Conseiller municipal depuis 30 ans, maire de Dumbéa durant 15 ans, élu sénateur en septembre 2023, Georges Naturel alterne entre le terrain calédonien et l’hémicycle du Sénat. En 2025, d’importants dossiers l’attendent, tant à Nouméa qu’à Paris.
DNC : Vous avez été élu sénateur il y a un an et demi, quel bilan tirez-vous ?
Georges Naturel : Il a fallu que je m’installe dans cette belle assemblée. Je suis dans le groupe Les Républicains et la délégation outre-mer. Je me suis inscrit dans des commissions, des groupes d’amitié France- Vanuatu, France-Australie, France-Nouvelle- Zélande. Puis, j’ai pu intégrer la commission des lois pour suivre le dossier calédonien. Mon objectif principal est de faire toucher du doigt à mes collègues la problématique calédonienne. Au Sénat, vous avez quelques personnalités qui suivent les dossiers, ce n’est pas totalement le cas à l’Assemblée nationale et encore moins dans les cabinets ministériels.
Ça a été une année particulière. Il y a eu la réforme constitutionnelle, dans laquelle je me suis impliqué. Malheureusement, les événements du mois de mai sont arrivés.
Vous avez soutenu le projet de loi sur la modification du corps électoral, est-ce que vous le regrettez ?
Je pense qu’on a pris le problème par le mauvais bout. La méthodologie adoptée par Sébastien Lecornu d’abord, puis par Gérald Darmanin. Le passage en force, en Nouvelle- Calédonie, ce n’est pas la bonne méthode. Il faut réformer le corps électoral, mais je pense qu’avant de parler de corps électoral, il y a un sujet essentiel : le projet de société que l’on veut pour les Calédoniens. Et donc la citoyenneté, dont découle normalement le corps électoral spécial.
Comment voyez-vous l’année à venir ?
Je vais commencer par la fin 2024 et un regret. On avait dans le gouvernement de Michel Barnier, pour la première fois depuis un moment, un vrai ministre des Outre-mer et six anciens sénateurs de mon groupe. On avait vraiment une configuration intéressante pour la Nouvelle-Calédonie. Michel Barnier m’a dit : « Sur le bureau, j’ai deux dossiers : le budget et la Nouvelle- Calédonie ». Malheureusement, il y a eu cette censure.
Avec ce nouveau gouvernement, c’est exceptionnel, on a un ministre d’État comme ministre des Outre-mer, Manuel Valls, qui connaît le dossier calédonien et qui, je crois savoir, va rapidement venir, en février ou en mars. Le contexte national est compliqué. Il n’y a pas de majorité bien établie. La discussion budgétaire qu’on va commencer [cette semaine] va être un élément important. Après, ce que je ne maîtrise pas, c’est une éventuelle dissolution ou une censure du gouvernement Bayrou.
Quelles aides de l’État peut-on attendre cette année ?
Dans le budget 2025, il y a eu des amendements, dont deux éléments importants. D’abord, l’aide qu’avait annoncée le ministre des Outre-mer quand il est venu pour la reconstruction des établissements publics et des écoles. Dans le budget, c’était 80 millions d’euros. J’ai préparé un amendement pour l’augmenter à 100 millions. A priori, c’était acté, mais on ne l’avait pas voté. Cette aide-là est urgente. Après, il y a le fameux prêt garanti d’1 milliard d’euros qui ‒ l’arbitrage n’était pas finalisé ‒ devrait être en partie scindé en subventions. Cela m’amène à un élément qui me paraît essentiel, l’organisation interministérielle qui a été préfigurée par Emmanuel Moulin. Cette structure pourra intervenir auprès de chaque ministère une fois que le financement de la reconstruction aura été arbitré.
Le changement de gouvernement collégial peut-il avoir des conséquences sur l’écoute de Paris ?
Ce qui est essentiel, c’est qu’on essaie de parler d’une seule voix en Nouvelle- Calédonie. Ça fait 1 an et 4 mois que je suis dans l’hémicycle et parfois, ils nous prennent pour des enfants gâtés ou des petits rigolos. À un moment donné, il faut être sérieux, il faut être raisonnable. Je vis le conflit entre le Congrès et le gouvernement depuis le mois de juillet, c’est insupportable.
Au niveau national, ils voient passer la délégation du Congrès et la semaine d’après celle du gouvernement. Alors que l’objectif est le même. Maintenant, il y a un nouveau gouvernement local. J’attends de voir. L’autre sujet, c’est qu’il y a des réformes à faire et on a trop attendu. Comment amorcer ces réformes et montrer à l’État qu’on a envie de le faire ? Il faut qu’on fasse attention à notre discours, à la manière dont on traite l’État. L’État n’a plus les moyens qu’il avait il y a 30 ans. C’est un peu le message que j’essaie de faire passer quand je reviens ici. Il va nous aider, mais il ne faut pas trop tirer sur la corde.
Les différentes sensibilités politiques peuvent-elles s’entendre sur ces objectifs communs au-delà d’éventuels désaccords concernant la Nouvelle-Calédonie ?
Le problème qu’on a, en Nouvelle- Calédonie, c’est qu’on est en perpétuelle campagne électorale. Aujourd’hui, on est en campagne pour les provinciales. S’il y a une dissolution, on risque de se retrouver avec une campagne pour les législatives. Et puis, beaucoup sont déjà en campagne pour les municipales. Comment voulez-vous que les élus s’accordent ? La situation n’est pas favorable. C’est pourquoi je milite pour qu’on aille le plus vite possible aux élections provinciales afin d’éliminer au moins ça.
Le calendrier de travail proposé par les présidents des deux chambres, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet, n’est pas vraiment suivi. Savez-vous où on en est ?
L’idée d’avoir un accord au mois de mars me paraît compliqué. Entre-temps, il y a des budgets à mettre en place. L’aide de l’État, la rentrée scolaire, la relance de l’économie, le problème du chômage partiel… On n’est pas des surhommes. Comment discuter sereinement de tout cela ? En plus, en étant plus ou moins en campagne électorale.
Quelle solution intermédiaire pourrait être trouvée en attendant de parvenir à un accord ?
La vraie question qu’on doit se poser depuis deux ans et demi est : pourquoi n’arrive- t-on pas à trouver un accord ? Au mois de décembre 2023, Élisabeth Borne a sifflé la fin de la récréation pour mettre le corps électoral sur la table. On a vu le résultat. Ce n’est pas la bonne méthode.
Si on n’arrive pas à trouver un accord et qu’on a la deadline du mois de novembre pour les provinciales, il faudra en tirer les conséquences. Le plan A, c’est qu’il y ait un accord le plus tôt possible. Mais il faut commencer à réfléchir à un plan B. L’option que j’envisage est d’accélérer la démarche des élections provinciales.
Le gouvernement Mapou est tombé le 24 décembre. Quel regard portez-vous sur la situation politique actuelle ?
J’espère que le président Ponga, avec un discours plus consensuel, arrivera à mettre de l’huile dans les engrenages pour pouvoir amener cette discussion. Il est élu en province Nord, il connaît un peu le milieu indépendantiste. Il y a la manière de faire. C’est ça qui est important, la manière d’amener les gens autour de la table pour discuter. On espère tous que ce nouveau gouvernement va réussir. Mais il aura d’autres moments plus importants comme le budget et certaines réformes à mettre en place. Il va falloir mener tout ça de front et ça ne sera pas simple.
Faute d’adoption de la réforme de la TGC par le Congrès, l’aide de l’État à la Nouvelle- Calédonie a été diminuée d’un tiers. Comment voyez-vous l’incapacité des élus à voter des textes pourtant cruciaux ?
Ce n’est pas nouveau. C’est un peu l’équivalent de ce qu’on a au niveau de l’Assemblée nationale. Les débats qu’on peut avoir politiquement, c’est de la guéguerre. Quelles réformes a-t-on mise en place depuis cinq ans et demi ? Pas beaucoup quand on regarde bien. Il y a un élément qui me perturbe au plus haut point, c’est le positionnement de Guy-Olivier Cuénot au Congrès. Un élu du Rassemblement national, qui n’est plus sur le territoire depuis près d’un an, donne procuration à la présidente du groupe Le Rassemblement. Quand on parle de ça au niveau national, je peux vous dire que ça tique.
Et il y a des membres du gouvernement qui vont revenir au Congrès : mon maire Yoann Lecourieux, le président sortant Louis Mapou. Les débats vont prendre peut-être une autre tournure.
Une solution est
de se mettre d’accord sur un corps électoral provisoire pour organiser les provinciales, en se disant qu’il ne sert que pour ces élections.
L’état des collectivités est critique. En tant qu’ancien maire, comment imaginez-vous 2025 ?
C’est inquiétant à plus d’un titre. Les communes et les collectivités auront du mal à planifier des investissements, alors que c’est essentiel pour le monde économique, pour le BTP.
En attendant que les entreprises se remettent en place, ce sont les collectivités qui auraient les capacités de redémarrer ces activités. C’est pour ça qu’il est important de savoir comment l’État va nous accompagner, on n’a aucune visibilité sur les contrats de développement pour 2025.
Que pensez-vous du vote par les élus du Congrès de la prolongation
du chômage partiel ?
Ça fait partie du débat qu’on a actuellement. Beaucoup souhaitent le prolonger au maximum. À un moment donné, le plus important est de mettre les gens au travail. Ce qu’il faut, c’est créer de l’activité. Pour moi, il faut relancer les travaux sur les mines. Il faut relancer l’emploi, pas payer que du chômage.
Le grand rendez-vous, ce sont les provinciales. Comment pensez-vous que les non-indépendantistes devraient s’organiser ?
Le vœu pieu de tout le monde, c’est qu’il y ait une liste unique. Tous disent : « On veut tous de l’unité, mais c’est moi qui décide de l’unité ». Il ne faut pas rêver, on est en Nouvelle-Calédonie, c’est compliqué, il y a une diversité d’appréciation des choses. Je vois mal une liste unique. Les indépendantistes savent se retrouver quand il le faut. Nous, on a ce problème souvent. Il va falloir éviter l’éparpillement des listes, et peut-être travailler avec une méthode différente. Ce n’est pas un diktat. Qu’est-ce qu’on a comme valeurs à défendre ?
Avec quel corps électoral les élections se feront-elles ?
Il faut le modifier. Dans les discussions qu’il y avait sur le corps électoral, beaucoup de choses ont été actées sur la citoyenneté, les natifs. Après, il y a le corps glissant. Sera-t-il de 10ans ? De 5ans ?
Pour les indépendantistes, la question doit faire partie d’un grand accord.
Je me rappelle ce qu’avait proposé la commission des lois en la personne de Philippe Bas [sénateur de la Manche], quand ils étaient venus il y a un an. On fait un corps électoral provisoire pour organiser des provinciales et après les nouveaux élus se mettent d’accord pour quelque chose de plus pérenne et plus définitif. L’idée de Philippe Bas n’était pas inintéressante, il faut l’intégrer.
On n’arrive pas à se mettre d’accord. Si on décide que le corps électoral définitif sera dans l’accord global, on se met d’accord sur un corps électoral provisoire pour organiser des élections provinciales, en se disant qu’il ne sert que pour ces élections. C’est une solution.
Pour vous, quand devraient avoir lieu ces élections ?
En juin ou juillet. Si on fait un retroplanning, il faut les organiser. Est-ce que la réforme du corps électoral, pour ces élections, passera par une réforme constitutionnelle ou une loi organique ? Une étude juridique est en cours. Cela peut aller plus vite si c’est une loi organique. Si c’est une réforme constitutionnelle, ça va prendre du temps.
Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat et Fabien Dubedout