Alors qu’en raison de la crise post-émeutes, de plus en plus de Calédoniens rencontrent des difficultés à se nourrir chaque jour, la question du pouvoir d’achat et des prix occupe une place accrue dans les foyers. Gilles Vernier, président de l’association UFC-Que Choisir, donne son avis.
DNC : Avez-vous l’impression que les positions de l’UFC-Que Choisir sont suffisamment prises en considération par le monde politique et économique ?
Gilles Vernier : Il faut rappeler que l’UFC-Que Choisir est une association apolitique, ce qui nous permet de dire aussi bien quand ça va que quand ça ne va pas, quel que soit l’interlocuteur. Lorsque nous prenons position, nous essayons d’amener des solutions ou des réflexions constructives. À partir de là, les autorités écoutent nos propositions même si elles n’ont souvent pas les mêmes visions de la Nouvelle-Calédonie que nous. Ils ont des exigences et des obligations que nous n’avons pas. Parfois notre avis est pris en compte. Nous avons eu la bonne surprise lors de la visite du président Macron en juillet 2023, de le voir citer deux de nos suggestions dans son discours, celles d’installer des minicentrales nucléaires sur le territoire et d’élire le président du gouvernement au suffrage universel.
Comment se porte le pouvoir d’achat des Calédoniens ces derniers mois ?
Avant les événements de mai, nous étions le 3e PIB (produit intérieur brut) du Pacifique. Ce qui veut tout et rien dire. Ça veut dire qu’on est un pays riche, avec des gens qui ont des salaires très confortables, mais il y a aussi de la pauvreté, comme c’est le cas dans tous les pays industriels. Si on veut parler de pouvoir d’achat, pour moi, il faut distinguer le Nord du Sud. Car dans le Nord, ils ont une autre façon de vivre. Il y a trois semaines j’y étais, et le kilo de carottes était à 121 francs. Ici, il est à 200 francs. Lorsque vous allez dans le centre commercial de Téari [à Koné, NDLR], les prix sont moins importants que dans n’importe quelle grande surface ici (à Nouméa). Il est donc essentiel de ne pas faire une généralité. Après, l’attitude des professionnels joue aussi. [En août, NDLR] l’Autorité de la concurrence a attaqué une entente entre importateurs, ce qui veut dire que des prix augmentent alors qu’ils ne le devraient pas. Au mois de mai, la SCIE Distribution (représentant du groupe Casino France, détentrice de Géant, Casino et Leader Price) a passé un accord avec le gouvernement pour ne pas augmenter les prix durant le mois de mai. Sauf qu’en juin, ça a augmenté très sensiblement.
Le plan de reconstruction (S2R) du gouvernement prend-il suffisamment en compte les consommateurs ?
Le plan est tellement vaste. Ça ne touche pas uniquement les consommateurs, il nous est dès lors difficile de juger. Des personnes sont tout à fait d’accord avec ce plan et d’autres ne le sont pas du tout, car disent qu’il va être inflationniste. Après, faire un plan, c’est bien, mais il faut le mettre en application, en mesurer les effets et les comparer aux résultats attendus. Et pour le mettre en application, il faut de l’argent. Et on n’en a pas. Toutes les réformes à venir, c’est la Métropole qui va les imposer. C’est donnant-donnant.
Comment contrôler l’inflation post-émeutes ?
L’alimentaire a énormément augmenté, d’après les chiffres de l’Isee. C’était à prévoir. J’espère qu’il va y avoir une baisse le mois prochain, avec la surproduction locale de beaucoup de fruits. Mais l’électricité va augmenter, tout comme la viande à cause de la sécheresse…
Voyez-vous l’écart se creuser entre les prix de Brousse et ceux du Grand Nouméa ?
Sur l’électroménager, il y a un effort des distributeurs pour établir les mêmes prix qu’à Nouméa. En revanche, sur l’alimentaire, je pense que l’écart se creuse. Après, il y a des variations en fonction des moments. Lorsqu’on est en période de surproduction, c’est bien moins cher dans le Nord. Quand vous êtes producteurs là-bas, venir vendre dans le Grand Nouméa, c’est quatre heures de route, ça coûte cher. Il faut qu’ils récupèrent ce coût. C’est pour cela que le marché de Ducos, en temps normal, n’est pas moins cher que dans les grandes surfaces. En ce moment oui, car un effort financier est voulu pour que les producteurs viennent et écoulent leur stock. Il y a une surproduction énorme. D’ailleurs, je pense qu’il y a des productions ici qu’il faut arrêter, parce qu’on n’est pas bons et qu’on n’a pas assez de production. Il serait plus judicieux et efficace de donner la liberté à des importateurs de passer des gros marchés pluriannuels, cela permettrait d’avoir des meilleurs prix et une meilleure régularité d’approvisionnement. La suppression des quotas et la liberté d’importer se traduirait automatiquement par une baisse des prix de l’alimentaire.
La question est : à partir de quand on arrête
de mettre en place des surfaces de vente (…),
à partir de quand on dira stop
aux grandes surfaces ?
Quelles productions arrêter ?
Lorsque vous achetez des tomates à 800 francs le kilo qui sont pleines d’eau, vous vous posez la question s’il ne vaut mieux pas les importer de Nouvelle-Zélande. Il y a des productions que l’on sait faire, et d’autres non.
L’UFC-Que Choisir a partagé l’avis de l’Autorité de la concurrence sur la nécessité de réviser le système protectionniste calédonien…
Oui, bien sûr. Car les quotas d’importation n’incitent pas à aller de l’avant, à produire mieux, de meilleure qualité, à chercher des solutions pour optimiser sa production lors- qu’on sait que de toute façon, on va vendre ses produits. Les quotas d’importation n’ont plus de raison d’être et sont dévoyés de leur utilité première. Il faudrait que tout le monde se réunisse et qu’on trouve une nouvelle organisation.
Il vaudrait peut-être mieux donner des subventions à des agriculteurs, et leur permettre d’augmenter leur production et leur qualité afin d’être concurrentiels avec ce qu’on importe. Autre point, et nous le disons depuis très longtemps, il y a un certain nombre d’accords à passer. Il faut travailler avec les pays d’Océanie, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande… qui ne représentent que 20 % du commerce, et nos voisins de la région (Vanuatu, Fidji, …) qui représentent 1 % des échanges. Tout le reste vient d’Europe et un peu de Chine. Certes, les frais de douane sont très limités avec l’Europe, mais rien que le prix du transport représente 40 % d’augmentation. Alors que l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont à quatre à cinq jours de bateau. Il faudrait donc conclure un accord de modération avec les douanes sur les taxes d’importation.
Des grandes surfaces ont brûlé, une nouvelle vient d’ouvrir à Païta. Peut-il y avoir un effet sur les prix ?
Il n’y a pas vraiment de concurrence ici, mais ce n’est pas le problème. La question est : à partir de quand on arrête de mettre en place des surfaces de vente ? Là, ça a brûlé, donc la question ne se pose plus. Mais une fois reconstruit, il faudra se poser la question de : à partir de quand on dira stop aux grandes surfaces. Si nous étions un million de personnes pourquoi pas, mais ce n’est pas le cas.
Une violente colère se fait entendre aux Antilles. Pour éviter de nouvelles manifestations en Calédonie, faut-il penser autrement la grande distribution ?
L’écart de prix dans ces pays me surprend. Après, je ne connais pas les salaires là-bas, mais ils ont le « salaire minimum (SMIC) » et ont les mêmes règles et avantages sociaux que la Métropole, donc je ne comprends pas. Ici, on peut l’admettre. Car l’indexation est aussi un facteur d’inflation, c’est pour cela que bien des politiques ont voulu la baisser. Pour moi, et je le dis depuis longtemps, les fonctionnaires doivent venir ici en ayant une mission, avec un cahier des charges et un contrôle de ce qu’ils font.
Vous avez condamné la hausse du prix de ticket de bus Tanéo à 500 francs. Est-il réellement le plus cher au monde ?
Oui, nous le condamnons fermement. Dernièrement, j’ai eu une dame qui est venue nous voir avec son mari. De Tindu jusqu’à ici, ils ont dû prendre deux cars. Aller-retour, ça fait 4 000 francs. Il faut arrêter. De toute façon, le transport devrait être pris en charge par la Nouvelle-Calédonie. Pour le Néobus, ça a été 21 milliards d’investissement. Puis on a décidé de faire une deuxième ligne sans savoir si la première va être rentable. Ici, on marche comme si on était aux États-Unis, il faut revenir à plus de simplicité.
L’UFC-Que Choisir a été l’un des premiers organismes à s’élever contre la « prime de puissance » sur le photovoltaïque. Pourquoi ?
Premier point, l’inégalité du citoyen devant la loi. Les mesures qui ont été prises excluaient le secteur métallurgique et minier qui consomme 76 % de l’électricité produite en Nouvelle Calédonie. Sur le 24 % restant les particuliers ne représente que le tiers, le reste est constitué par des entreprises qui, compte tenu de la hausse (34 % répartis sur 2 ans) ne pourront faire autrement que de la répercuter sur leurs prix. Dès lors ce sont les 9 % de consommateurs particuliers sur lesquels on fait porter tout l’effort (entre 6 et 7 MMF de déficit) soit directement sur leur facture soit par la hausse des prix à la consommation. Il y avait peut-être la possibilité de ne pas augmenter l’électricité, en remettant en route par exemple certaines taxes sur l’essence qui ont été abandonnées. 370 000 tonnes de carburant ont été importées l’année dernière, sachant que le litre pèse 1,350 kilo. On peut augmenter de 15 francs le litre en trois paliers de 5 francs sur 2 ans et on éponge le tarif d’Enercal.
C’est comme la TGC, on aurait pu depuis longtemps mettre un point de plus. C’est un impôt qui est payé par tout le monde et qui varie en fonction de la consommation. Ça aurait été totalement indolore. Là, on a pris une catégorie de gens en leur disant : vous êtes des nantis, vous surconsommez, on va vous faire payer… Alors que 80 % des gens qui ont installé des panneaux photovoltaïques ont un crédit. Après, on nous dit que cela coûte une fortune à Enercal, car on produit plus d’énergie que ce qu’on consomme, donc il faut la racheter. Mais tous les dossiers de demande d’installation de panneaux photovoltaïques ont fait l’objet d’une instruction, d’un avis favorable du distributeur et d’une autorisation administrative en bonne et due forme. Et comble de tout on continue à autoriser de nouvelles installations et en plus on crée des fermes photovoltaïques qui aggravent la situation de surproduction. Où est la logique ? Pourquoi pénaliser les seuls particuliers alors qu’on a mené une politique d’installation sans en mesurer les conséquences sur le réseau et sans prévoir les unités de stockage qui permettent d’éviter les pertes ?
Du coup, comment équilibrer le système électrique ?
Il faut trouver entre 6 et 7 milliards de francs pour assurer l’équilibre. Il faudra sans doute augmenter le prix de l’électricité, comme partout dans le monde. Mais, pendant neuf ans, on ne l’a pas fait ici. Pour des raisons politiques, électorales… Parce que la France envoyait des montagnes d’argent, sous différentes formes. Le gouvernement actuel n’est pas fautif, c’est celui d’avant, pour leur très mauvaise gestion. À Lifou, il y a encore des endroits où il n’y a pas d’électricité. Il y a une responsabilité de la Nouvelle-Calédonie de ne pas avoir fait son travail, via Enercal. Résultat, le gouvernement actuel se trouve dans une situation catastrophique.
Les assurances tardent-elles trop à verser les avances et les indemnités ?
Il y a une idée générale qui est de se dire : « Les émeutes, ce n’est pas à nous de les assurer ». C’est par exemple la position de Generali, qui a attaqué l’État. Car la sécurité du citoyen, c’est de la responsabilité de l’État. Et c’est quoi une émeute ? C’est la sécurité du citoyen. Donc les assureurs sont partis du principe que s’ils remboursent les citoyens, ils se retourneront par la suite contre l’État pour être payés. Sauf qu’ils ont des obligations contractuelles, et les sommes qu’ils versent en avance sont ridicules. Ils traînent les pieds.
Quelles vont être les conséquences de la suppression de la clause émeutes des contrats d’assurance ?
Ce sera l’État au final qui paiera. Il faut savoir que les assureurs, dans pratiquement 90 % de ce qu’ils assurent, sont réassurés derrière. Sauf que les réassureurs ne veulent plus réassurer les émeutes. Après, on ne sait pas ce qu’il va se passer demain. C’est compliqué de faire des prévisions. Je pense qu’il faut cinq ans. Dans cinq ans, on sera peut-être revenus dans une marche en avant normale.
Propos recueillis par Nikita Hoffmann et Yann Mainguet