plus alimentée en minerai, que trois autoclaves ont été arrêtés, ils alertent contre le danger de voir l’arrêt complet des unités, avec un impact social et économique évident. « Les salariés sont aujourd’hui à bout de souffle, après les épreuves et les sacrifices qu’ils ont subis depuis l’annonce du départ de Vale. » Ces pratiques qui concernent une entreprise privée, n’augurent quoi qu’il en soit rien de très bon pour l’avenir économique.

Un risque politique

La situation est également tendue sur le plan purement politique avec, encore une fois, des visions diamétralement opposées et un dialogue de sourds. Si l’ensemble des composantes indépendantistes soutient le collectif Usine du Sud = usine pays, Les Loyalistes s’interrogent sur le « soutien apporté par le FLNKS à ces actions illégales, alors même que les fils du dialogue ont été renoués » lors du séjour du ministre des Outre-mer. « Comment réagiraient les responsables indépendantistes si les loyalistes participaient à des actions visant à bloquer l’accès à l’usine du Nord et exigeaient que Promosud prenne 51 % de l’usine du Nord ? ».

Mercredi, la pression est montée d’un cran. Dans une lettre ouverte aux Calédoniens, l’Union calédonienne par la voix de son président, Daniel Goa, a informé qu’il ne rejoindrait pas les discussions sur l’avenir institutionnel « tant que l’État ne se sera pas engagé sur la voie d’une décolonisation qui ne se paye pas que de mots, mais d’actes concrets ». Daniel Goa a ainsi regretté que son message au ministre, Sébastien Lecornu, sur l’importance d’une « juste solution du problème posé par la vente de l’usine du Sud », n’ait pas été entendu lors de sa visite. « Nous ne devons pas nous laisser dépouiller de notre patrimoine, nous devons nous battre pour imposer une solution économiquement viable et politiquement acceptable par la majorité des habitants de ce pays kanak et non kanak, une solution qui réponde vraiment à l’intérêt général de notre pays en construction », a redit Daniel Goa, qui appelle toutes les personnes « conscientes de la nécessité d’un développement harmonieux du pays à rejoindre le combat pour faire de l’usine du Sud une véritable usine pays ».

La réponse de Sonia Backes ne s’est pas fait attendre. La présidente de la province Sud demande à ce que « l’hypocrisie cesse ! ». Elle insiste sur le fait que le projet soutenu est un projet calédonien avec 50 % du capital calédonien. « Sauf que la réalité, c’est que cet actionnariat est porté par les structures économiques de la province Sud et par ses salariés ! C’est cela que contestent l’Ican et certains membres du FLNKS […] Selon eux, seuls sont calédoniennes les structures portées par les indépendantistes, dont la Sofinor ! On voit bien là leur vision du destin commun. » Sonia Backes prévient : « Nous sommes, nous aussi, capables de nous mobiliser […] et nous le ferons si ce chantage perdure ». De quoi ajouter à l’ambiance après l’appel viscéral à la mobilisation de son premier vice-président pour défendre la liberté de circuler…

Conscient de la brèche qui est en train de se reformer et des risques qui sont associés, Calédonie ensemble a, de son côté, proposé au président de Vale Monde de mener une action de médiation entre les différentes parties prenantes. Le parti de Philippe Gomès a informé l’État de son initiative.

Ceux qui avaient applaudi la reprise du dialogue lors de la petite retraite de Leprédour ne connaissent visiblement pas bien ce territoire. Comme après tous les Comité des signataires, une fois chacun retourné à sa base, les habitudes reprennent…

Si les élus de la province Sud ont pu penser que le projet de reprise associant Trafigura pourrait passer, c’était sans compter sur la détermination du collectif « Usine du sud = usine pays » qui, coûte que coûte, ira jusqu’au bout de sa démarche. Et s’il s’agissait, au départ, d’un dossier économique, force est de constater qu’il est désormais éminemment politique et qu’un déblocage semble contraint à des discussions de fond entre responsables des deux sensibilités. Autrement dit, la question du préalable minier revient sur la table tout comme en 1996. Mais sur l’avenir institutionnel, les Loyalistes ont d’ores et déjà prévenu qu’ils n’accepteraient jamais ces méthodes, qu’un « dialogue constructif, stable et respectueux, ne peut aboutir sous la menace, ni sous la pression d’un préalable minier ou de toute autre nature ». Si les discussions devaient échouer, ils préviennent qu’ils iront une nouvelle fois vers un référendum binaire et pensent que « les Calédoniens confirmeront une nouvelle fois leur attachement à la République Française ».

En attendant, un arrêt complet des unités de production, tant redouté par les salariés, est à prévoir dans un avenir très proche…

C.M.